Vous avez donné beaucoup d'informations et d'éléments.
En ce qui concerne l'objet de votre question, je ne pourrai malheureusement pas en parler, car les faits sont judiciarisés. Les personnes qui auraient avancé cette théorie du blasphème ont été entendues dans le cadre judiciaire, et le judiciaire prime l'administratif. En tant que membre d'un service du renseignement, je ne pense pas avoir mission ni mandat pour revenir sur la question dès lors qu'elle est judiciarisée.
Si vous me permettez un commentaire sur l'ensemble de ce que vous avez dit, je ne peux qu'insister sur ce que j'ai déjà avancé, même si je comprends parfaitement que, pour la commission, cela puisse être difficile à entendre. Je ne peux que vous dire – c'est un fait, qui est clair – qu'un individu particulièrement dangereux, détenu particulièrement signalé (DPS), tel que Franck Elong Abé peut tout à fait présenter une dangerosité terroriste élevée mais que, dans un environnement comme la prison, contraint, entravé, où la liberté de mouvement n'est pas la même qu'à l'extérieur, sa dangerosité soit réévaluée.
Notre objectif est de mettre les moyens là où nous l'estimons nécessaire. Pour tout vous dire, Franck Elong Abé était un sujet sur lequel il était difficile de travailler en renseignement : il était très isolé, fréquentait peu de détenus, avait peu de contacts avec l'extérieur, peu de visiteurs et de conversations téléphoniques ; il n'avait pas de réseau, en tout cas à notre connaissance. Dans ces circonstances, on se fie à ce que l'on constate de son comportement au quotidien en détention. Or on ne peut pas relever autre chose qu'une évolution positive de son comportement en détention à Arles : le nombre d'incidents est passé de trente-cinq – en tout cas plus de trente, je crois – en quelques années à quatre dans le même laps de temps ; vous l'avez dit, c'est statistique. En outre, la nature des incidents est bien différente à Arles de celle des événements précédents, qui incluent une prise d'otage.
Je parle là en tant que directeur des services pénitentiaires (DSP) plutôt qu'en tant que chef de Cirp : aucun directeur n'aurait pris le risque de sortir ce détenu de l'isolement et de le classer dans une formation jardins et espaces verts, puis au travail, sans avoir évalué les choses avec justesse. Ces décisions ont été prises en ayant parfaitement conscience du fait qu'il présentait une dangerosité et qu'il fallait rester vigilant vis-à-vis de son évolution, mais rien dans son comportement ne laissait penser qu'il ne pouvait pas, a priori, accéder à ce retour en détention et à ce classement, d'autant – j'y insiste lourdement – que sa sortie approchait et qu'il s'agissait de la préparer. Il fallait absolument le resocialiser. Et son comportement à Arles n'empêchait pas que l'on entreprenne cette resocialisation.
Encore une fois, il y a un écart considérable entre avoir conscience de sa dangerosité et anticiper que, le 2 mars 2022, il allait s'en prendre à Yvan Colonna comme il l'a fait. Nous n'avions aucun élément permettant d'anticiper un tel acte de violence vis-à-vis d'Yvan Colonna.