Intervention de André Gattolin

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 18h15
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine :

Les Britanniques parlent d' interference ; les Français revendiquent le terme d'influence, et nous avons été les précurseurs, après la Première Guerre mondiale, des politiques d'influence et de la diplomatie culturelle et d'influence, théorisées par des chercheurs et des politiques américains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Joseph Nye a ainsi défini le soft power, qui englobe les politiques d'influence visant à faire rayonner les idées d'un pays. Ces actions, tout à fait légales, participent des relations interétatiques, d'où leur qualification de « douces ». Si l'espionnage et les vols ont toujours existé entre les pays – ces faits entraînant de lourdes sanctions comme des peines de prison extrêmement sévères en cas de trahison des intérêts nationaux –, les choses ont évolué et le soft power est devenu hard ou sharp power, c'est-à-dire du pouvoir dur qui repose sur de la coercition ou de l'influence au sens où on l'entend dans les milieux financiers, à savoir l'acquisition d'informations par la corruption ou par des échanges d'intérêts spécifiques, entreprises qui ne correspondent pas au respect que nous devons tous aux principes fondamentaux de notre pays.

J'ai utilisé le droit de tirage des groupes politiques pour créer la mission d'information dont j'ai été le rapporteur. Quelques doutes ont entouré ma proposition. J'ai néanmoins décidé de me focaliser sur le monde universitaire et académique ainsi que sur celui de la recherche, parce que de plus en plus de cas d'ingérence nous étaient signalés.

Je suis vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et de la commission des affaires européennes, je suis membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, j'ai été membre de l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et j'appartiens à plusieurs cénacles interparlementaires ad hoc qui se sont créés sur la Chine, sur Taïwan et sur d'autres pays. J'échange donc très régulièrement avec mes collègues parlementaires et j'avais noté que des travaux étaient publiés en Australie, au Royaume-Uni, au Canada et en République tchèque sur des vols réguliers de propriété intellectuelle ; je me suis dit que ce phénomène devait exister en France et qu'il fallait l'étudier. Nos services de renseignement sont très compétents mais leurs moyens sont bien plus faibles que ceux dont disposent leurs homologues allemands ou britanniques. Ces dernières années, à la suite de la commission de plusieurs attentats sur notre sol, nous avons concentré nos efforts dans la zone sahélienne, proche-orientale et moyen-orientale. Nous nous sommes moins intéressés à ce qui se passait dans le reste du monde, notamment en Chine. Il était donc important que les parlementaires se saisissent de la question de l'ingérence étrangère.

Nous avons travaillé rapidement puisque la mission d'information a été installée le 6 juillet 2021 et que je devais remettre le rapport le 30 septembre. Comme je connais bien le milieu universitaire, auquel j'appartiens en tant qu'enseignant, de nombreuses personnes se sont mobilisées en plein été, même au mois d'août ; en outre, une très belle équipe d'administrateurs au Sénat m'a permis d'aboutir au rapport qui vous a été transmis. Après avoir échangé avec des collègues d'autres pays, j'ai opté pour une approche agnostique : je n'ai pas visé un pays en particulier, mais une question, celle des influences étatiques extra-européennes dans le monde académique et scientifique français.

Très vite, un pays, la Chine, s'est distingué, ce que nous ont confirmé les services, puisqu'il est impliqué dans 70 % à 80 % des cas notables voire graves. De manière plus secondaire, nous avons recueilli plusieurs témoignages impliquant la Turquie ; puis viennent certains pays du Moyen-Orient, surtout l'Iran. Il s'agit de pays qui cherchent à assouvir des besoins technologiques. En 2015, la Chine a publié un document intitulé « Chine 2025 », dans lequel le pays reconnaissait accuser des manques dans sa recherche et son savoir scientifique et se donnait pour objectif de les combler par tous les moyens : investissements massifs et récupération de l'information là où elle se trouve, ce second moyen étant décrit assez explicitement. Je ne voulais pas déduire de cette hiérarchie, très spécifique au monde universitaire et scientifique, une hiérarchie générale des pays. J'avais étudié l'action de la fédération de Russie : on parle beaucoup de son omniprésence dans le champ des fausses nouvelles et de la désinformation mais on trouve peu de traces de ce pays dans celui de l'université – j'ai rencontré une personne qui m'a dit qu'un faux chercheur s'était présenté dans un grand colloque consacré à la recherche en Arctique, où la France figure parmi les pays les plus en pointe, pour obtenir des données, mais c'est le seul cas qui a été porté à ma connaissance.

La pratique des Russes en matière d'ingérence est beaucoup moins subtile que celles des autorités chinoises : lorsque les Russes ont besoin de quelque chose, ils utilisent davantage l'espionnage que l'ingérence. Je ne suis néanmoins pas en mesure de dresser un panorama exhaustif. Le travail d'identification des principaux États qui s'emploient délibérément à détourner nos valeurs de liberté et d'intégrité scientifique a abouti aux conclusions que je viens de vous présenter.

L'autre défi était de marquer les nuances qui vont du soft power jusqu'à des formes d'ingérence reposant sur un entrisme délictueux : on sait que les modes d'action sont variés et que le soft power est parfois utilisé comme paravent d'opérations moins recommandables. Les instituts Confucius ont officiellement pour mission d'enseigner la langue et la civilisation chinoises, mais ils ne se montrent pas d'une neutralité totale, y compris dans les établissements universitaires où ils sont reçus. Ils donnent leur avis voire tentent de participer à la définition du travail universitaire conduit dans les départements d'études asiatiques. Ils reçoivent parfois des personnes présentées comme des chercheurs ou des étudiants mais qui ressemblent davantage à des agents de corps militaires. On s'est demandé si l'on retrouvait ce schéma avec la Turquie, mais il n'y a qu'un institut Yunus Emre en France et j'ignore s'il fonctionne réellement ; en revanche, ces instituts se multiplient en Afrique. La France est un pays important dans cette optique car, si son influence décroît fortement en Afrique, de nombreux jeunes africains viennent faire leurs études dans notre pays et les universitaires africains sont également nombreux à travailler dans le monde académique français : j'ai auditionné une chercheuse africaine qui parlait couramment le chinois et qui m'a raconté avoir été approchée pour obtenir un très bon poste en Angola ; cette femme ne connaît pas ce pays, mais on lui a dit qu'une Africaine parlant le chinois était très intéressante et qu'on pouvait lui verser un salaire très élevé. Paris reste une référence dans le domaine culturel, scientifique et universitaire ; le monde académique français conserve une influence en Afrique et au Moyen-Orient grâce aux gens qu'il forme, notamment les doctorants.

Nous nous sommes également interrogés sur les faiblesses et les atouts de la France dans la lutte contre ce type de phénomène. Presque toutes les universités accueillent des fonctionnaires de sécurité et de défense, dont la première mission est la prévention. Ils donnent ainsi des consignes aux chercheurs invités dans des pays sensibles, comme vider leur ordinateur de tous les travaux de leur centre universitaire et utiliser un téléphone uniquement pour appeler leur famille ; en la matière, la naïveté et l'imprudence sont répandues, ce constat pouvant être transposé du monde académique aux sphères économique et politique.

En outre, l'échange d'informations horizontal entre les fonctionnaires de sécurité et de défense reste rare, même entre des universités situées dans la même région, alors qu'il pourrait être utile pour constater des tentatives d'installation d'une puissance étrangère dans un territoire donné. Leur formation est lacunaire. Les universités possèdent des référents sur de nombreux sujets – l'égalité, le racisme, etc. –, mais les patrons du Conseil national des universités (CNU) puisent dans le vivier limité de la direction de leur université pour que certaines personnes assument ces tâches en plus de leur fonction principale. Dans le domaine de la lutte contre les ingérences, il faut recruter des gens disposant de compétences particulières, ce que les universités n'ont pas les moyens de faire. J'enseigne depuis de nombreuses années en faculté, où je donne des cours bénévolement, et je n'ai jamais entendu parler d'un fonctionnaire de sécurité et de défense dans mon université. C'est un problème.

De nombreux acteurs de la société civile, notamment dans le monde universitaire, nourrissent une méfiance structurelle envers le déploiement de moyens sécuritaires. Les personnes qui se font piéger hésitent souvent à solliciter les services de renseignement ou la police pour le signaler. Nous manquons d'endroits de confiance pour recueillir l'information. Certains chercheurs prennent directement contact avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) parce qu'ils ont été approchés, mais d'autres sont beaucoup plus discrets et enterrent leur affaire, ce qui rend complexe la mesure de l'intensité des sollicitations dont le milieu académique fait l'objet. Nous avons tout de même tenté d'estimer l'ampleur du phénomène dans le rapport, sur la base des auditions que nous avons menées. J'ai par la suite été auditionné par une mission interministérielle qui m'a dit que mon rapport était très intéressant mais très en dessous de la réalité. Les services tiennent à une certaine discrétion pour pouvoir agir. En tant que représentants politiques, nous avons néanmoins besoin d'être informés.

Nous avons discerné des axes d'ingérence, d'influence ou d'interférence dans le monde universitaire. Le premier vise à s'approprier illégalement ou en dehors des contrats liant des établissements de pays différents des informations et des savoirs. Le dispositif de protection du patrimoine scientifique et technologique du pays hiérarchise les domaines selon leur niveau de sensibilité : le niveau le plus élevé est le nucléaire, les armes chimiques et les éléments qui peuvent avoir des conséquences économiques graves. Dans le contexte de brutalisation des relations internationales, on estime que presque tous les domaines ont une nature duale, c'est-à-dire qu'ils sont d'usage à la fois militaire et civil ; même les sciences sociales appartiennent à cette catégorie pour des pays comme la Chine. Derrière la volonté de capter de l'information se cache un désir d'influence et de façonnage de l'image du pays.

Il ne faut pas seulement s'intéresser à la lutte contre les fausses nouvelles : elles vont, elles viennent, et lorsque l'on parvient à élaborer un contre-discours, une ou deux semaines se sont écoulées ; or, toutes les études internationales le montrent, le rétablissement de la vérité par une information argumentée ne touche qu'à peine 5 % des personnes ayant été infectées par une fausse nouvelle. On a tendance à oublier les narratifs, qui sont des récits construits ayant une vocation politique mais qui ne s'inscrivent pas toujours dans le champ de l'information : le narratif russe ou le narratif chinois ne passent pas qu'à travers l'information ; dans les pays africains comme dans les autres pays, seuls 20 % à 25 % de la population s'intéressent vraiment à l'information. Les publics les moins formés intellectuellement, les plus populaires et les plus jeunes sont très touchés par la fiction. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis avaient défini deux industries civiles particulièrement stratégiques : l'aviation – Boeing ou McDonnell Douglas devaient détenir un quasi-monopole du transport aérien des personnes – et Hollywood, dont les narratifs devaient promouvoir l'American way of life et ses valeurs. On oublie que M. Evgueni Prigojine, le patron de Wagner, est un homme de communication et de médias qui possède une société, Aurum, produisant des films d'action à destination du public africain : l'un d'entre eux s'appelle Touristes et a pour sous-titre Les Gladiateurs russes ; il cherche à montrer que les soldats russes sont là pour protéger les populations contre les méchants colonialistes – on ne nomme pas les Français, mais on les reconnaît rapidement. Ces films ont un impact considérable sur les jeunes à travers les réseaux sociaux : la population ciblée est celle qui ne s'intéresse pas à l'information et qui n'est donc pas touchée par les fausses nouvelles. Quand on analyse ces récits, on peut élaborer des contre-récits visant à défendre des valeurs opposées à celles que ces fictions véhiculent. Je commence à identifier des chercheurs qui travaillent en France sur ces questions, mais le sujet est resté longtemps dans l'ombre.

J'ai formulé vingt-six recommandations, parfois très techniques. J'ai noté que notre vigilance était lacunaire : par exemple, lorsqu'un laboratoire ou une institution académique signe un partenariat avec une université extra-européenne, il ou elle doit le déclarer au ministère des affaires étrangères ou à celui chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ; ces deux ministères sont peu outillés pour traiter ces demandes, le second étant de création relativement récente et gérant avant tout l'organisation des études, le parcours des étudiants et le financement du secteur. Trente jours après le dépôt de la déclaration, le partenariat est réputé validé par l'État, alors que la plupart des dossiers n'ont pas été étudiés. Environ 7 % des accords, soit une grosse trentaine par an, font l'objet d'une interdiction ou d'une demande de révision. Si vous voulez que votre partenariat débute en septembre, déposez votre demande à la fin du mois de juillet et vous serez sûr qu'elle ne sera pas examinée. J'ai donc proposé dans le rapport que le délai soit porté à trois mois, et que les ministères de l'intérieur et de l'économie puissent également étudier les partenariats, d'autant que les meilleurs spécialistes des influences étrangères se trouvent à Bercy où est installée une cellule travaillant sur l'intelligence économique.

J'ai également insisté sur la notion de liberté académique, qui me semble essentielle. Cette liberté devrait être un droit humain comme les autres, car elle recouvre celle d'enseigner, d'étudier et de se consacrer à la recherche. Nous avançons très progressivement dans cette voie ; actuellement, il n'y a de droit positif en la matière ni en France ni en Europe. Qui dit liberté dit responsabilité : en tant qu'universitaire, je sais que les productions académiques doivent présenter l'état de l'art, mais aussi les idées opposées à celles développées par l'auteur de la thèse ; les chercheurs jouissent certes d'une liberté d'expression mais ils sont soumis à certaines contraintes. Je milite également pour que la transparence éclaire les moyens dont l'auteur d'une thèse a disposé. Comme cela se fait aux États-Unis depuis longtemps, chaque publication devrait être accompagnée de la présentation des intérêts de son auteur : a-t-il bénéficié d'un séjour gratuit dans un pays étranger pour mener ses travaux ? a-t-il perçu une bourse ? Ces précisions sont encore difficiles à imposer dans le milieu universitaire.

Dès qu'il s'agit de lutter contre des influences étrangères puissantes, notamment celle de la Chine, mais également – pourquoi pas ? – celle des États-Unis, tout le monde s'abrite derrière le parapluie européen. Lorsque l'on tente d'appliquer des sanctions ou de restreindre les investissements chinois, tout le monde se défausse en disant que le niveau pertinent est celui de l'Union européenne ; c'est peut-être le cas, mais cela traduit surtout la peur de s'exposer à des rétorsions économiques. Il importe de fixer des normes européennes, mais il convient également de renforcer les moyens déployés à l'échelle nationale. Or le monde universitaire et de la recherche déplore les manques en la matière. Les travaux d'un chercheur, même de haut niveau, dans les sciences dures ne recueillent que peu d'attention : si une grande université étrangère lui propose de venir enseigner six mois en lui offrant un salaire sans commune mesure avec ce qu'il touche en France, ou lui affirme vouloir donner son nom à un nouveau bâtiment de son campus, il est normal qu'il accepte. Il y a parfois un manque de vigilance ou un excès de naïveté, mais le problème existe.

Il faut distinguer ce qui relève de la collusion volontaire d'un chercheur ou d'un acteur politique ou économique qui en tire un profit – voyages, cadeaux, investissements dans sa circonscription, qui peuvent, pour ces derniers, être présentés comme une action en faveur de l'intérêt général – de ce qui est involontaire et qui a trait à l'imprudence et à la naïveté. Un chercheur ou un homme politique qui se rend dans certains pays avec son téléphone et toutes ses données personnelles peut être responsable d'une fuite sans en avoir conscience.

La commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence a tenu sa première réunion hier au Sénat. Plusieurs collègues sénateurs avaient cette application sur leur téléphone. Ne pas l'utiliser est insuffisant, il faut la supprimer du téléphone car le moteur de recherche spécifique à TikTok permet d'accéder à la plupart des données d'un téléphone. Si le gouvernement chinois veut les analyser – nous n'en avons pas la preuve –, il peut demander à la société de les aspirer et de lui transmettre, et celle-ci, conformément au droit chinois, sera tenue de le faire.

Lundi prochain, j'ai une réunion d'information avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) ; j'en suis heureux car, bien que vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées depuis trois ans, je n'ai toujours pas rencontré les représentants de l'ANSSI ; des formations sont assurées mais il n'y a pas d'échanges systématiques. Les présidents des commissions parlementaires ont la chance d'être au contact d'une administration sérieuse et compétente qui les prévient des sujets qui se font jour, mais les parlementaires bénéficient moins de ces alertes. Les membres des commissions traitant des affaires étrangères, de la défense, des affaires européennes et des affaires économiques sont des cibles pour ceux qui agissent en faveur de l'influence d'un pays étranger ; les présidents des groupes d'amitié, qui se déplacent dans certains pays, peuvent également être des cibles. Comme dans le monde universitaire, le niveau d'information mériterait d'être bien plus élevé.

Nous nous focalisons beaucoup sur le niveau national. Ayant eu la chance de travailler au Parlement européen avant d'être sénateur, j'ai observé au cours des vingt dernières années une migration des lobbies – nationaux et internationaux – vers l'échelon européen. Les affaires récentes qui touchent le Parlement européen et la Commission en sont le signe. Un tel déplacement est normal puisque la législation européenne régit les marchés économiques et technologiques et détermine les règles applicables dans tous les pays européens.

Je suis devenu membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe juste après le « Caviargate » – des soupçons de corruption par l'Azerbaïdjan qui ont conduit à l'exclusion de plusieurs parlementaires. Il s'agit certes d'une instance purement consultative, mais elle émet des recommandations et elle est le lieu privilégié en Europe de la défense de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme. Elle est donc une cible parfaite pour des pays dont l'image sur ce plan n'est pas celle qu'ils souhaiteraient renvoyer. Depuis ce scandale, il faut remplir une nouvelle déclaration de revenus lors de chaque renouvellement et cette obligation, bien que fastidieuse, me semble pertinente.

Il est une dernière dimension qui est négligée : les exécutifs locaux. Ceux-ci suscitent l'intérêt de nombreuses nations. Les fragilités économiques des régions, des départements et des communes peuvent aisément être exploitées pour développer une influence : un territoire en difficulté voyant arriver des investisseurs aura du mal à refuser le partenariat avec l'université locale, notamment son département technologique, ou l'ouverture d'un institut Confucius que ceux-ci demandent en parallèle. C'est ainsi que se crée ce que j'avais appelé un maillage et ce qu'un « repenti » de l'institut Confucius m'a incité à qualifier de tissage, compte tenu de l'importance des financements octroyés à des associations sportives ou des clubs de personnes âgées. Certains chercheurs essaient d'évaluer le volume des associations loi 1901 ayant des liens avec des pays étrangers ; j'aimerais que l'État mène aussi des investigations. Le maillage au niveau local est le plus efficace puisque les risques liés aux contingences politiques sont moindres et les réseaux plus solides.

Je regrette le manque de recensement des cas de collusion ou de tentatives d'influence. Dans le domaine universitaire et de la recherche, j'étais partisan de la création d'un observatoire associant universitaires, parlementaires et représentants des milieux économiques au sein duquel les victimes oseraient signaler les tentatives d'influence. La loi du silence règne tant il est délicat d'avouer que l'on s'est fait piéger.

S'agissant des élections, nous sommes protégés par notre législation sur le financement des partis politiques qui n'autorise que les dons de personnes physiques jusqu'à 7 500 euros par an, contrairement à l'Allemagne. Au niveau européen, les fondations liées à des groupes politiques peuvent recevoir des financements de la part de personnes morales, ce qui est très dangereux. En Allemagne, en contrepartie de leur soutien financier aux grands partis politiques, les industriels attendaient une énergie bon marché, des débouchés commerciaux et des marchés de sous-traitance. Cela explique en partie les positions que le pays a adoptées à l'égard de la Chine ou de la Russie. Il ne faut pas sous-estimer le poids des milieux économiques dans les choix politiques. En France, la récente multiplication des micro-partis tend à affaiblir la portée des règles.

Quant à l'influence médiatique, notre pays est moins protégé que d'autres en raison du nombre de ses chaînes d'information en continu – l'Allemagne n'en compte plus aucune après qu'elles ont été transformées en chaîne de débats pour l'une et de documentaires pour l'autre. Lorsque vous êtes invité sur le plateau d'une chaîne d'information, la pression de l'actualité finit par vous faire dire des bêtises et vous rend très influençable. Par ailleurs, le respect de l'équilibre entre les formations politiques est contrôlé pour la radio et la télévision mais pas sur les réseaux sociaux et internet, ce qui est compréhensible. Il faut toutefois trouver un moyen de réguler l'expression politique sur les supports numériques. Alors que les canaux de diffusion de Russia Today ont été coupés après l'interdiction de la chaîne, près de 100 personnes restaient employées en France pour gérer les réseaux sociaux. Avant que la radio numérique terrestre ne soit remise en cause, j'avais protesté auprès du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) contre l'attribution de fréquences à des stations qui étaient l'émanation directe d'États étrangers. Vous aurez aussi noté combien il est difficile de parler du Maroc en France. Je rêve d'une commission d'enquête sur l'affaire Pegasus, du nom du logiciel espion. Celle créée au sein du Parlement européen tourne au pugilat. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe se penche également sur le sujet. J'aimerais en savoir plus sur un scandale qui n'a donné lieu à aucune réponse politique en France.

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