Intervention de Maître Thaima Samman

Réunion du jeudi 16 mars 2023 à 9h20
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Maître Thaima Samman, avocate, représentante du cabinet Fipra en France :

Nous avons commencé à travailler pour Uber en avril 2013. Lorsqu'ils m'ont appelée, je n'avais aucune connaissance sur cette société. En revanche, je connaissais plutôt bien la problématique des taxis et des transports privés : habitant en banlieue, j'en suis une grande consommatrice. J'avais conscience des sujets évoqués puisque le système était spécifique à la France.

Les autorisations de transporter les personnes privées sont réglementées partout dans le monde dans la mesure où cette activité soulève deux problématiques. La première porte sur la sécurité des personnes : une personne qui rentre dans un véhicule est soumise à une forme de fragilité puisque ce véhicule circule. Dans d'autres pays où la réglementation est moins stricte, des cas d'enlèvements, de chantages et de demandes de rançon ont ainsi été répertoriés. Plus précisément, le danger porte ici sur deux personnes : celle qui rentre dans le véhicule et celle qui le conduit. La deuxième problématique, qui nécessite une réglementation de l'activité, a trait à l'encombrement des routes mais aussi à la pollution dans un contexte de changement climatique.

Le cadre réglementaire existe donc depuis longtemps et la problématique posée par l'organisation française des taxis fait l'objet de rapports depuis un certain temps, le premier datant de 1960, d'après nos recherches. Depuis cette date, une quinzaine de rapports ont été produits, que je mettrai à votre disposition si vous le souhaitez, même si j'ai constaté que vous les aviez également repérés lors de vos travaux

Il existe plusieurs familles d'organisation du transport personnel privé. En caricaturant, il existe plus précisément deux modèles : le « modèle Boston » et le « modèle New York », l'organisation française se rattachant plutôt à ce dernier. Ainsi, dans notre pays, les collectivités territoriales octroient des licences de taxi – Paris faisant exception puisque cet octroi relève de la préfecture de police, officiellement par tirage au sort. Celui-ci est réalisé à titre gratuit, puisque la personne concernée le reçoit à titre individuel ; on dit qu'elle est qualifiée pour l'avoir. Cependant, la rareté de la licence en a fait un instrument spéculatif : les personnes qui en sont titulaires peuvent la revendre, à des prix qui pouvaient aller jusqu'à 250 000 euros en 2015.

Ceci pouvait poser problème pour des chauffeurs de taxi qui avaient utilisé leurs économies pour obtenir une licence qui baissait en valeur avec l'arrivée des VTC mais pour lesquelles on ne pouvait pas trouver de solution de rachat. Il en avait été autrement pour les avoués, dont la charge avait été rachetée par l'État pour un prix assez conséquent alors qu'à l'origine elle était acquise à titre gratuit.

Le transport individuel posait question à Paris mais aussi dans l'ensemble des grandes villes françaises. Pour le régulateur, le sujet consistait à essayer d'identifier le nombre de véhicules à mettre à disposition. Le système s'apparentait à celui des médecins : on essaye d'en restreindre l'octroi parce que l'on pense que la politique de restriction de l'offre va pouvoir résoudre la problématique de l'encombrement des routes. Ce faisant, le pouvoir de ceux qui en disposaient était très important et ne permettait pas d'offrir un système de transport privé digne d'une ville comme Paris par exemple, qui perdait régulièrement des points dans les évaluations d'attractivité des grandes villes. En effet, ceux qui s'en souviennent peuvent témoigner de la difficulté éprouvée à l'époque pour trouver un taxi à la volée dans Paris. Il existait donc une carence de l'offre.

Différents gouvernements avaient régulièrement essayé de trouver une solution à cette situation juridiquement compliquée, pour ouvrir le marché et permettre une offre répondant à la fois aux besoins de la population locale mais aussi aux impératifs économiques et touristiques. Les autres licences étaient données à ce que l'on appelait la Grande Remise, qui proposait les fameuses limousines pouvant être louées à la journée ; d'autres licences étant octroyées par exemple pour le transport de malades ou pour les petits bus effectuant du transport de personnes.

Le statut des VTC a été adopté dans le cadre d'une loi de 2009 portant sur la consommation et permettait d'élargir le marché de la Grande Remise pour ouvrir le transport privé de personnes en France. Néanmoins, la loi de 2009 n'avait probablement pas pris en compte l'émergence des plateformes et des technologies de l'information qui ont rendu plus facile la mise en connexion des voitures qui circulaient et des personnes qui avaient besoin d'être transportées.

À l'époque, je me souviens d'une discussion avec des représentants du ministère de l'Intérieur qui se demandaient pourquoi tant de personnes souhaitaient devenir chauffeurs. Nous expliquions alors que le marché avait besoin de s'ouvrir dans la mesure où l'offre de l'époque était insuffisante face à la demande. Ce déséquilibre a ainsi entraîné l'arrivée d'un très grand nombre d'acteurs, dont Uber. Depuis, le marché s'est en partie consolidé mais il existe toujours des services de VTC, notamment assurés par la SNCF ou Transdev, compte tenu de la nécessité de répondre aux besoins.

L'arrivée de cette nouvelle activité a entraîné l'émergence d'un certain nombre de sujets, notamment la cohabitation avec les taxis. Il a donc fallu plusieurs années pour essayer de trouver un juste équilibre, bien au-delà de notre accompagnement d'Uber. Deux lois se sont ainsi succédé. Désormais, il est beaucoup plus facile d'avoir accès à une voiture vous transportant d'un point à un autre, dans une grande ville, à toute heure de la journée ou de la nuit. L'activité s'est donc développée, à travers l'organisation des diverses parties prenantes, de la circulation et du partage de la valeur entre les chauffeurs et les plateformes, taxis ou VTC.

Enfin, lorsque l'on étudie les dossiers, il est souvent question de l'artisan taxi. À l'époque – mes chiffres ne sont pas à jour – sur le nombre de taxis à Paris, seulement 8 % des chauffeurs de taxi étaient artisans-chauffeurs. Les autres étaient soit locataires soit salariés d'entreprises de taxi. Les statuts de ces chauffeurs n'étaient donc pas forcément plus favorables que celui des chauffeurs de VTC aujourd'hui.

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