Maître Samman, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre présence devant notre commission d'enquête sur les révélations des Uber files.
Je vous rappelle que cette commission poursuit un double objet : d'une part, examiner l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France et le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts ; d'autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales, environnementales du développement du modèle Uber en France et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.
Dans ce cadre, nous avons souhaité vous entendre aujourd'hui en tant que représentante du réseau international de cabinet de conseil en affaires publiques Fipra, qui a été largement cité par les journalistes du quotidien Le Monde dans les articles relatifs aux Uber files l'été dernier. Selon ces articles, les dirigeants d'Uber auraient, avec l'aide du cabinet Fipra, ébauché une stratégie de lobbying pour approcher près de 1 850 cibles ou personnalités politiques dans une trentaine de pays européens – nous avons d'ailleurs examiné ces débats dans d'autres pays européens – pour appuyer la démarche d'implantation d'Uber entre 2013 et 2015.
Le réseau Fipra en France aurait également rédigé, selon ces articles, des amendements à la demande d'Uber pour favoriser l'implantation des VTC. Il les aurait ensuite transmis à des parlementaires, afin qu'ils les déposent dans le cadre de la discussion du projet de « loi Macron », en janvier 2015. Au total, selon les informations transmises par Monsieur MacGann, l'ensemble des activités de lobbying mené par le réseau de Fipra international aurait été facturé pour un montant de près de 2,5 millions d'euros entre août 2014 et 2015.
Nous souhaiterions aujourd'hui que vous puissiez nous expliquer votre version des faits et confirmer ou non les révélations contenues dans les Uber files. Considérez-vous que la démarche de lobbying de la société Uber à l'époque revêtait un caractère exceptionnel par rapport aux méthodes de lobbying que vous avez pu observer pour d'autres clients du secteur du VTC, d'autres clients du numérique ou d'autres secteurs d'activité, à cette époque ou aujourd'hui ?
Vous avez déclaré, par exemple, le 11 octobre 2015 dans le journal Les Échos que « C'est la stratégie des pieds dans le plat. Uber joue avec les limites du système. Les pouvoirs publics ont longtemps préféré regarder ailleurs, partagés entre une conviction intime pour beaucoup d'entre eux que le modèle du taxi traditionnel en France avait vécu, mais ne souhaitant pas l'assumer publiquement. Ils ont laissé filer la situation et ont été pris de court par le positionnement frontal de l'entreprise. »
Pouvez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles vous pensez que les pouvoirs publics auraient laissé filer la situation et si cela vous paraît correspondre avec d'autres situations en Europe ? On sait que les débats sur la réglementation et l'offre de taxis en France par rapport à d'autres pays préexistaient à l'arrivée des VTC, ou en tout cas de plateformes de VTC telles qu'Uber en France.
De plus, j'ai relevé un article du 5 septembre 2022 publié sur le site Intelekto intitulé La France championne d'Europe de l'encadrement du lobbying, dans lequel vous considérez légitime de réglementer les activités de lobbying et que le système français était « assez équilibré ». À la suite des révélations des Uber Files, pensez-vous qu'il faudrait néanmoins encore améliorer et renforcer nos règles pour accroître la transparence des relations entre les représentants d'intérêts et les décideurs publics ? Je vous demanderai aussi votre perception du positionnement de la France par rapport à ses voisins européens.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».