Lors de votre propos liminaire, vous avez indiqué parler avec passion et conviction. Soyez convaincu que je ne suis pas en reste sur ce registre. Je parlerai donc avec passion et conviction.
Vous avez été, de fait, un acteur central dans la contribution d'Uber lors de la mission Frouin, à travers la commande passée par le cabinet AT Kearney auprès de Topics. Comprenez donc qu'un bon nombre de travailleuses et de travailleurs soient choqués, pour ne pas dire scandalisés, que celui qui a été rémunéré – certes indirectement – par Uber pour contribuer aux rapports des intérêts d'Uber à la mission Frouin se retrouve ensuite à la présidence de l'Arpe.
Je rappelle que l'Arpe a eu pour rôle d'exclure la question de la requalification des travailleurs en salariés. Or, cette question de requalification est de plus en plus prégnante, qu'il s'agisse des décisions de justice ou de l'adoption par le Parlement européen d'une directive européenne portant sur la présomption de salariat des travailleurs des plateformes.
Mes questions sont de plusieurs ordres. Tout d'abord, puisque les faits sont établis, vous avez travaillé à un moment donné pour un cabinet qui a été rémunéré par Uber. Je vous suis d'ailleurs reconnaissante d'avoir accepté de transmettre à la commission les documents afférents, notamment les factures et la rédaction de la commande et du rendu.
Néanmoins, avez-vous eu le sentiment d'avoir été la cible d'un lobbying de la part d'Uber ou d'une autre plateforme numérique ? Ensuite, avez-vous joué un rôle dans la rédaction de l'ordonnance du 21 avril 2021 prévu dans la loi LOM ? Je rappelle que, dans le cadre de cette loi, était prévue une possibilité, pour les plateformes, d'instaurer une charte facultative fixant « les conditions et les modalités d'exercice de sa responsabilité sociale » et « définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ». En contrepartie, le juge ne devait pas pouvoir requalifier en salariés les travailleurs des plateformes. Finalement, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, car elle remettait en cause la réalité des faits qu'est le lien de subordination.
Notre commission a été créée à la suite de l'immense scandale suscité par la révélation des Uber files. Les journalistes ont ainsi dévoilé que l'entreprise Uber avait commis un très grand nombre d'illégalités et n'avait pas respecté le droit. Pour autant, elle a disposé de contacts privilégiés avec un ministre de l'Économie contre l'avis même de son Gouvernement et en toute opacité. Les manquements au droit de la part de la multinationale Uber sont donc extrêmement graves. D'autres manquements ont eu lieu ; notre commission d'enquête est chargée de les établir.
Ensuite, en tant que président de l'Arpe, avez-vous été soumis à des obligations de déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ? A-t-elle émis des réserves sur le cumul de votre mission avec vos activités antérieures, dont nous venons de parler ou avec vos activités de conseil, qui vous ont de fait conduit à être rémunéré par Uber à un moment donné ?
Mes autres questions concernent l'Arpe. Cette autorité, créée par le Gouvernement, gère les relations sociales entre les plateformes et les travailleurs et exclut la requalification du statut des travailleurs en salariés. Comme vous l'avez signalé avec franchise, elle procède d'une décision politique qui exclut également cette requalification pour rechercher un tiers statut, ni salarié, ni totalement indépendant. Le lobbying d'Uber défend précisément le tiers statut depuis le début, auprès de l'Union européenne et dans le monde entier, parce qu'elle voit bien que la requalification en salariat ne cesse de gagner du terrain.