Cela fera bientôt un an et demi que le rapport a été publié. Tout le monde l'a salué. J'ai été auditionné par les ministères. On me promet tous les trois mois que des mesures vont être prises prochainement. J'ai pris le soin de ne proposer que des mesures de nature réglementaire ou qui ont trait aux pratiques, afin d'éviter de devoir passer par la loi. Je me suis adressé à tous les niveaux : je ne sais pas où réside le blocage. Je crains que le problème ne soit systémique. On aime mieux, en France, lorsqu'on s'attaque à plus gros que soi, agir sous couvert européen. C'est pourquoi j'ai déposé la proposition de résolution européenne sur la liberté académique en Europe. Cela étant, à l'échelon européen, on n'aime pas prendre de mesures susceptibles de créer des dissensions entre États ou pouvant être mal perçues.
Il est possible que les autorités mènent une action très subtile et très discrète. En tout état de cause, les instituts Confucius font l'objet d'un examen plus attentif. On a modifié les directions de l'institut à l'université de La Réunion. À Brest, l'institut a dû quitter l'université de Bretagne occidentale. Il s'agit en effet d'une ville stratégique, qui abrite le deuxième port militaire français, des centres de recherche sous-marine parmi les meilleurs au monde et plusieurs de nos industries de défense. Il a rouvert au sein de la Brest Business School, école de commerce rachetée au moyen de capitaux chinois. J'ai cru comprendre que des alertes avaient été lancées et que nos services avaient accompli un beau travail. Je suis consulté sur certains dossiers. Des enquêtes sont conduites au sein des universités pour déterminer l'influence des instituts Confucius. Toutefois, on a fait le choix, globalement, de ne pas les fermer. L'université de Nanterre, qui a été l'une des premières à ouvrir une telle structure, a simplement suspendu son activité. Lorsqu'on décide d'en fermer un, on ne fait jamais part de ses soupçons, on invoque des problèmes de locaux.
Je ne suis pas arrivé à savoir combien investissait la Chine dans ses instituts. Je ne sais pas comment est gérée la comptabilité, puisque la direction française, au sein de l'université, cohabite avec la direction chinoise, qui est en charge des personnels. J'aimerais qu'il y ait un peu plus de transparence en la matière.
Ces instituts constituent de l'influence à l'ancienne, pré-Xi Jinping. La Chine s'est rendu compte que ces établissements étaient très visibles. Le programme « 1 000 talents », qui visait à recruter directement des chercheurs de haut niveau, et la myriade de petits programmes qui l'ont remplacé sont plus discrets et beaucoup plus efficaces.
La Chine s'est intéressée à l'université de Nanterre dès la fin des années 1980 compte tenu de sa réputation d'université « rouge » abritant un certain nombre de maoïstes. Elle y a ouvert un institut Confucius en pensant que de nombreux cadres de grandes entreprises installées à La Défense voudraient apprendre le chinois. Or le public des instituts Confucius est composé de retraités, d'étudiants et de personnes ayant un lien avec la Chine – ce qui permet à celle-ci de contrôler sa diaspora, entendue au sens large.
Nous avions déposé, en octobre 2012, une proposition de résolution européenne visant à la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, ce qui a donné lieu à une ingérence assez remarquable de l'ambassadeur de Chine. En effet, celui-ci a appelé directement certains de mes collègues pour leur demander de ne pas voter en faveur de cette proposition. Il jugeait que les sénateurs qui avaient un nom à consonance asiatique ne pouvaient pas faire cela et que ceux qui représentaient les Français de l'étranger risquaient, par leur vote, de nuire aux relations diplomatiques avec la Chine. Cela a plutôt eu l'effet inverse : des sénateurs qui n'avaient pas l'intention d'adopter le texte ont eu un sursaut d'orgueil. J'ai remercié l'ambassadeur de Chine, à la télévision, pour le rôle qu'il avait joué en faveur de l'adoption de la proposition.
De même, à la suite d'un voyage de sénateurs à Taïwan, la Chine s'est attaquée au Sénat. Cela a entraîné une hausse des effectifs du groupe d'échanges et d'études avec Taïwan ; fort de quarante membres, il est aussi nombreux que le groupe d'amitié avec la Chine. Parfois, les ingérences maladroites peuvent être contre-productives.