Intervention de Stéphane Bouillon

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 15h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale :

Les universités n'ont certes pas autant de crédits publics qu'elles le souhaiteraient, mais l'argent du contribuable doit servir à financer la recherche française et pas celle d'un État étranger. Ceux qui reçoivent de l'argent de l'État ont des devoirs vis-à-vis de lui : ils doivent s'assurer que cet argent employé au profit de notre pays, et pas d'autres. Nous essayons de faire passer le message !

Ainsi, dans le cadre du plan d'investissement France relance ou d'autres actions de soutien à des entreprises ou à des laboratoires, nous essayons d'introduire des clauses qui obligent les bénéficiaires à assurer une certaine sécurité. Nous envoyons souvent la DGSI – ou la gendarmerie pour les petites structures – dans les entreprises que nous avons classées comme « opérateurs d'importance vitale » ou « opérateurs de service essentiel » ou dans les laboratoires dont le travail peut intéresser les intérêts fondamentaux de la nation, pour vérifier si tout se passe bien, notamment si les zones à régime restrictif (ZRR), c'est-à-dire les zones de protection rapprochée autour des locaux, sont bien respectées.

Nous nous demandons si, afin d'inciter les gens à accomplir des efforts, il ne faudra pas un jour demander au législateur de définir des règles et d'imposer des conditions de sécurité plus sévères que celles prévues aujourd'hui par décret – à moins que nous n'agissions sous forme contractuelle. Nous essayons de dialoguer mais, avec certains chercheurs, cela demeure compliqué…

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est tout à fait sensible à ce sujet, très actif, et nous discutons très régulièrement pour que toutes les instances de recherche s'assurent auprès de différentes universités qu'elles prennent en considération tel ou tel élément.

Nous veillons aussi à refuser des visas à certains étudiants étrangers, ou à les retirer lorsque nous nous rendons compte par exemple que l'étudiant est resté dans le laboratoire à une heure où il était censé être rentré chez lui. Nous sommes très attentifs, y compris pour des demandes de formation pour des étudiants en licence de lettres, d'histoire ou de sciences humaines qui, une fois inscrits dans une université, souhaitent basculer vers la physique ou la chimie. La plus grande prudence est de mise.

Certains présidents d'université comprennent la situation et sont attentifs ; d'autres sont hermétiques, et ce n'est pas forcément ceux dont on attendrait une grande vigilance qui se révèlent attentifs – nous avons quelques déceptions ! Nous devons donc poursuivre nos efforts.

Votre rapport nous sera certainement utile pour ouvrir des discussions, évoquer les sujets, expliquer. Les articles du Monde sur la Team Jorge le sont aussi, car ils permettront de se rendre compte qu'internet est une jungle. Plus on en parle, plus les gens se méfieront – et s'il faut peut-être renforcer les sanctions pour ceux qui sont vraiment de mauvaise volonté, c'est bien l'aspect pédagogique qui m'apparaît primordial.

S'agissant des innovations technologiques et en particulier des deep fakes, c'est pour nous une grande source d'inquiétude. Nous travaillons au sein des services secrets – mais Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, vous en parlerait mieux que nous – et avec d'autres interlocuteurs pour recenser ce qui permet, dans une vidéo, de repérer les deep fakes. Les Américains ont progressé sur ce sujet, nous échangeons avec eux pour identifier les problèmes. La menace est incontestablement forte. Le nouveau logiciel ChatGPT en est une également : l'intelligence artificielle en est à ses balbutiements et ses erreurs sont très visibles, mais la vitesse du progrès étant ce qu'elle est, les prochaines machines seront, je n'en doute pas, beaucoup plus talentueuses. Nous pouvons nous retrouver dans une situation où nous serons bêtes face à une intelligence artificielle – et c'est un véritable danger.

L'intelligence artificielle doit être un outil pour l'intelligence humaine, mais elle ne peut pas la remplacer… Vaste programme, comme on dit ! Et, contrairement à la machine, l'esprit humain est paresseux. Notre faiblesse est donc bien réelle, et le législateur devra nécessairement, un jour, se pencher sur ces problèmes.

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