Intervention de Bruno Mettling

Réunion du jeudi 16 mars 2023 à 9h20
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Bruno Mettling, président de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe) :

Ces prestations n'étaient pas des prestations de lobbying et d'influence mais des prestations de conseil qui mobilisent l'expertise, par exemple sur le benchmark du statut d'indépendant et ses conséquences en termes de couverture sociale, de maladie professionnelle ou de chômage. De plus, elles se sont déroulées deux ans au préalable alors qu'il n'était pas encore question de l'Arpe. Et surtout, ces prestations ont été clairement révélées, de manière totalement transparente. Je ne vois donc pas en quoi je serais illégitime mais je ne peux certes pas empêcher certaines personnes de considérer que mon indépendance est altérée. Ensuite, il n'y a pas eu de déclaration effectuée auprès de la HATVP car elle n'est pas prévue par les textes. L'Arpe est une autorité de régulation du dialogue social.

Par ailleurs, vos propos tendent à dire que l'Arpe participe d'un processus qui vise à contester les conséquences légales d'un certain nombre de dispositions européennes. En tant que président de l'Arpe, je n'ai pas à me substituer au débat politique. Pourquoi ai-je accepté cette présidence du conseil d'administration de l'Arpe qui me semble être un enjeu très important ? Je suis dubitatif sur la compatibilité de cette forme d'activité en France avec le statut de salarié. Le statut de salarié n'est pas un socle commun dans tous les pays européens. En France, il se caractérise par un très haut niveau de droits, de protection, mais également d'obligations faites aux salariés, par exemple des obligations de loyauté, de non-concurrence, de temps de travail et de présence systématique dans les horaires de travail.

Les Anglais ont particulièrement favorisé le tiers statut (workers), à côté du statut d' employees, semblable au CDI en France. En Angleterre, un employeur n'est pas tenu de vous fournir, à un worker, la moindre heure de travail. On peut y être salarié au sens du statut de worker avec une fiche de paye à zéro. Effectivement, de nombreux pays européens ont mis en place des tiers statuts. Ma conviction d'observateur du dialogue social, que j'ai répétée à maintes reprises, est la suivante : en France, 26 millions de salariés ont accès à un niveau de droits et d'obligations importants tandis que 100 000 personnes ont une situation sociale inacceptable qu'il faut traiter. Dans ces circonstances, il faut prendre garde à ce que la réponse apportée à la situation sociale de ces 100 000 personnes ne déstabilise pas le statut de salarié.

Certains syndicats ont accepté cette logique de travail indépendant lors des négociations collectives parce qu'ils sont parfaitement conscients que la dynamique qui consisterait à associer à ce type d'activité des obligations de temps de travail qui ne sont pas établies porte en germe des risques de déstabilisation du salariat. Ce n'est pas le piano qui doit aller au tabouret : il faut protéger la situation des 26 millions de salariés de ce pays. En revanche, il ne faut pas croire que l'on peut impunément intégrer dans un régime de salariat ce type d'activité et son mode de fonctionnement.

J'entends ceux qui disent que ceci est très simple et qu'il faudrait uniquement conserver les droits des salariés sans retenir les obligations qui y sont associées. Pour ma part, je n'ai pas vu à ce jour la démonstration de la capacité à concilier cette forme d'activité telle qu'elle s'exerce – avec une certaine liberté et autonomie des travailleurs – avec le statut de salariés et ses obligations afférentes.

Face à la situation inacceptable en termes de droits fondamentaux essentiels et de protection des travailleurs, la voie qui a été choisie me convient. Elle consiste à essayer, par la négociation collective, de répondre à certaines interrogations et de mettre à niveau les droits fondamentaux. En revanche, si dans les deux ans à venir (2023-2024), il n'y a pas de remise à niveau des droits fondamentaux, ni prise en compte des temps de repos dans la rémunération des travailleurs, si le niveau réel de salaire demeure très inférieur au SMIC horaire pour ces travailleurs, alors il faudra s'interroger sur les démarches. L'honnêteté m'oblige à dire que si tel n'est pas le cas, le pari que j'ai fait en m'engageant dans la responsabilité qui est la mienne pour tester la négociation collective dans sa capacité à répondre à ce déficit de droits et de protection aura échoué.

En France, si l'on veut concilier l'accès de 100 000 jeunes à une activité et à des droits sociaux minimum – qui ne sont pas établis aujourd'hui – avec une traduction et une mise en œuvre rapides, la voie de la négociation collective avec des représentants légitimes me semble la plus appropriée. D'autres personnes ont des points de vue différents, que je respecte.

Enfin, lorsque l'on me demande s'il faut transposer ce qui se déroule à l'Arpe à d'autres catégories de travailleurs indépendants, notamment ceux en intérim, je réponds par la négative. La caractéristique de ces plateformes de mobilité est la création de nouveaux marchés par rapport à des situations d'activité qui n'existaient pas. En effet, ce transfert déstabiliserait la situation de salariés et le financement de la protection sociale associée à ces droits.

Je suis de ceux qui ont toujours dit que l'urgence consiste également à regarder les conditions de la participation des plateformes au financement de la protection sociale de notre pays. Or à ce stade nous n'y sommes pas encore.

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