Intervention de Christine Capitaine

Réunion du mercredi 15 mars 2023 à 14h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Christine Capitaine, doyenne de section :

Le support légal des demandes des décisions rendues est l'article L. 8221-6 du code du travail qui pose la présomption légale de non-salariat pour les personnes immatriculées au registre du commerce, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des URSSAF. Cet article ne concerne pas exclusivement les travailleurs de plateformes mais l'ensemble des travailleurs indépendants. Il peut concerner par exemple un consultant estimant que le contrat qui le lie à un donneur d'ordres le transforme en salarié. S'agissant d'une présomption simple, elle peut être renversée par la démonstration d'un faisceau d'indices caractérisant le lien de subordination.

Nous avons déjà évoqué les conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle des travailleurs de plateformes, qui intéressent au premier plan les juges évaluant les demandes en requalification. Ceux-ci examinent de façon très précise les éléments de fait et de preuve produits à l'appui des demandes de requalification du contrat de travail pour établir ce fameux lien de subordination. Pour la chambre sociale, l'appréciation des éléments de fait permettant de révéler l'existence d'un lien de subordination est laissée au pouvoir souverain des juges du fond. Elle contrôle cependant si les éléments recherchés par ceux-ci sont propres à caractériser un lien de subordination. L'un des exemples déjà évoqués est l'arrêt Voxtur / Le Cab. Dans ce cas, la chambre a pointé l'insuffisance de la motivation de la cour d'appel mais n'a aucunement remis en cause la jurisprudence Uber. La cour d'appel a relevé des contraintes, notamment économiques, pesant sur le chauffeur, mais pas de directives données aux chauffeurs sur les modalités d'exécution du contrat ni sur le pouvoir de contrôle et de sanction de l'entreprise par rapport aux directives données. Le juge de la Cour de cassation a voulu rappeler en quelque sorte au juge de fond son obligation d'examiner chaque cas d'espèce car compte tenu des différentes clauses dans les contrats proposés par les plateformes, et surtout leur caractère évolutif, la chambre sociale a souhaité souligner qu'en fait, les juges de fond ne peuvent pas adopter une motivation type. Ils doivent au contraire, à chaque dossier, examiner la situation au regard des principes rappelés auparavant quant à la détermination du lien de subordination.

Récemment, la chambre sociale a statué dans ce sens, dans un arrêt du 25 janvier 2023 concernant Uber, en cassant l'arrêt de la cour d'appel qui rejetait la requalification. Dans ce dossier, il apparaissait que la société Uber donnait les directives, fixait les tarifs, contrôlait l'exécution de la relation de travail par une mise hors ligne et avait donc un pouvoir de sanction qu'elle avait exercé en désactivant le compte du chauffeur pendant plus de deux semaines en raison d'un taux élevé d'annulations. Nous n'avons pas approuvé la motivation de la cour d'appel. Pour nous, il résultait des constatations de celle-ci l'existence d'un pouvoir de sanction notamment, caractérisant le lien de subordination. Les juges du fond ne peuvent pas constater que la plateforme a le pouvoir de donner des ordres et des directives et en déduire au final qu'il n'y a pas de lien de subordination.

Enfin, l'arrêt Bolt rendu aujourd'hui, le 15 mars 2023, concerne une société ressemblant à Uber, à savoir une plateforme de mise en relation payante entre des clients et des chauffeurs VTC. La motivation de la cour d'appel a été confortée dans ce cas dès lors qu'elle avait constaté que :

- l'intéressé était intégré dans un service organisé par la plateforme au sein duquel la seule clientèle qu'il pouvait obtenir en se connectant était celle attribuée par la plateforme sans même connaître la destination de la course ;

- des consignes lui étaient données par la plateforme sur l'organisation des courses, les trajets, les tarifs, la manière de se comporter avec les clients :

- la société pouvait à son entière discrétion suspendre l'accès à la plateforme et priver le chauffeur du libre choix de se connecter ;

- celui-ci n'était pas libre de se constituer une clientèle propre ;

- s'agissant des directives, le chauffeur ne disposait d'aucune liberté dans l'organisation des courses :

- il ne connaissait pas la destination finale de celles-ci ;

- il devait emprunter l'itinéraire le moins coûteux ;

- il ne devait pas faire d'arrêt ;

- il n'avait pas le choix des tarifs fixés par avance par la plateforme Bolt et calculés sur la base d'un tarif de base en fonction de la distance et de la durée du trajet déterminé par le système GPS – la société se réservant en outre le droit d'ajuster le tarif en cas de violation du choix d'un trajet plus court ;

- le chauffeur avait l'obligation de vérifier en amont si le client était propriétaire des moyens de paiement ;

- le chauffeur avait interdiction de collecter des moyens de paiement supplémentaires, ce qui interdisait de fait le pourboire, pratique pourtant courante pour les chauffeurs indépendants ;

- la société Bolt pouvait à tout moment résilier de plein droit le contrat et pour toute raison dont l'appréciation était lancée à son entière discrétion

- en cas de manquement du chauffeur à ses obligations tel qu'apprécié par Bolt, cette société pouvait bloquer immédiatement l'accès au service.

Nous avons approuvé la motivation présentée par la cour d'appel au motif qu'elle avait jugé sur la base d'un faisceau d'indices suffisant. Elle était donc fondée à renverser la présomption simple de non-salariat selon l'article L. 8221-6 du Code du travail.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion