Intervention de Florian Colas

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 15h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Florian Colas, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières :

La DNRED a une double appartenance. C'est, d'une part, un service à compétence nationale de la direction générale des douanes et des droits indirects, ce qui me conduit à rapporter directement à la directrice générale, qui fait elle-même rapport au ministre des comptes publics. D'autre part, le service est membre du premier cercle de la communauté nationale du renseignement. La DNRED est le seul service du premier cercle dans cette situation hybride.

Notre mission est strictement circonscrite à la lutte contre la grande fraude douanière. Nous pouvons déployer l'ensemble des capacités de renseignement nationales prévues par les textes, particulièrement le code de la sécurité intérieure, et la plénitude des pouvoirs de renseignement d'un service du premier cercle, mais sous le contrôle, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), des finalités de la mise en œuvre de ces pouvoirs, qui doit donc être restreinte à la prévention de la fraude et de la criminalité douanières. Nous sommes également un service d'entrave, qui peut donc avoir une activité de renseignement comme une activité contentieuse par le lancement de procédures spéciales d'enquête sur la base du code des douanes ; leurs conclusions figurent ensuite dans des dossiers de procédure transmis à la justice.

La notion d'ingérence ne figure pas en tant que telle, comme délit ou comme crime, dans le code des douanes. Nous pouvons combattre des phénomènes criminels ou frauduleux qui révèlent une forme d'ingérence étrangère ou des liens avec l'étranger, comme il est naturel pour une administration des douanes, à ce titre administration de la frontière et des flux transfrontaliers. Nous observons presque systématiquement des liens avec l'étranger dans nos actions, mais sans que ces phénomènes aient nécessairement une dimension étatique ; les cas de ce type sont minoritaires.

Nous pourrions être amenés à mettre au jour des phénomènes se rapportant à l'ingérence étrangère entendue au sens large dans cinq domaines, le premier étant le contrôle des exportations et le transfert de technologie. La législation encadre les exportations des biens dits à double usage, matériel militaire et matériel pouvant être détourné à des fins militaires ou, par extension, à des fins répressives. Entrent également dans ce champ les éléments du contrôle des investissements étrangers en France. Exporter une technologie en contradiction avec les termes d'un accord d'investissement étranger ou exporter des biens à double usage sans licence ou en contravention avec les textes sont des fraudes douanières caractérisées par plusieurs articles du code des douanes, dont l'article 459.

Le deuxième ensemble est celui des sanctions internationales. Avant l'édiction de sanctions très étoffées à l'encontre de la Russie dans le contexte du conflit russo-ukrainien, les sanctions internationales décidées par l'Union européenne – et donc la France – visaient pour l'essentiel des personnalités des régimes iranien et birman. Mais le train de sanctions adopté en 2014 après l'annexion de la Crimée par la Russie a été considérablement renforcé depuis un an, si bien que la mise en œuvre des sanctions et la lutte contre leur contournement ont pris une très forte ampleur dans notre activité. Le champ de ces sanctions, extrêmement vaste, comprend d'une part le gel des avoirs – comptes bancaires, biens immobiliers et autres biens matériels – qui frappe des personnes physiques ou des personnes morales, d'autre part les restrictions d'exportations et d'importations dans un grand nombre de secteurs économiques. Dans ce cadre, le contrôle des exportations va donc bien au-delà des transferts de technologie et des biens à double usage ; il entre dans les compétences de la DNRED d'assurer l'application de ces sanctions et de contrer les mécanismes de contournement que peuvent utiliser des personnalités proches de certains régimes ou des entreprises appartenant par exemple à la base industrielle de défense des pays considérés. Nous pouvons aussi être amenés à travailler sur le contournement du gel des avoirs servant au financement du terrorisme.

L'ingérence étrangère peut se constater dans un troisième domaine, les flux financiers illicites. Tracfin se focalise sur les flux scripturaux entre institutions et intermédiaires financiers. L'administration des douanes, en contrôlant les flux financiers physiques – argent liquide, métaux précieux, bijoux… –, peut constater des manquements aux obligations déclaratives et des flux qui deviennent du blanchiment au sens douanier du terme s'ils sont le produit d'une activité frauduleuse et criminelle.

Le quatrième champ d'intérêt pour votre commission est celui des préjudices économiques portés à l'économie française et européenne par la non-application de la fiscalité européenne sur les importations, et la fraude à la TVA qui lui est généralement adjacente. Ces agissements induisent une distorsion de concurrence entre les produits importés et les productions françaises ou européennes. L'administration des douanes est aussi compétente pour réprimer les atteintes à la propriété intellectuelle, contrefaçons et atteintes aux marques.

Le cinquième domaine d'intervention, connexe au précédent, est le préjudice de nature fiscale, qui porte atteinte aux intérêts financiers européens – les droits de douane sur les importations sont des ressources propres de l'Union européenne – ou au budget de l'État, que la TVA associée à ces importations alimente.

La DNRED parle de lutte contre les prédations davantage que de lutte contre les ingérences. Pour que nous intervenions, il doit toujours y avoir un flux financier, un flux de marchandises ou de technologies, une atteinte à la propriété intellectuelle matérialisant une infraction douanière objective.

Dans le questionnaire préparatoire que m'ont adressé vos services, vous me demandez quels secteurs économiques sont les plus vulnérables, les types d'entreprises particulièrement visées et le rôle joué par certains pays ou certaines diasporas dans les fraudes que nous constatons. J'évoquerai un pays qui se trouve à de multiples égards dans une situation singulière : la Chine, dont la stratégie consiste à maîtriser l'intégralité de la chaîne logistique de son appareil exportateur, depuis la production industrielle dans l'usine chinoise jusqu'à la livraison aux consommateurs français, en s'appuyant sur des transporteurs maritimes et aériens, des infrastructures portuaires, des entrepositaires sur le sol européen, des fournisseurs de logiciels pour gérer la logistique de ces flux, des fournisseurs d'interfaces pour les commandes en ligne. La Chine est le seul pays au monde dont la stratégie exportatrice est à ce point intégratrice. Du fait de l'organisation même de cette chaîne entièrement maîtrisée, il nous est très difficile de démontrer et de démanteler les fraudes qui peuvent s'y produire. Les secteurs qui nous paraissent particulièrement vulnérables et auxquels nous sommes très attentifs sont ceux de la logistique au sens large : logistique portuaire et aéroportuaire, et aussi entreprises de transport et entrepositaires, toutes branches extrêmement denses en emplois sur lesquelles, dans un souci de souveraineté économique, il nous semble nécessaire d'exercer une certaine maîtrise.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion