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Intervention de Delphine Batho

Réunion du mardi 28 mars 2023 à 17h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure :

J'ai le plaisir, au nom du groupe Écologiste-NUPES, de vous présenter cette proposition de loi relative à l'interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l'espace public.

Le texte que je vous présente est de bon sens : il comporte une mesure simple, basique, accessible, utile et attendue par les citoyennes et les citoyens. L'urgence écologique et le choc énergétique actuel obligent à faire le choix résolu de la sobriété énergétique et la chasse au gaspillage. Il faut commencer par mettre un terme aux consommations d'énergie les plus inutiles. Or, quoi de plus inutile qu'un panneau publicitaire lumineux ? Ces écrans envahissent pourtant peu à peu l'espace public : d'abord dans les aéroports, les gares et les métros, puis, depuis une dizaine d'années, sur la voie publique. Leur développement massif à l'intérieur des vitrines et des locaux commerciaux, depuis près de cinq ans, marque une nouvelle étape de l'invasion publicitaire.

On assiste à la fois à une augmentation quantitative du nombre de panneaux et à une plus grande agressivité : les panneaux numériques succèdent aux panneaux rétroéclairés et les vidéos se substituent de plus en plus aux images fixes. J'ai reçu ce matin de nouveaux chiffres du gestionnaire Réseau de transport d'électricité (RTE), qui complètent ceux de l'Agence de la transition écologique (Ademe), selon lesquels l'augmentation des écrans numériques publicitaires était de près de 40 % entre 2017 et 2019 ; RTE estime le nombre de panneaux lumineux à environ 290 000, dont 120 000 de deux mètres carrés, 120 000 de huit mètres carrés et entre 50 000 et 55 000 panneaux numériques de deux mètres carrés.

Le développement de la publicité lumineuse et la société d'hyperconsommation qu'elle promeut ne sont compatibles ni avec les impératifs liés à l'urgence énergétique et écologique, ni avec la nécessité de protéger la santé de nos concitoyens et de préserver la qualité de nos paysages.

Les publicités lumineuses constituent tout d'abord une aberration écologique et énergétique. Selon un rapport de l'Ademe de juillet 2020, la consommation électrique d'un écran publicitaire numérique de deux mètres carrés s'élève à plus de 2 000 kilowattheures (kWh) par an, soit la consommation moyenne d'un ménage français pour l'éclairage et l'électroménager, sans le chauffage. Si l'on prend en compte les émissions de gaz à effet de serre d'un panneau publicitaire numérique au cours de son cycle de vie, l'impact total est de près de 2 500 kilogrammes en équivalent CO2, soit l'impact d'un vol aller entre Paris et San Francisco pour un passager. Environ 40 % de l'impact environnemental d'un panneau numérique provient, au cours d'un cycle de vie estimé à dix ans, de sa fabrication. Celle-ci, pour un écran numérique de deux mètres carrés qui pèse 200 kilogrammes, nécessite huit tonnes de matériaux.

Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE a qualifié la consommation d'énergie des écrans publicitaires lumineux et numériques de « superflue » dans son bilan prévisionnel pour 2019. Il a souligné à juste titre qu'une disparition des écrans publicitaires, au-delà des économies d'énergie associées aux écrans eux-mêmes, aurait également un fort effet d'entraînement pour favoriser la sobriété. On ne peut pas demander aux ménages et aux entreprises de limiter leur consommation d'énergie et de faire la chasse au gaspillage et, dans le même temps, saturer l'espace public d'écrans qui consomment de l'énergie et de l'électricité sans avoir la moindre utilité sociale.

Par ailleurs, la multiplication des panneaux publicitaires lumineux accroît la pollution lumineuse, dont les effets sur la biodiversité sont prouvés : la biodiversité s'effondre à une vitesse vertigineuse, et si la pollution lumineuse n'en est pas la seule cause, les effets de celle-ci sont bien documentés, comme le rappelle une récente note de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), publiée en janvier 2023.

Les publicités lumineuses constituent également un danger pour la santé, en particulier celle des enfants. Les chercheurs que nous avons auditionnés ont indiqué que la lumière bleue des diodes électroluminescentes (LED) blanches conduit à un stress toxique pour la rétine. Les enfants sont particulièrement sensibles à ce risque car leur cristallin reste en développement et ne peut assurer un rôle efficace de filtre de la lumière. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a publié plusieurs avis alertant sur les effets nocifs des LED pour la santé. Ces effets néfastes ne se limitent pas aux troubles de la vision : l'exposition précoce aux écrans peut influencer le développement psychomoteur. Il est paradoxal de sensibiliser les parents quant aux effets nuisibles des écrans pour le développement des jeunes enfants, alors que des écrans géants sont installés partout dans l'espace public, là où ces enfants devraient pouvoir jouer et se déplacer en toute tranquillité.

Le déploiement des écrans publicitaires lumineux porte également préjudice à l'esthétique urbaine et au cadre de vie. Les panneaux s'interposent dans une perspective plus ou moins dégagée et organisent l'uniformisation des espaces publics, qui vont parfois jusqu'à être transformés en centres commerciaux à ciel ouvert. Au contraire, l'absence de publicité lumineuse contribue à la beauté de notre cadre de vie et à son attractivité touristique – d'ailleurs, leur absence constitue l'un des critères retenus dans la grille d'évaluation permettant d'obtenir le label « Villes et villages fleuris ».

L'omniprésence des panneaux publicitaires lumineux dans les villes constitue aussi un danger pour la circulation, comme le montrent plusieurs études internationales que je cite dans le rapport.

Enfin, les panneaux lumineux représentent une forme d'invasion publicitaire qui n'a fait l'objet d'aucun consentement. L'accord préalable et explicite des destinataires est inexistant ; il est impossible d'éviter la captation de l'attention par les publicités rétroéclairées ou diffusées sous la forme de vidéos car elles jouent sur des mécanismes cognitifs pensés pour cela. En outre, le développement de la publicité numérique est porteur d'un potentiel ciblage individualisé résultant de l'évolution rapide des technologies. Le wifi tracking, qui existe depuis 2012, permet à des capteurs intégrés dans les panneaux publicitaires de connaître les heures et les lieux de passage des téléphones portables identifiés par leur adresse Mac, même si les données recueillies doivent être anonymisées. Pire, les caméras « augmentées » diffusent des publicités ciblées en fonction de la tranche d'âge, du sexe ou des réactions émotionnelles des personnes passant devant les panneaux : la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a été récemment saisie de projets visant à développer de tels dispositifs, notamment dans des centres commerciaux. Ces bouleversements majeurs n'ont fait l'objet d'aucun débat démocratique alors qu'ils représentent un risque pour les libertés publiques.

Compte tenu des nombreux enjeux que je viens de décrire, la législation actuelle est largement insuffisante. L'interdiction des publicités lumineuses est limitée aux agglomérations de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie d'une unité urbaine de plus de 100 000 habitants, sachant que cette interdiction ne s'applique ni aux aéroports, ni aux gares, ni aux grands événements sportifs. Ailleurs, le règlement local de publicité (RLP) peut certes interdire les publicités lumineuses dans la commune ou l'intercommunalité, mais sa procédure d'adoption est particulièrement longue ; surtout, le RLP ne peut pas interdire les publicités situées à l'intérieur des vitrines mais visibles depuis la voie publique, lesquelles se développent massivement.

Le décret du 5 octobre 2022 interdit les publicités lumineuses uniquement entre une heure et six heures du matin. Si cette extinction pendant une courte partie de la nuit est de bon sens par rapport à la pollution lumineuse nocturne, elle est dénuée de pertinence sur le plan de la consommation électrique, les panneaux restant allumés aux heures où le réseau est le plus sollicité. Enfin, le décret du 17 octobre 2022, issu d'un amendement du groupe Écologiste du Sénat à la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, permet d'éteindre les publicités lumineuses en cas de situation de forte tension sur le réseau électrique, c'est-à-dire en cas de signal « Écowatt rouge », mais cette faculté n'a pas été mise en œuvre à ce jour.

L'interdiction des publicités lumineuses constitue une mesure d'intérêt général. Il s'agit d'abord d'une demande forte de la population. Je tiens à saluer les organisations non gouvernementales (ONG) et les collectifs citoyens qui se mobilisent pour cette cause depuis des années. La Convention citoyenne pour le climat avait souhaité interdire les panneaux publicitaires lumineux dans les espaces publics extérieurs, mais les amendements visant à traduire cette proposition dans la loi ont été rejetés lors de l'examen du projet de loi « climat et résilience » à l'Assemblée nationale. Le contexte énergétique était différent à l'époque et la crise électrique moins vive.

Les collectivités qui ont d'ores et déjà interdit ou fortement réduit la publicité lumineuse ont constaté à la fois que la mesure était très populaire parmi la population et qu'elle faisait l'objet d'un large consensus politique local. Le projet de RLP de la métropole de Lyon a obtenu un avis favorable de 80 % de ses cinquante-neuf communes en juin 2022. Celui de la métropole de Grenoble, qui regroupe quarante-neuf communes, a été adopté en 2019 à l'unanimité. Il existe donc un fort consensus citoyen quant à la nécessité d'interdire les écrans publicitaires lumineux et numériques, ainsi qu'une documentation fournie, qu'il s'agisse de rapports d'experts, d'ONG ou, en ce qui concerne plus spécifiquement les dangers des écrans en matière de santé, de scientifiques reconnus.

Compte tenu de tous ces éléments, l'adoption de mesures législatives nouvelles s'impose sans attendre. La proposition de loi que je vous présente vise à instaurer une interdiction générale de toute forme de publicité lumineuse, y compris les publicités éclairées par projection ou transparence et les publicités numériques. Le champ de ce texte est plus restreint que les précédentes propositions de loi visant à réguler la publicité, examinées ces dernières années par l'Assemblée nationale. Il n'a pas pour objet d'encadrer certains contenus publicitaires, par exemple ceux en faveur des produits les plus nocifs pour le climat, ni d'interdire l'ensemble de la publicité extérieure, mais uniquement l'un de ses supports, celui dont les conséquences sont les plus néfastes pour l'environnement et la santé. Je rappelle à ce sujet que la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel permet de faire primer la protection de l'environnement et celle de la santé publique sur d'autres considérations. L'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé a été énoncé dans la décision du 8 janvier 1991 rendue sur la loi Évin. La protection de l'environnement, quant à elle, a été érigée en objectif à valeur constitutionnelle dans une décision du 31 janvier 2020 répondant à une question prioritaire de constitutionnalité relative à la liberté d'entreprendre. Enfin, le Conseil d'État a récemment affirmé que la lutte contre le gaspillage énergétique répondait à l'intérêt général, dans une décision rendue le 24 février 2023 sur le décret du 5 octobre 2022, qui impose l'extinction des publicités lumineuses entre une heure et six heures du matin. Cette décision vient sécuriser, voire encourager, d'autres actions allant dans le même sens.

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