Je ne vais pas pouvoir vous répondre sur les activités que j'ai menées pour Uber ; je ne le peux pas. Cependant, vous pouvez parfaitement poser cette question à la société Uber qui n'est pas tenue par le même secret.
En revanche, je peux vous expliquer ce que nous faisons en général et qui n'est pas très différent de ce que nous avons réalisé pour Uber. Nous ne nous cachons pas. Au contraire, il est très important que notre profession soit reconnue comme légitime et que nous expliquions notre action, les conditions de son exercice et l'évolution de l'activité.
Pourquoi la société Uber a-t-elle fait appel à moi ? La raison est simple. J'ai passé dix ans chez Microsoft. Le grand patron des affaires publiques d'Uber, basé à Washington, a rencontré une de mes anciennes collègues de Microsoft, en lui demandant une référence en France. Il m'a appelée et m'a demandé si ma spécialisation en matière d'affaires publiques relevait plutôt du segment de la communication ou de celui de la négociation institutionnelle ( policy advocacy chez les Anglo-saxons). Je me permets d'indiquer à cette occasion que cette profession était à l'époque très rare en France, pour des raisons liées à son histoire et à la nature assez incestueuse entre les mondes économique et administratif, dont les dirigeants sortent des mêmes écoles. Dès lors, il était rare de proposer des activités d'affaires publiques officielles, transparentes et objectives, puisque les dirigeants se voyaient à titre individuel pour faire avancer leurs dossiers.
L'évolution des sociétés, la complexité et la technicité des sujets ont diminué l'importance de ce volet relationnel. Désormais, il importe de convaincre, dans le cadre d'une discussion plus rationnelle sur le fond, laquelle demande de faire appel à des structures qui maîtrisent la procédure institutionnelle, les sujets techniques et les modèles économiques. L'objectif consiste ainsi à discuter avec des gens qui ont besoin de disposer d'un angle de vue auquel ils n'auraient pas nécessairement accès.
Mon métier consiste à plaider en donnant un éclairage qui est l'argumentation des intérêts que je représente. Cela ne signifie pas que ma parole doit être la seule qui doit être entendue par les personnes auxquelles je parle. Je les encourage d'ailleurs à échanger avec l'ensemble des parties prenantes pour prendre leur décision de manière éclairée.
Je rappelle qu'en tant qu'avocats, notre activité diffère de celle des consultants. Nous menons d'abord des analyses juridiques. À ce titre, nous avons analysé différents textes d'encadrement de l'activité du transport de personnes. De spécialiste du numérique, je suis ainsi devenue experte de la question des transports, qui est au cœur de la problématique des VTC. Notre expertise s'est également développée de manière comparatiste en étudiant les dispositifs d'encadrement à l'œuvre dans d'autres pays, qui pouvaient nous servir de modèles.
Dans le modèle dit « New York », de grandes sociétés de taxis mettent à disposition des taxis et embauchent des chauffeurs. Les prix d'acquisition du droit de conduire peuvent y être très élevés et assez compliqués. À Boston, le modèle est multi-acteurs, la licence y est moins onéreuse à acquérir ; la valeur porte donc plus sur le chauffeur que sur la société de taxis proprement dite. Londres constituait également un modèle intéressant. L'organisme de régulation des transports privés y était commun aux taxis et aux VTC ; la structure réunissait le ministère des Transports, le ministère de l'Intérieur, le ministère de l'Économie ainsi que les villes concernées.
L'appréhension du sujet différait donc de celle de la France où peu d'interlocuteurs comprenaient le sujet du transport privé au ministère des Transports compte tenu de la nouveauté du sujet. S'en est suivi un affrontement entre le ministère de l'Intérieur, qui portait plutôt la voix des taxis, et le ministère de l'Économie, dont la direction générale des Entreprises (DGE) était sensible aux arguments des VTC, dans une orientation plus économique.
Dans ce cadre, pour mener à bien une stratégie d'affaires publiques, nous conduisons des analyses de l'encadrement législatif et réglementaire et proposons une cartographie des parties prenantes. Nous développons ensuite notre proposition de valeur et discutons avec les gens en charge de réfléchir à ces sujets pour leur offrir un éclairage – qui peut aller au-delà des intérêts que nous représentons – dans un dialogue que j'aime qualifier de constructif. Nos interlocuteurs doivent ainsi être informés de l'ensemble des problématiques, y compris de l'opposition entre des intérêts divergents. Le responsable public doit en effet pouvoir assumer la décision qu'il aura prise.
Dans ce dossier, de nombreuses réunions officielles se sont déroulées. J'ai ainsi participé, à l'Assemblée nationale, à une session d'une journée avec l'ensemble des parties prenantes, dans la salle Colbert. Nous avions été convoqués à une réunion consultative, au même titre que la Grande Remise, les taxis, les entreprises de VTC, les parlementaires et les hauts fonctionnaires en charge de la rédaction d'un rapport chargé de définir la proposition législative. Cette réunion ressemblait d'ailleurs plus à une manifestation étudiante. Pour l'anecdote, les VTC startuppers issus d'un autre monde étaient complètement déstabilisés par des taxis qui avaient l'habitude de la « castagne ». Heureusement, des arbitres ont permis à chacun de positionner leurs différentes présentations. De mémoire, cette réunion a dû intervenir pendant la discussion de la première loi dite « loi Thévenoud », fin 2013 ou début 2014.