Intervention de Bernard Émié

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 15h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure :

C'est un plaisir pour moi de répondre à votre invitation. C'est la troisième ou quatrième fois que je suis, dans mes fonctions de DGSE, auditionné par une commission d'enquête parlementaire.

J'ai demandé qu'il n'y ait ni téléphone portable ni ordinateur dans la salle. De façon générale, c'est un conseil que je me permets de donner à nos élites, et le premier à respecter en matière d'ingérences étrangères : garder avec soi téléphones portables et ordinateurs relève de l'irresponsabilité la plus totale. Un téléphone portable est un émetteur et un récepteur : même éteint, il peut très facilement être piégé à distance par n'importe quel service un peu organisé. Quand on s'entretient de choses un peu sensibles, le mieux est de n'avoir aucun téléphone portable ni ordinateur.

Je suis heureux de retrouver certains d'entre vous, que j'ai rencontrés dans des vies antérieures. Je sais que le sujet du renseignement intéresse la représentation nationale, qu'il s'agisse de l'Assemblée ou du Sénat ; il y a de bonnes raisons à cela. Je vous donnerai aujourd'hui l'éclairage du service que je dirige sur les ingérences politiques, économiques et financières des puissances étrangères.

Il s'agit d'un sujet majeur, relatif à l'exercice même de la souveraineté de la France et de celle de ses partenaires les plus proches. Les ingérences auxquelles se livrent plusieurs puissances étrangères de façon plus ou moins décomplexée sur notre continent entraînent des préjudices majeurs pour nos intérêts et notre souveraineté. Cette question, cruciale à mes yeux, détermine notre indépendance et notre capacité à décider par nous-mêmes, selon nos seuls intérêts.

Les ingérences sont des activités hostiles, volontairement tenues secrètes, malveillantes et trompeuses, entreprises par une puissance étrangère. Mises en œuvre par une multiplicité d'acteurs, elles peuvent prendre des formes multiples que connaissent bien les services de renseignement : des cyberattaques, l'utilisation du droit comme arme, la désinformation à des fins de manipulation de l'opinion, ou des opérations d'espionnage plus classiques. Elles visent à saper nos sociétés et à porter atteinte à notre souveraineté politique et militaire, mais également économique et technologique.

Les services de renseignement sont totalement investis sur ces sujets dans le cadre de leur mission première de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la nation en politique étrangère, d'exécution des engagements européens et internationaux de la France et de prévention de toute forme d'ingérence, telle qu'elle est définie au 2° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, introduit par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement autorise la mise en œuvre de techniques de renseignement visant ces finalités.

Cette mission est précisée par la Stratégie nationale du renseignement (SNR), publiée en juillet 2019. Pour la première fois dans notre pays, le Président de la République et le Gouvernement ont décidé de rendre publique la SNR, ce que la France n'avait jamais fait, contrairement à d'autre pays, notamment les États-Unis qui procèdent ainsi depuis longtemps.

S'agissant de l'ingérence, on y lit : « Le renseignement dans ces domaines a pour but d'identifier les entités et services agressifs à notre encontre ainsi que leurs cibles, et de décrire leurs buts et leurs méthodes. Il doit également permettre d'en évaluer les conséquences pour notre souveraineté et nos intérêts, afin d'éclairer la décision politique de réponse à ces agissements hostiles. » Si vous êtes un service étranger, en lisant cela, vous vous dites : « Tiens, ils vont s'occuper de nous ! » Tel est le message que nous voulons leur adresser.

Plusieurs raisons expliquent la très forte mobilisation de notre communauté du renseignement en la matière.

Premièrement, les moyens humains, financiers et techniques que déploient certains services étrangers, notamment les services russes et chinois, connaissent une progression constante. Par ailleurs, ce sont des services qui n'ont ni cadre légal ni opinion publique, et qui sont désinhibés.

Deuxièmement, leur agressivité envers nos ressortissants, cadres du privé ou du public, ainsi que nos intérêts économiques et scientifiques, est grandissante. Le directeur général de la sécurité intérieure vous l'a probablement dit : le pillage technologique et scientifique est une de nos sources d'angoisse.

Troisièmement, le champ d'action et la diversité des vecteurs d'ingérence vont croissant.

Avant d'en venir au rôle spécifique de la DGSE, j'aimerais évoquer plusieurs points essentiels pour traiter de la complexité de la question de l'ingérence.

Le contexte géopolitique est propice aux guerres hybrides, dont les ingérences sont l'expression naturelle. Si le phénomène de l'ingérence n'est pas nouveau, son intensification s'explique par plusieurs raisons, notamment la fragmentation de l'ordre international. Le Président de la République l'a dit lors de ses vœux aux armées le 20 janvier dernier : nous assistons à un raidissement des volontés de puissance, sur fond de crise du multilatéralisme.

En Europe, en Asie, dans l'Indo-Pacifique, l'ordre international cède le pas à un état de nature entre les nations tel que nous n'en avons pas vu depuis des décennies. Nous sommes passés d'un monde de compétition à un monde de confrontation, dans lequel les puissances autoritaires, au premier rang desquelles la Russie et la Chine, contestent l'ordre international hérité de la fin de la guerre froide, fondé sur la démocratie, l'économie de marché et l'État de droit.

Depuis l'agression contre l'Ukraine, la Russie assume pleinement une stratégie de confrontation, guerre comprise, avec l'Occident. La Chine, qui considère que le moment chinois est venu, est engagée dans une logique d'exercice de sa pleine puissance et de rivalité assumée avec les démocraties. Au cours des dernières années, on l'a vue passer de « puissance contenue », présentant une face émergée séduisante, à une « puissance agressive », ainsi que l'a récemment illustré l'affaire des ballons espions. La diplomatie chinoise est désormais débridée, Rien de tel n'était imaginable il y a dix ans.

Ces États révisionnistes ont tout intérêt à affaiblir et si possible à diviser le bloc occidental. Dans ce contexte, la France et ses partenaires européens peuvent se trouver à la croisée des logiques de puissance, ce qui en fait des cibles privilégiées. La France s'est trouvée à un tel croisement lorsque l'alliance AUKUS, conclue par les Britanniques, les Américains et les Australiens dans le cadre de l'engagement très militant des États-Unis contre la Chine, a eu pour conséquence la rupture d'un contrat de vente de sous-marins français. La France est une grande puissance politique, militaire, démocratique, scientifique et culturelle, qui porte certains messages. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'elle fasse l'objet d'agressions protéiformes visant à infléchir ses positions, à saper sa cohésion nationale, à connaître ses intentions ou à voler ses savoir-faire.

Par ailleurs, ces puissances profitent d'une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe – jusque dans nos élites, ce qui me navre. Le retour de la guerre sur notre continent a permis une prise de conscience collective de la nécessité de se penser en Europe puissance. Il est regrettable qu'il faille prendre des coups pour se redresser et pour, comme le dit le Président de la République, se réarmer psychologiquement face aux agressions.

Cette compétition entre systèmes, qui se joue à plusieurs niveaux – diplomatique, militaire, technologique, culturel – est allée de pair avec l'émergence de nouvelles formes de conflictualité qui permettent de nous attaquer par des moyens détournés. Comme l'a dit le Président de la République lors de sa présentation de vœux aux armées : « Ce qui caractérise les nouveaux conflits de notre siècle est sans doute le brouillage entre une conflictualité ouverte, explicite, et une malveillance répétée, systémique, pernicieuse. La guerre ne se déclare plus, elle se mène à bas bruit, insidieusement, elle est hybride. »

Dans ce contexte, la révolution numérique est un facteur aggravant. Le numérique est désormais pleinement intégré dans les stratégies d'influence, d'ingérence, d'espionnage et de découragement des puissances étrangères. Exploitant le manque de régulation à l'échelle internationale, certains acteurs étatiques perçoivent le domaine cyber comme un nouvel espace de projection, investissent pleinement le rapport de force et développent de fortes capacités offensives et défensives.

Par ailleurs, nos citoyens sont exposés à des rumeurs davantage qu'à des faits, au point que beaucoup ne parviennent plus à distinguer les unes des autres. Le doute s'est installé dans nos sociétés et nos ennemis, en utilisant les réseaux sociaux, les fake news et la manipulation, peuvent nous déstabiliser.

Ces rumeurs, pour la plupart, ne se créent ni ne se diffusent de façon spontanée. Des campagnes de manipulation sont orchestrées par des États dans un but bien précis : nous affaiblir, transmettre de faux messages, fracturer nos sociétés, fragiliser nos démocraties et nous imposer un ordre du monde alternatif dans lequel la vérité peut être décidée et imposée par un parti, indépendamment des faits ou de la science.

Les fausses nouvelles sont les armes d'une guerre conduite contre l'Occident, sans que nous ayons, pendant trop longtemps, réalisé son ampleur et surtout identifié les moyens de nous défendre. Mais nous avons commencé à prendre conscience des risques et nous avons pris, depuis quelques années, des mesures pour nous défendre et pour riposter.

Dans ce domaine, beaucoup reste à faire, d'autant que le chemin, pour les États démocratiques, n'est pas simple. Nous avons le privilège d'être des démocraties, ce qui impose aux services de renseignement de nombreuses limitations : des cadres légaux, des contrôles, des méthodes propres aux démocraties… Nous devons, dans les limites qui nous sont imposées, essayer de détecter les menaces et éventuellement de riposter.

Pour illustrer les modalités concrètes de ces modes d'action hybrides, je me concentrerai sur les deux puissances systémiques qui font preuve d'agressivité contre nous, la Russie et la Chine, ce qui me permettra de donner une idée de l'intensité des formes d'ingérence, même si d'autres pays pratiquent contre nous ce type d'agression, principalement des États hostiles tels que l'Iran.

Par parenthèse, il ne faut pas non plus être naïf sur les actions hostiles conduites par des pays amis, qui ont parfois à défendre des intérêts ou des ambitions divergents des nôtres. S'agissant de la Russie, la confrontation hybride au long cours menée par Moscou inclut des attaques cyber. La conduite d'une cyberattaque visant des opérateurs d'importance vitale dont dépend notre pays doit être notée en priorité. En matière d'actions de désinformation, la Russie a de l'expérience et du savoir-faire. Au début des années 1980, il aura fallu quatre ans au KGB pour diffuser globalement la rumeur selon laquelle le virus du sida était une création du Pentagone. Les Russes ont désormais industrialisé le processus ; les manœuvres informationnelles à l'encontre de la présence française en Afrique francophone, via la galaxie Prigojine-Wagner, suffisent à s'en convaincre. Cette machine construite à grande échelle permet de lancer des attaques très agressives.

En matière d'infiltration de nos sociétés, le climat est moins favorable aux services de renseignement russes depuis février 2022 et la guerre lancée par le président Poutine. De très nombreux prétendus diplomates russes ont été expulsés des pays d'EuropeTous les pays occidentaux refusent désormais les accréditations et l'attribution ou le renouvellement de visas aux personnes suspectées d'appartenance à un service de renseignement russe. Ces dispositions entravent les dispositifs de recherche russes, mais il ne faut pas se leurrer : les officiers russes de renseignement n'ont pas mis un terme à leurs activités de ciblage et de recherche de renseignement La Chine use également de formes très variées d'ingérence, au premier rang desquelles l'instrumentalisation du multilatéralisme et du droit international au sein des organisations internationales. Leur recherche de relais d'influence et de solidarités transnationales obéit à une logique de contrôle et d'influence. Le parti communiste chinois (PCC) a intensifié le recours à la stratégie du front uni pour contrôler et mobiliser la diaspora chinoise. Tout cela obéit pour eux à une conception extensive : tout citoyen chinois, même binational, est considéré par les Chinois comme un agent de renseignement activable. En matière d'influence économique, le régime chinois met en œuvre une diplomatie économique et une politique dynamique d'investissement, n'hésitant pas à créer puis exploiter des situations de dépendance commerciale ou financière

Il développe également la lutte informationnelle. Pour les dirigeants chinois, la valorisation de leur action passe par une action de propagande reposant sur toutes les perceptions possibles. Cette propagande a connu un essor significatif du point de vue de la sophistication des vecteurs et du contenu des messages.

La diplomatie chinoise se déploie partout dans notre pays, d'une façon très impressionnante, avec l'accompagnement systématique d'intérêts économiques chinois portant atteinte à notre souveraineté ou susceptibles de le faire. L'influence chinoise mise sur la construction d'une solution alternative aux GAFAM américains, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).

À cet égard, l'essor de la 5G chinoise est porteur de risques en matière de cybersurveillance. L'entreprise Huawei est un sujet clé de la souveraineté numérique. Il faut saluer l'initiative de la Commission européenne, particulièrement du commissaire Thierry Breton qui, ayant pris conscience de l'importance de cette question pour notre souveraineté numérique, a invité les États européens à identifier les fournisseurs d'équipements 5G à haut risque et à prendre des mesures adéquates pour encadrer la présence de leurs équipements dans leurs réseaux.

Lorsqu'il a fallu attribuer les fréquences 5G, le commissaire Breton a défini une boîte à outils pour tous les États européens et leur a dit en substance : « Faites attention, voici ce qui risque de se passer si vous faites appel à Huawei. » Mme Le Grip, avec qui je travaille régulièrement au titre de ses différentes fonctions liées au renseignement, le sait : la DGSE est une maison d'une exigence absolue, sans compromis sur les sujets de souveraineté.

En adoptant la loi du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles, nous nous sommes donné les moyens d'assurer la sécurité de nos équipements 5G déployés dans les zones sensibles et exposés au risque d'ingérence d'un État étranger. Au niveau européen, il ne s'agit pas d'exclure un équipementier – vous pouvez vous acheter un téléphone Huawei sans problème – mais de s'assurer d'un niveau élevé de sécurité des réseaux 5G, donc d'éviter toute dépendance à l'égard des fournisseurs à risques. En matière d'ingérence étrangère, quelle meilleure ingérence que les ingérences techniques ?

Il y a aussi des menaces chinoises sur la recherche scientifique. La Chine, au cours des dernières décennies, s'est imposée comme un partenaire incontournable de la recherche en Europe, notamment en France. Le développement des coopérations franco-chinoises dans ce domaine induit trois facteurs de menace importants : un déséquilibre systématique de réciprocité au profit de la Chine ; des risques d'atteinte aux libertés académiques et au principe d'intégrité scientifique ; des menaces croissantes en matière de captation du potentiel scientifique et technique de la nation.

La Chine s'appuie sur une profonde différence de perception entre les scientifiques français et européens, d'une part, et chinois d'autre part. Un scientifique français, de bonne foi, considère que la science est universelle, que le progrès est mondial et que les scientifiques, par construction, doivent travailler ensemble et partager. Le scientifique chinois, lui, est soumis à une politique considérant la science comme un instrument au service des intérêts stratégiques de son pays et de son parti ; que cela lui plaise ou non, il n'a pas le choix.

Ces gammes d'action visent le territoire national, non seulement la métropole mais aussi nos espaces ultramarins, notamment dans l'Indo-Pacifique. Avec sept régions, départements et collectivités d'outre-mer abritant 1,6 million de citoyens français et près de 10 000 militaires, nous sommes plus que jamais attachés à défendre nos intérêts et la stabilité dans cette zone vitale pour l'équilibre international.

Tel est le sens de l'action du Président de la République et du Gouvernement, qui ont œuvré de façon active à la définition d'une stratégie de la France dans l'Indo-Pacifique très audacieuse et déclinée dans tout l'appareil d'État. Avant d'être espion, j'étais diplomate ; j'en ai vu, des stratégies dans l'Indo-Pacifique ! Mais cette fois, les bascules d'effort sont réelles dans tous les services de l'État. La Chine n'a du reste pas le monopole de l'agressivité dans la région. On a récemment vu un bâtiment de guerre iranien près de la Polynésie française. Que faisait-il là ? Je n'en sais rien…

J'en viens à la menace que représente l'extraterritorialité du droit, évoquée de façon explicite dans la SNR : « On assiste par ailleurs à un développement des enquêtes d'autorités judiciaires étrangères à l'encontre des entreprises françaises commerçant à l'international sur la base de lois offensives à portée extraterritoriale. Ces procédures contentieuses ont fréquemment pour effet – recherché ou non – de contraindre les entreprises visées à transférer des actifs essentiels à leur prospérité (informations confidentielles relatives aux dirigeants, clients et fournisseurs, informations financières, brevets et savoir-faire technologiques…) ou à se retirer de certains marchés. À ce titre, le renseignement doit contribuer à identifier, dénoncer, voire entraver les actions malveillantes et les actions d'influence faussant l'environnement juridique et normatif des acteurs économiques. »

La création, par le législateur, du parquet national financier et de l'Agence française anticorruption, ainsi que les dispositions de la loi dite Sapin 2, ont répondu pour partie à cette menace dirigée vers nos actifs les plus stratégiques, mais le risque demeure.

Notre métier est d'avoir un coup d'avance, de connaître le dessous des cartes, de décrypter les intentions cachées, d'anticiper les ruptures, de faire la part entre le vrai et le faux, puis d'entraver les projets de nos ennemis. La DGSE, qui a fêté l'an dernier son quarantième anniversaire, est l'héritière du bureau central de renseignement et d'action, créé par le général de Gaulle à Londres en 1942. Elle est le seul service spécial et secret de la France.

Nous agissons de façon clandestine à l'étranger pour recueillir du renseignement intéressant la sécurité extérieure de la France et entraver les menaces visant nos intérêts. Nos champs de compétence sont très larges : lutte contre le terrorisme ; contre-prolifération nucléaire, bactériologique, chimique et balistique ; lutte contre certaines formes de trafic, notamment de drogue et d'immigration clandestine ; lutte contre les menaces cyber ; sécurité économique ; renseignement de politique extérieure et contre-espionnage. La lutte contre les ingérences relève de plusieurs de ces missions.

Dans ce cadre, la mission de contre-espionnage et de contre-ingérence en France est assurée en étroite coopération par la DGSE et la DGSI, qui est pilote sur le territoire national dans la défense de nos intérêts et de nos entreprises alors que nous agissons pour notre part à l'étranger.

À l'étranger, nous menons plusieurs actions.

Tout d'abord une action offensive Ensuite une action défensive, qui consiste à détecter et à entraver les tentatives de pénétrations adverses de nos emprises diplomatiques et consulaires mais aussi de nos entreprises à l'étranger. Ce contre-espionnage défensif peut contribuer à nourrir notre contre-espionnage offensif, notamment en retournant des agents.

De plus, en soutien de la direction générale de la sécurité intérieure, nous menons une action défensive plus spécifiquement tournée vers l'entrave des ingérences technologiques et économiques. Je mentionnerai enfin l'opération d'espionnage massive engagée depuis 2014 – et sans doute avant – par les services chinois de renseignement à travers les réseaux sociaux, notamment LinkedIn, où plus de 17 000 Français ont été « tamponnés » par hameçonnage. Pour prendre un exemple fictif, un contact commence à discuter avec tel député, puis lui commande un rapport sur le fonctionnement de l'Assemblée nationale, puis un autre sur les personnes d'importance qui y travaillent. Il continue à tirer le fil, puis lui demande de faire passer tel ou tel message sur tel sujet, avant de l'inviter à l'étranger dans une destination agréable pourfaire plus ample connaissance et lui proposer de le défrayer pour son travail. C'est ainsi que les choses se passent, et le député n'a pas le sentiment de faire quoi que ce soit de mal. Il faut le savoir et rester sur ses gardes.

Dans le domaine cyber, espace désinhibé et peu régulé, nous menons des actions à la fois offensives et défensives : en liaison avec la DGSI, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et le commandement de la cyberdéfense, qui dépend du chef d'état-major des armées, nous détectons et nous imputons les attaques ou les menaces, que nous devons ensuite contenir. Dans cet écosystème, nous sommes les sentinelles qui, en amont, cartographient les adversaires, les services spéciaux, les armées, les hackers, les cybercriminels Tels sont le rôle de la DGSE dans la lutte contre la désinformation. Le nouveau service Viginum, chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, est quant à lui chargé de la sphère intérieure.

Au-delà de l'action des services de renseignement, nous avons besoin d'une mobilisation collective et d'une prise de conscience. Cela passe par une étroite coordination avec nos partenaires les plus proches, notamment au plan européen, où la collaboration entre services de renseignement est d'ailleurs excellente. Il s'agit aussi de défendre nos valeurs et nos modes de vie. C'est en unissant nos efforts que nous préserverons notre liberté, notre indépendance et notre souveraineté.

La lutte contre les ingérences passe donc par un effort quotidien de sensibilisation de nos élites administratives, politiques, économiques, scientifiques et de l'ensemble de leurs collaborateurs quant à nos vulnérabilités et aux moyens de protection, parfois très simples, qu'il convient d'appliquer

Parce que l'espionnage est une guerre invisible mais réelle, menée chaque jour sur notre territoire et à l'étranger, vous êtes tous des cibles de puissances adverses. En 2017, j'ai été nommé DGSE avant les élections législatives. Avec le Président de la République et le président de l'Assemblée nationale, nous avons décidé de recevoir les parlementaires pour les sensibiliser et leur faire comprendre les menaces auxquelles ils sont soumis. La DGSI organise également des séances de sensibilisation au sein des ministères, du Parlement et des entreprises. La meilleure défense est certes l'attaque, mais il faut d'abord veiller à ne pas être vulnérables.

Vous, parlementaires, lorsque vous voyagez à l'étranger dans le cadre des groupes d'amitié ou pour d'autres missions, vous emportez des ordinateurs et des téléphones qui contiennent des milliards de renseignements sur votre vie privée, publique, économique. Si quelqu'un y a accès, il sait tout de vous et il dispose donc de moyens de pression. Ne vous connectez jamais au wifi des hôtels, ne laissez jamais votre ordinateur ou votre téléphone portable dans votre chambre lorsque vous vous absentez. Lorsque vous franchissez une frontière, vos appareils électroniques doivent être éteints. Par ailleurs, les cadeaux que vous recevez peuvent être piégés.

Soyez vigilants. Sachez que les services étrangers sont très agressifs à l'endroit des élites de la nation – à laquelle nombre de personnes n'ont pas conscience d'appartenir. Bref, l'ensemble de notre écosystème doit faire preuve d'une vigilance absolue.

Toutes les menaces dont je vous ai fait part ne vont pas en diminuant. Il faut être mobilisés collectivement. Les annonces qui ont été faites à propos de la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) vont dans ce sens. Notre effort de défense passera de 295 milliards dans la LPM 2019-2025 à 413 milliards dans la LPM 2024-2030. Le renseignement fera l'objet d'efforts massifs puisque certains crédits augmenteront de près de 60 %, que le budget de la direction du renseignement militaire (DRM) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) doublera et que les crédits de la DGSE augmenteront très sensiblement.

Les capacités très particulières de la DGSE me paraissent toujours plus nécessaires dans un monde caractérisé par ces guerres hybrides. Elle doit pouvoir continuer à agir là où les moyens conventionnels de l'État ne peuvent pas ou n'ont pas le droit d'opérer, dans un environnement en général non permissif et hostile, dans la plupart des cas sans autre appui que celui qu'elle peut elle-même fournir à ses agents. Nous sommes au service de notre intérêt général, de notre prospérité et de notre souveraineté.

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