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Intervention de Julien Bayou

Réunion du mardi 28 mars 2023 à 21h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Bayou, rapporteur :

Je m'attendais à quelques turbulences, forcément, mais je me réjouis du niveau du débat.

Je n'oppose pas réduction et décarbonation : il faut d'abord réduire les émissions, puis décarboner les activités qui ne peuvent pas être supprimées. Mais, et encore récemment, certains brandissent la décarbonation comme un alibi pour ne rien faire.

Monsieur Adam, les vols en jet ne représentent qu'une petite part des émissions, en effet. J'aimerais faire plus, mais ce n'est pas possible dans le cadre de cette niche ! Il y avait d'ailleurs un très beau projet, beaucoup plus global, qui s'appelait la Convention citoyenne pour le climat : il y aurait sans doute de nombreux éléments à récupérer de ce côté-là.

Il n'y a pas de petites économies : chaque fraction de degré compte quand il s'agit de lutter contre le dérèglement climatique. Il faut préparer dès maintenant l'adaptation, car nous avons pris un retard phénoménal, coupable, peut-être même criminel. Supprimons donc ce qu'il est facile de supprimer. Dire que les jets privés ne représentent qu'une faible part des émissions n'est pas un argument. Du reste, un rapport encore sous embargo montre que les chiffres sont en forte croissance.

Peut-être avez-vous reçu des argumentaires vous faisant miroiter la perspective d'atteindre 100 % de SAF, mais c'est un mirage : on aimerait y croire, mais ce n'est pas envisageable. La direction générale de l'aviation elle-même le dit : l'offre de SAF n'existe que dans trois ou quatre aéroports et, s'il est possible de la développer un peu, de nombreux problèmes se posent : le SAF coûte quatre à cinq fois plus cher que le kérosène et sa production est en concurrence avec d'autres usages des espaces agricoles. Du reste, le SAF est un mélange contenant 30 % de biomasse. Dès lors, 100 % de SAF, ce serait 100 % d'un mélange à 30 %, autrement dit contenant 70 % de kérosène. Bref, le 100 % de SAF n'est ni pour aujourd'hui, ni pour demain, et pas même pour dans dix ans – et je ne parle même pas du 100 % de SAF à 100 % : c'est possible pour l'huile de friture, mais ce n'est pas avec cela que l'on fera voler des avions…

Le montant de 32 milliards d'euros de contribution économique, régulièrement mis en avant, émane des représentants de l'aviation d'affaires. Là encore, la direction générale de l'aviation civile considère qu'il est pour le moins ambitieux. Vous évoquiez les impôts : parlons-en ! On ne le dit pas assez, mais la location de jets entrant dans les frais professionnels est un facteur d'optimisation fiscale, voire d'évasion fiscale. On voyait dans « Complément d'enquête » qu'immatriculer un jet à Malte permet de faire tomber le taux d'imposition à 5 % tout au plus. Invoquer une possible perte de recettes fiscales me paraît donc hasardeux. Du reste, nos propositions visant à intégrer les jets dans le calcul de l'impôt sur la fortune immobilière ou à les exclure des frais professionnels déductibles ont été rejetées.

Quant au fait qu'il s'agisse d'une proposition parisienne, ce n'est pas l'avis des riverains de l'aéroport de Nice, où les vols en jet représentent 41 % du trafic, et encore moins de Cannes et de Saint-Tropez, où c'est 100 % : ils vous diront que pour eux, c'est surtout une question de nuisances sonores. J'y étais il y a dix jours.

Madame Masson, je reconnais dans vos propos les arguments des acteurs de l'aviation d'affaires, dont vous vous faites la courroie de transmission, mais moins ceux des ONG et des riverains qui se plaignent des nuisances sonores. Vous allez même plus loin en ajoutant 16 000 emplois au nombre qu'ils avancent eux-mêmes pour le secteur, et qui est déjà phénoménal – ils ont d'ailleurs du mal à le justifier.

Monsieur Arenas, il y va de la justice, en effet. C'est une question de partage des efforts. Je n'avais pas pensé à l'aspect pédagogique de la mesure, mais vous avez raison : il faut rappeler à tout le monde les limites de la belle planète que nous avons en commun et, d'une certaine façon, ramener sur terre ces élites qui font sécession.

Monsieur Vermorel-Marques, nous serons à vos côtés quand il s'agira de soutenir les vols régionaux zéro émission ; Mme Arrighi, qui travaille sur la question, vous le confirmera sans doute. Je vous mets même au défi de compléter l'interdiction que nous proposons par une exemption pour les avions zéro carbone. Mais nous avons auditionné Aura Aero et nous savons malheureusement que cela ne permettra pas d'en faire voler beaucoup, car pour l'instant cela n'existe pas, ce n'est pas concret. Toutefois, cette disposition aurait un vrai effet d'entraînement pour la recherche et développement. Il y a là une filière d'excellence à développer en France. Il faut agir en faveur de ce type de transport de point à point.

Monsieur Esquenet-Goxes, je vous remercie pour le regard expert avec lequel vous avez abordé cette proposition de loi. Ce serait un plaisir de rendre visite à l'association que vous avez évoquée, à l'occasion. Je ne suis pas contre l'avion quand il n'y a pas d'autre solution. Comme le dit souvent Mme Arrighi, on ne va pas à Tokyo en pédalo.

Vous dites que la consommation de carbone sera nécessairement délocalisée. Mais si certaines personnes installées à Paris ont vraiment besoin de prendre l'avion, elles ne se délocaliseront pas à Bruxelles pour prendre un jet…

Pour vous rassurer, la France peut montrer le chemin, reprendre le flambeau de l'exemplarité européenne, comme avec l'interdiction des vols lorsqu'il existe une alternative par le train. On parle de l'« accord de Paris », après tout : faisons le nécessaire pour le respecter ! La présidente de la commission des transports et du tourisme, Mme Karima Delli, est partante pour que le Parlement européen se saisisse de la question. M. Zakia Khattabi, ministre du climat de Belgique, l'est également, ainsi que le ministre des transports wallon. Le débat est intense aux Pays-Bas et en Autriche.

Monsieur Leseul, vous avez parfaitement raison : l'exemple de la ZFE est le plus critique. La personne qui n'a pas pu remplacer son véhicule diesel par un moins polluant parce qu'elle n'a pas été accompagnée se retrouve complètement privée de mobilité – il ne s'agit pas, dans ce cas, de devoir prendre un train ou un avion de ligne en première classe au lieu d'un jet ! Elle ne pourra pas adhérer à la transition. Cela fait longtemps que nous n'avons pas investi dans les transports du quotidien. Si la population de Lyon ou de Paris voit décoller des jets de Saint-Exupéry ou du Bourget, on ne pourra pas la convaincre, même en cas de pic de pollution. Il y a là un vrai enjeu de justice.

Monsieur Thiébaut, le chiffre de 80 % de vols en jet qui auraient un caractère professionnel m'avait beaucoup étonné. Quand nous avons auditionné les représentants de l'aviation d'affaires, nous les avons interrogés sur ce point, car force est de constater qu'il y a beaucoup plus de liaisons Paris-Nice en été, et qu'en hiver, c'est plutôt Paris-Chambéry… Quant à l'aéroport d'Ibiza, il n'apparaît dans les classements qu'au mois d'août – même si nous avons appris l'an dernier que certains vont y travailler en hiver. L'explication est simple : sont des vols professionnels ceux qui sont « payés par la boîte » – ce qui nous ramène à la question des frais professionnels. Mais pour un Cannes-Saint-Tropez, c'est difficile à défendre… Voilà le genre de choses qu'essaient de nous faire croire les représentants du secteur, qui défendent leur business. La vérité, en se fondant sur les lignes les plus empruntées, est qu'une grande part des vols est de l'ordre de l'agrément. Dès lors, la question est de savoir si on tolère cette pratique ou si on veut l'encadrer.

Vesoul devrait être beaucoup mieux desservi par le train, je suis entièrement d'accord avec vous : la priorité doit aller à l'investissement dans les transports du quotidien.

En ce qui concerne la décarbonation, je suis tout à fait prêt à creuser la question. Hélas, certains amendements ont été déclarés irrecevables. Étant un fervent défenseur du droit d'amender, je regrette que les propositions n'ayant qu'un lien indirect – voire très indirect – avec le texte ne bénéficient pas d'une tolérance plus grande, même si, en l'occurrence, cela m'arrange un peu. Cela permettrait au moins de débattre de certaines questions. D'ailleurs, nous avions déposé des amendements semblables dans le cadre du projet de loi de finances, et, rassurez-vous, ils avaient été eux aussi rejetés.

Madame Arrighi, le chiffre que vous avez donné est effectivement le plus parlant : l'aller-retour Paris-Nice équivaut à la consommation d'une voiture pendant un an. Cela résume parfaitement l'injustice qu'il y a entre ceux qui font des efforts, qui sont contraints de prendre leur voiture et de polluer car il n'y a pas de transports publics suffisants, ponctuels, fiables et sécurisés – ceux-là, on les culpabilise – et ceux qui se permettent de faire des trajets complètement superflus alors qu'ils pourraient emprunter des avions de ligne – je ne parle même pas de prendre le train. C'est une question de réduction des émissions de CO2, mais c'est aussi et d'abord une question de justice.

Monsieur Wulfranc, toutes mes excuses : c'est vrai, cette proposition de loi n'est pas assez radicale, et même carrément minimaliste ! Disons que c'est l'écologie des petits gestes : on fait ce qu'on peut…

Les membres du Gouvernement ont exprimé des positions très diverses sur la question. M. Véran a reconnu qu'il y avait deux poids, deux mesures entre les Français qui font des efforts et les ultrariches qui en sont complètement exemptés. M. Beaune, ministre délégué chargé des transports, en a tiré la conclusion qu'il fallait réguler. La Première ministre a déclaré qu'elle comptait sur l'exemplarité des propriétaires de jets, ce qui n'a pas marché. Compte tenu de cette diversité de positions, j'enjoins mes collègues de la majorité à retrouver leur autonomie de vote.

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