Les généraux et officiers concernés sont tous de deuxième section, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus en activité. La question peut effectivement se poser de savoir si, à ce stade, on est totalement libre de sa parole. Peut-être sera-t-elle soulevée lors de l'examen du projet de la loi de programmation militaire ; ce serait intéressant. Elle relève vraiment de la loi. S'agissant de personnels non actifs, la Grande Muette peut-elle commencer à parler ? Jusqu'à quel point, jusqu'à quel niveau ?
On peut également se demander s'il est bien normal que des officiers pilotes puissent, après leur temps de service, louer leurs services pour apprendre à une autre armée à voler sur tel ou tel type d'appareil ou à faire face à tel autre. J'ai tendance à penser que la réponse est non : normalement, le code pénal et le code de justice militaire devraient pouvoir s'appliquer à ce genre de situation. En tout cas, les armées y sont très sensibles et il faut y travailler.
Quant au personnel des armées en activité, des enquêtes de sécurité sont menées par la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense) : l'histoire de chacun, les pays où il s'est rendu et les personnes qu'il fréquente sont très précisément examinés. Pour voir moi-même passer les éléments qui concernent les agents d'autres ministères, je peux vous dire que la DGSI est elle aussi très scrupuleuse, trop au goût de certains : une personne ayant fait un séjour d'études de plusieurs mois dans une université à l'étranger est au moins mise en garde et, en tout état de cause, écartée de certains dossiers. Les mesures prises sont donc très rigoureuses pour les civils comme pour les militaires. Si l'on est simplement soupçonné d'avoir été compromis, par exemple si on a eu une liaison sentimentale avec une personne d'origine étrangère pas très éloignée d'un consulat ou d'une ambassade, on est écarté sans pitié. J'en ai des exemples parmi d'anciens collaborateurs.
Cela étant dit, on peut trouver dans ce milieu, comme dans toute partie de la société, des prorusses et des antirusses, et cela fait partie du débat.
La question de la liberté de parole se pose aussi pour les anciens ambassadeurs. Et qu'en est-il des personnes qui ont travaillé très longtemps pour l'État et qui partent dans le privé ou au service d'autres pays ? Il faut être sévère, mais sans nuire à l'attractivité de l'État en interdisant à ceux qui l'auront servi d'avoir ensuite une autre carrière. En outre, tout dépend de la période historique : la Russie étant actuellement en conflit avec l'Ukraine, que nous soutenons, cela nous choque d'entendre tel ou tel contester ce que nous considérons comme la vérité, mais il faut aussi se poser la question à froid. Il y a quelques années, avant l'invasion de l'Ukraine, était-il normal que des responsables diplomatiques, militaires ou de services qui étaient de farouches partisans de Poutine interviennent à ce sujet ? Le législateur aura à mener un travail complexe pour déterminer la juste proportionnalité et l'équilibre adéquat entre liberté d'opinion, liberté individuelle, capacité à expliquer ce qu'on est et défense des intérêts fondamentaux de la nation. Je vous souhaite bon courage !