Intervention de Bruno Mettling

Réunion du jeudi 16 mars 2023 à 9h20
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Bruno Mettling, président de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe) :

Je souhaite effectivement me présenter en quelques mots et partager avec vous ce qui peut expliquer pourquoi plusieurs gouvernements successifs ont bien voulu m'honorer en faisant appel à mon expertise pour accompagner leur réflexion et leur action quant à l'impact social de la transformation numérique. Je suis en effet devant vous en tant que praticien du dialogue social et expert des conséquences de cette transformation numérique sur l'organisation du travail.

Mon parcours est d'abord celui d'un praticien du dialogue social, qui a accompagné, comme conseiller de ministres du travail et plus récemment comme directeur des ressources humaines – DRH – les transformations sociales importantes de notre pays et de ses entreprises. À la fin des années 1990, j'ai été le DRH de la réforme des Caisses d'épargne, dont la refonte du statut social s'est accompagnée d'un très faible taux de conflictualité, puis dirigeant des Banques populaires, pour fonder BPCE. Dans les années 2010, j'ai été appelé comme DRH de France Telecom devenu Orange pour apaiser l'entreprise au moment de la plus grave crise sociale de son histoire, la crise dite des suicides.

Je suis donc un DRH qui n'a pas hésité à répondre présent car la conviction qui a forgé mon engagement professionnel est que, dans notre pays, quand on organise le dialogue social et la concertation, dans un cadre équilibré entre les parties, il est alors possible de trouver un chemin de progrès et d'équilibre. Je le dis avec conviction ; j'ai senti dans tous ces travaux qu'il faut convaincre et expliquer pourquoi mon positionnement trouve son origine et sa légitimité dans mon parcours professionnel et le traitement de sujets sociaux aussi difficiles que la refonte des Caisses d'épargne ou la crise sociale d'Orange, premier employeur du numérique en France.

J'ai décidé il y a maintenant cinq ans de me consacrer à l'activité de conseil aux entreprises autour des enjeux de la gestion du volet humain des transformations. J'ai ainsi créé le cabinet Topics il y a cinq ans et nous avons réalisé plus de deux cents missions de service aux entreprises, autour justement de cette transformation du travail et des enjeux du travail hybride, des problématiques de management et des conséquences de cette transformation sur la santé des salariés. Tel est le cœur de mon expertise : non seulement le dialogue social mais également toutes les conséquences de cette transformation du travail sur les salariés, dans un rôle de conseil aux entreprises.

Dans ce cadre, j'ai été sollicité par un cabinet qu'Uber avait chargé d'organiser une concertation en amont du « rapport Frouin ». En tant qu'expert du numérique et du travail, j'ai répondu présent : le conseil aux entreprises est le cœur de mon activité.

Dans ce parcours en entreprises, j'ai été régulièrement appelé par plusieurs ministres, notamment du Travail, pour différentes fonctions de conseil et de réflexion, compte tenu de mon expertise dans le dialogue social et le numérique. J'ai toujours répondu présent car je considère qu'il s'agit d'un devoir, même si cela vous expose et vous vaut des critiques très fortes, de mettre mon expertise et les compétences qui peuvent être les miennes au service du Gouvernement, quand elles ont été sollicitées. Il s'est toujours agi d'un réflexe de ma part, particulièrement lorsque l'on vit la plus grande transformation du travail que l'on ait connue, et dont le rythme s'accélère.

Pour ne parler que de la période récente, j'ai été sollicité en 2015 – soit sept ans avant que l'on ne parle de l'Arpe et de régulation sociale du travail – par François Rebsamen, alors ministre du travail, pour conduire au niveau national la première concertation entre les partenaires sociaux et les experts numériques. En effet, alors que la transformation numérique était à l'œuvre dans les entreprises depuis plus de dix ans, il n'y avait jamais eu de concertation au niveau national entre les partenaires sociaux et les experts du numérique, ne serait-ce que pour présenter au gouvernement les enjeux et anticipations de cette transformation numérique du travail.

La mission confiée par François Rebsamen a duré près d'un an et mon rapport a été remis en septembre 2015 à Myriam El Khomri. Nous avons, du Medef à la CGT en passant par l'ensemble des partenaires sociaux représentatifs, conclus de manière consensuelle sur les enjeux du numérique. Nous y sommes parvenus parce que nous avons toujours adopté la même posture : face à la transformation numérique, il faut saisir avec la même détermination les potentialités que cette transformation porte mais aussi les risques auxquelles elle expose. C'est ce même état d'esprit que nous développons aujourd'hui face aux enjeux de cette transformation.

Pour revenir à la période plus récente, c'est sans doute ce travail de concertation qui a conduit la ministre du Travail à me proposer de conduire cette task force, à la suite de la mission Frouin, qui avait déjà mené un travail considérable d'écoute et de transformation. Il est vrai qu'un certain nombre de ses recommandations n'ont pas fait l'unanimité au sein du Gouvernement, notamment la proposition de développer des logiques coopératives et de portage salarial pour répondre à la problématique du statut salarié et de ces formes très particulières d'activité.

En compagnie de Mathias Dufour et de Pauline Trequesser, représentante d'un collectif de travailleurs indépendants de Bordeaux, j'ai conduit cette task force, qui a repris cette concertation. Lorsque je me suis présenté aux partenaires, j'ai évidemment indiqué que j'avais eu l'occasion, deux ans plus tôt, d'apporter mon expertise aux travaux qu'Uber avait organisés.

Cette task force nous a conduits à rencontrer des dizaines de représentants lors d'une centaine d'heures de concertation, à soumettre au Gouvernement des projets d'ordonnance et, surtout, à lui proposer de faire le point sur l'état d'esprit des collaborateurs, afin de faire émerger ce fameux dialogue social. Nous étions également chargés d'étudier la question d'une troisième voie éventuelle entre le statut d'indépendant et le statut de salarié qui permette de répondre au déficit de droits et de protection.

Dans les rapports que nous avons remis au Gouvernement, nous pointions que l'accès de plus de 100 000 jeunes exclus du marché du travail traditionnel à cette activité n'était pas négligeable. Nous relevions à l'inverse que le déficit de droits et de protection y compris des droits fondamentaux des travailleurs – par exemple le fait de ne pas perdre du jour au lendemain son activité parce qu'un algorithme vous a déconnecté sans avoir la possibilité de s'expliquer sur une situation – n'était pas plus acceptable.

Nous avons proposé et validé un certain nombre d'enjeux pour structurer ce dialogue social dès lors que le choix politique avait consisté à conserver un statut d'indépendant, tout en contestant ces situations inacceptables. De là est née la structuration du dialogue social.

Les représentants des travailleurs nous ont indiqué qu'ils ne voulaient pas que le dialogue social et le vote soient organisés par les plateformes. Nous avons ainsi constaté un déficit de confiance considérable entre les plateformes et les représentants des travailleurs. Nous avons aussi entendu un certain nombre d'entre eux indiquer que l'organisation traditionnelle du dialogue social ne leur convenait pas et que les organisations de travailleurs qu'ils représentent devaient avoir leur place, à côté des organisations syndicales traditionnelles.

Nous avons donc forgé de toutes pièces un nouveau système de dialogue social. Dès lors que le statut d'indépendant avait été conservé, la conséquence logique a consisté à réfléchir à la manière d'organiser un dispositif de négociation collective avec des représentants légitimes des travailleurs – c'est-à-dire en démocratie, résultant d'un processus d'élections organisées par l'État – et la nécessité d'un tiers de confiance.

En résumé, l'Arpe est un tiers de confiance mis à la disposition des parties pour leur permettre de structurer les conditions de leur dialogue social. À l'issue de cette task force, j'ai été nommé responsable de la mission de préfiguration de l'Arpe : quels moyens ? Quel budget ? quelle organisation ? Ensuite, le Gouvernement a bien voulu me confier l'honneur de présider le conseil d'administration de l'Arpe. En l'acceptant, je savais pertinemment que j'allais m'exposer, y compris médiatiquement. Néanmoins, il faut se rappeler que celui qui dirige l'Arpe au quotidien, c'est le directeur général à mes côtés.

J'anime le conseil d'administration de l'Arpe avec passion et conviction car j'estime qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour la centaine de milliers de personnes privées de droits fondamentaux. Je pense néanmoins qu'un autre enjeu, celui de l'accès à l'activité et du développement de ces nouvelles mobilités, n'est pas négligeable et qu'il faut pouvoir concilier les deux.

Si vous m'y autorisez, j'aurai la possibilité de m'exprimer, à titre personnel, sur la problématique que peut poser cette forme d'activité par rapport à l'accès au statut de salarié. J'ai des convictions qu'il faut distinguer de ma responsabilité de président de l'Arpe. À l'inverse, ma motivation est confortée par les premiers accords intervenus. On peut les considérer comme négligeables mais, au cours de ma vie professionnelle, j'ai toujours vu une partie du corps social – et c'était son droit – se situer en dehors du dialogue, de la transformation et de la négociation, considérant qu'ils n'étaient pas de nature à être acceptables dans leurs principes. À ce titre, vous avez reçu les témoignages, que je respecte profondément même lorsqu'ils me mettent en cause, de ces personnes qui ne se situent pas dans la dynamique de construction de la négociation collective. D'autres s'engagent en revanche.

Je vous le dis sereinement : je me tiens devant vous avec confiance, fruit de mon expérience et des rencontres effectuées. Je pense notamment à ce chauffeur de VTC, qui a eu du mal à me croire lorsque je lui ai annoncé, à l'occasion d'un passage en radio, une augmentation de 27 % du taux de la course minimum alors qu'aujourd'hui il perd de l'argent. Naturellement, Monsieur Blondel et ses équipes devront homologuer cet accord pour le rendre obligatoire et mettre fin au dumping social qui caractérise un certain nombre de ces éléments.

La semaine prochaine, le même taux d'augmentation du SMIC horaire sera peut-être décidé pour les livreurs. Cet accord, qui n'est pas encore signé, pourrait préciser les conditions qui font qu'un principe contradictoire sera systématique en cas de déconnexion d'un livreur qui perd du jour au lendemain ses revenus.

Je vous le dis avec émotion : je suis fier de participer et d'apporter ma contribution à ce travail même si cela implique une exposition médiatique et donc les quelques ennuis qui l'accompagnent. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à toutes les questions, notamment sur le type de relations que j'ai pu entretenir en amont de la mission qui m'a été confiée.

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