Intervention de Maître Thaima Samman

Réunion du jeudi 16 mars 2023 à 9h20
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Maître Thaima Samman, avocate, représentante du cabinet Fipra en France :

La « loi Sapin 2 » n'a pas changé grand-chose dans nos pratiques. Je suis issue d'une histoire et d'une culture qui font que je sais exactement ce que je suis et ce que je fais, avec qui je travaille. Attachée à l'éthique et à la déontologie, je ne franchis jamais la ligne jaune et je franchis très rarement la ligne grise.

En revanche, la « loi Sapin 2 » a modifié la perception par l'extérieur et l'acceptabilité de cette profession. Avant cette loi, des registres de transparence existaient déjà à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Pour ma part, je ne tiens pas à disposer de badge mais je m'annonce et me fais enregistrer lors de chacune de mes venues.

La « loi Sapin 2 » a donc changé l'acceptabilité, la légitimité et la transparence sur l'activité. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et le registre de transparence nous obligent à déclarer nos clients, les thèmes sur lesquels nous travaillons, à partir du moment où existe la volonté – même si je n'aime pas le terme – d'influencer une décision publique. Nous déclarons également la qualité des personnes rencontrées – un conseiller ministériel, un directeur de services de l'administration, un parlementaire – ainsi que les fourchettes du budget alloué à cette activité. Le Conseil national de l'ordre des avocats a ainsi dû modifier partiellement son règlement intérieur pour nous permettre de lever partiellement notre secret et de donner ces informations au même titre que les autres. Je souscris totalement à cette évolution. Mon cabinet a d'ailleurs été cabinet test avec la HATVP pour contribuer à mettre en place un système et une procédure fonctionnant correctement.

La France dispose de cette loi depuis 2018. Il faut désormais se laisser le temps d'observer si elle satisfait aux obligations de transparence. Il est possible d'aller plus loin ; je pense qu'il faut laisser le temps aux gens de réfléchir, de consulter, voire de changer d'avis, mais il me semble pertinent de faire la transparence sur l'identité des personnes rencontrées par les décideurs publics.

La France a, comme souvent, embrassé cette démarche de transparence un peu plus tard que d'autres pays qui ont établi plus tôt des registres de transparence. Le pays le plus strict en matière de déclaration est les États-Unis pour une raison simple : les dépenses électorales n'y sont pas plafonnées. Ensuite, les institutions européennes ont mis en place un certain nombre de textes : le dialogue avec les entreprises fait en effet partie du jeu de la négociation à Bruxelles qui pratique par ailleurs de nombreuses consultations transparentes : livre vert, livre blanc, consultation, etc. Des discussions plus informelles peuvent également y être menées afin de faire émerger l'intelligence collective.

Pendant longtemps, le registre n'était pas obligatoire à Bruxelles mais il était en revanche impossible d'obtenir un rendez-vous auprès de personnels de la Commission sans être enregistré, sous peine de commettre une infraction. À l'époque, je dirigeais les équipes Europe-Moyen Orient-Afrique de Microsoft et il n'était pas toujours facile de déterminer le périmètre de nos déclarations. Pour ma part, j'ai toujours souhaité adopter une posture maximaliste en la matière. J'étais donc bien éduquée lorsque la loi est intervenue en France ; elle transpose d'ailleurs assez fidèlement le registre bruxellois, lequel est pour sa part devenu obligatoire en 2021.

De manière assez étonnante, l'Allemagne ne dispose d'un registre que depuis très peu de temps. Notre cabinet a d'ailleurs établi un tableau comparatif des registres de transparence en Europe que je pourrai vous transmettre si vous le souhaitez. Le pays qui apparaît le plus sévère est l'Irlande, où la déclaration est bien plus large concernant les personnes qui doivent rendre compte des différentes informations. Au Royaume-Uni, les registres étaient plus liés aux villes ; le registre national étant moins prégnant. Toutefois, dans ce pays, représenter les intérêts économiques est quasi génétique et donc moins contesté que dans d'autres cultures. Les affaires publiques sont d'ailleurs plus nées à Londres qu'à Washington.

En résumé, la demande de transparence augmente partout en Europe.

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