. Monsieur le président de la Commission, Monsieur le président de l'Office, directeur général de l'ESA depuis deux ans, j'ai reçu mandat des États membres pour engager davantage l'Europe dans le domaine spatial. Compte tenu de la situation internationale et de la vive concurrence à laquelle se livrent les États-Unis, la Chine et d'autres pays qui développent rapidement leur activité spatiale, il convient de définir le rôle de l'Europe, de l'ESA, de la Commission européenne, des agences spatiales nationales et de tout ce qui structure le paysage européen dans ce domaine.
L'espace est d'une grande importance économique. Vous avez vu le succès de certains concurrents qui se sont enrichis en investissant dans ce secteur. La valeur totale de cette économie est estimée à 350 milliards de dollars et elle devrait atteindre le trillion de dollars à la fin de la décennie. La filière spatiale se développe plus rapidement que d'autres. Un indice Standard & Poor's publié récemment révèle que les entreprises qui investissent dans ce domaine affichent d'excellents résultats boursiers. Au-delà de son intérêt stratégique, ce secteur en croissance rapide revêt donc pour l'Europe une grande importance économique.
On ne peut parler de l'Europe de l'espace sans mentionner le rôle de la France. La France a joué un rôle très important dans le développement spatial. Le Centre national d'études spatiales (CNES) est très actif. J'ai rencontré hier son nouveau directeur ainsi que le commandant de l'espace. La France a pour atout particulier le port spatial de Guyane, qui est très important pour tous, Européens et autres, pour lancer nos satellites. Vous devez en être fiers. En tant que directeur général de l'ESA, je remercie la France de son excellente coopération et du soutien que nous avons obtenu de la part du Gouvernement français. Le développement de ce port spatial facilite notre accès à l'espace, lequel est indispensable à tous. Sans cet accès, nombre d'activités touchant tous les secteurs de l'économie n'existeraient pas.
J'évoquerai quelques programmes spatiaux où la France se porte particulièrement bien. Vous connaissez les satellites d'observation de la Terre et le programme Copernicus. Il s'agit d'un investissement majeur dont l'Europe devrait être fière. C'est le meilleur programme d'observation au monde, dont la Nasa est parfois partenaire, parce qu'en ce domaine, l'Europe réalise des progrès importants.
Nous avons développé d'autres programmes d'observation de qualité. En matière de géolocalisation, la constellation Galileo est le système de positionnement le plus précis et le plus fiable. Nous l'avons développé en presque une décennie. Après avoir recouru au signal GPS, l'Europe a investi dans ce programme afin de se doter d'une autonomie stratégique.
Concernant l'exploration des planètes et de l'univers distant, les sondes Ariel et Juice sont destinées à remplir des missions scientifiques. Un lancement de Juice par Ariane 5 est prévu au mois d'avril pour étudier les lunes glacées de la planète Jupiter. Il s'agit de savoir s'il ne se trouve pas des traces de vie sous leur chape de glace et d'océans glacés. Un satellite ira voir si ces lunes glacées sont habitables et si la vie existe dans cette partie du système solaire. Savoir s'il y a quelqu'un là-bas, dans cet espace lointain, nous concerne tous. Grâce à ces satellites, nous cherchons à déterminer l'habitabilité de ces lunes.
La Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), réunie au Sénat français, il y a quelques mois, a abordé avec des représentants politiques les priorités spatiales, le rôle de l'Europe, l'autonomie européenne, les liens entre les institutions européennes et notre rôle par rapport à d'autres pays. Il s'agissait d'un dialogue de haut niveau.
Quelques mots et quelques chiffres au sujet de l'Agence spatiale européenne.
L'ESA, composée de vingt-deux États membres, est une organisation intergouvernementale. De nombreux pays de l'Union européenne en sont membres, auxquels s'ajoutent la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni. D'autres pays, comme la Croatie ou Malte, prévoient d'y adhérer.
Notre budget s'élève à 7 milliards d'euros. Nous avons quelque 6 000 agents au siège, à Paris, et des centres dans d'autres pays. Environ 60 % du financement public du secteur spatial européen passent par l'ESA, ce qui nous permet, par le biais de nos activités et de nos programmes, d'avoir une influence sur l'écosystème spatial.
Je citerai quelques résultats dont nous sommes particulièrement fiers. Aux programmes Copernicus et Galileo s'ajoute la mission remarquable du télescope James Webb, lancé le jour de Noël 2021 par Ariane 5 depuis la Guyane française. Il est de loin le satellite le plus lourd à avoir été lancé. Son développement a demandé vingt ans et a coûté 10 milliards de dollars. La Nasa, qui en est le responsable principal, a donné à l'Europe le droit de lancer ce télescope par une fusée Ariane 5. L'injection en orbite de ce satellite visant le point de Lagrange était si précise que la durée de vie du télescope a été multipliée par deux. Cette précision a permis de réaliser des économies d'ergol. L'Europe a donc aidé la Nasa à réussir ce lancement.
L'Europe a fortement contribué au développement de ce télescope, puisque, sur quatre instruments installés à bord, un est entièrement européen et un autre l'est à moitié. Nous y avons activement contribué et il est exploité par de nombreux scientifiques européens.
Certains se souviennent de la sonde Rosetta, qui a réussi l'exploit d'atterrir sur une comète. Ce fut une réussite exceptionnelle – dont on a peut-être davantage parlé aux États-Unis qu'en Europe.
Nous avons choisi le nouveau groupe d'astronautes de la classe 2022 de l'ESA, qui a été présenté lors de la conférence ministérielle du mois de novembre. Il fait suite au premier groupe, composé en 2009, il y a treize ans, et compte deux astronautes français. Neuf sont des astronautes de carrière, dont la Française Sophie Adenot, qui va commencer sa formation, et d'autres sont des astronautes de réserve. Un « parrain », qui a perdu les jambes dans un accident, reçoit la même formation afin de montrer que l'espace est ouvert à tous, y compris aux personnes handicapées.
Ceci confirme l'importance du rôle de l'Europe dans l'exploration humaine et par des robots. Nous voulons renforcer ce groupe d'astronautes. Six sont déjà là. Vous connaissez Thomas Pesquet, mais il y a aussi des Allemands, des Italiens, un Danois, un Britannique. Ils sont très importants pour nous, non seulement pour le travail qu'ils réalisent dans la station spatiale internationale ou les expériences pratiquées sur eux-mêmes pour des instituts de recherche, mais également en tant qu'ambassadeurs de l'espace.
J'évoque maintenant la stratégie de l'ESA intitulée Agenda 2025. Plusieurs défis connus se profilent à l'horizon européen. D'abord, d'importants investissements pour l'espace sont engagés par d'autres pays, comme la Chine et les États-Unis. La Chine a déclaré que l'espace était une priorité politique, qu'elle souhaitait devenir la première puissance spatiale en 2050 et utiliser l'espace pour renforcer sa position géopolitique. Qu'on le veuille ou non, c'est la situation actuelle. La Chine a réalisé des progrès impressionnants dans le domaine spatial et montré l'importance des capacités qu'elle a développées. L'Europe doit intensifier ses efforts. Elle dispose des capacités techniques et géopolitiques nécessaires pour renforcer sa présence dans l'espace, mais aussi tirer parti des possibilités économiques et sociales que recèle l'espace.
L'Agenda 2025 énumère les cinq priorités qui doivent être celles de l'Europe pour qu'elle progresse et s'épanouisse à cette échelle.
L'une d'elles est que la Commission européenne, les institutions européennes et l'ESA travaillent main dans la main. Pour avoir travaillé durant plusieurs années au sein de la Commission européenne, j'ai compris qu'il était de la plus haute importance que nos institutions agissent bien de concert. L'Union européenne doit mobiliser ses forces politiques. Fournisseur de technologies, nous nous concentrons sur le développement d'infrastructures de technologie spatiale et la mise en œuvre de l'ingénierie spatiale. Cette collaboration main dans la main doit contribuer à renforcer l'Europe.
La commercialisation s'est rapidement développée ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, grâce à l'apport massif de capitaux privés comme ceux de la Silicon Valley, et l'Europe doit rattraper le terrain perdu. L'Europe n'est pas aussi performante en ce domaine que les États-Unis, où de nombreuses entreprises sont parties prenantes du secteur. En Europe, nous devons intensifier les efforts et créer un écosystème où les petites et les grandes entreprises privées auront accès à des financements dans le secteur spatial.
Dans le nouveau domaine spatial – le New Space –, il faut trois éléments : des idées, autrement dit agir au moyen du capital humain ; l'accès à des fonds et au capital risque – celui-ci est plus accessible aux États-Unis ; de la rapidité – nous devons être beaucoup plus rapides qu'aujourd'hui. Aux États-Unis, la rapidité est une qualité déterminante et l'on est bien plus capable de prendre des risques. En Europe, alors que nous avons du talent, un capital humain et des secteurs d'excellence, nous pouvons prendre des risques. Je ne me réjouis pas de voir des Européens se tourner vers les États-Unis pour trouver des débouchés, ni de voir les Américains recruter des talents européens. J'aimerais que soit mis au point un écosystème européen permettant l'épanouissement de ces activités.
L'accès au financement est un problème en Europe. On voit des signes de développement, mais pas au rythme des États-Unis. La Silicon Valley est connue pour être un vivier de fonds accessibles bien plus rapidement que sur les plateformes européennes. Certes, en tant que directeur général de l'ESA, j'ai signé, au cours des dix-huit derniers mois, dix-huit accords de capital risque pour permettre à des acteurs du domaine spatial européen d'accéder à des fonds, mais nous accusons des retards sur le rythme des investissements engagés ailleurs dans le monde. La rapidité et la prise de risque font partie de la culture américaine. L'ESA doit agir sur ce modèle et être plus réactive pour offrir des débouchés.
Les défis des programmes sont nombreux. Le secteur des lanceurs se trouve dans une situation difficile, pour ne pas parler de crise. Avec le directeur du transport spatial, nous aurons très prochainement une réunion avec les représentants des États membres et nous examinerons comment garantir, à moyen et long terme, l'accès à l'espace, qui figure parmi les premières priorités.
Enfin, l'ESA doit devenir plus rapide, plus réactive et tirer meilleur parti de ses ressources.
L'espace, la sécurité et la défense sont de plus en plus étroitement liés. C'est le cas en Russie, en Inde, en Chine et aux États-Unis. En Europe, la défense se déploie essentiellement au niveau national et très peu au niveau européen. Par conséquent, cela donnera lieu à d'intenses discussions. Nous avons la boussole stratégique et la stratégie européenne de défense mais, dans la conjoncture actuelle et face aux menaces à l'encontre de la sécurité de nos peuples, les actifs spatiaux sont très importants. L'accès à des technologies de télécommunication terrestres mais aussi à des instruments de navigation et d'observation est indispensable pour la sécurité en Ukraine.
En outre, l'espace et la sécurité ont de plus en plus une nature duale. Nombre de technologies développées dans le premier domaine ont de solides applications dans le second. C'est un travail engagé depuis plusieurs années, à l'exemple du développement de Galileo, d'instruments de connectivité et de moyens de cybersécurité. Lors de la dernière réunion ministérielle, la plupart des États membres ont adhéré à l'idée d'assurer la sécurité civile depuis l'espace. Nous combinons les technologies d'observation de la Terre avec celles de télécommunication et de navigation spatiales pour fournir des services en appui de la sécurité civile sur le terrain.
Le sommet spatial européen 2022 organisé à Toulouse, le 16 février dernier, événement important, a réuni des États membres de l'Union européenne et des États membres de l'ESA pour discuter d'importants sujets liés au domaine spatial en Europe. Le Président Macron a prononcé une allocution percutante, soulignant pourquoi l'Europe devait se lancer plus fortement dans le domaine spatial, notamment à des fins d'exploration humaine. À la fin de la réunion, il m'a demandé de constituer un groupe consultatif de haut niveau sur l'exploration spatiale humaine. Ce groupe est composé de personnalités issues non du domaine spatial mais d'autres secteurs de la société, tels que des économistes, l'ancien secrétaire général de l'Otan, des ministres, d'anciens responsables politiques, comme Cédric O, Erling Kagge, un explorateur qui est allé à pied sur le mont Everest, au pôle Nord, au pôle Sud, etc. Ces personnes se sont réunies pendant quelques mois, la dernière fois à Kourou, il y a quelques semaines. Ils sont en train de finaliser leur rapport, qui vise à décrire comment, du point de vue sociétal, amorcer l'exploration spatiale humaine.
L'Europe envoie ses astronautes avec des partenaires américains mais pas seulement. Par le passé, les astronautes américains allaient dans l'espace avec des Russes mais, pour des raisons évidentes, ce n'est plus le cas. Toutefois, contrairement à la Chine, aux États-Unis, à la Russie et, bientôt, à l'Inde, l'Europe ne dispose pas de ses propres capacités pour envoyer des astronautes dans l'espace. Pourquoi ? Aux responsables politiques qui m'ont posé la question lors du sommet de 2022, j'ai répondu que je reviendrai vers eux pour leur exposer les tenants et aboutissants en matière de coûts et de mise en œuvre de programmes. Ne voulant pas mettre la charrue avant les bœufs, j'attendrai le rapport final. La discussion aura lieu dans les prochaines semaines, car l'espace est une question stratégique liée à la géopolitique. À l'instar de la Nasa, l'Amérique latine ou l'Inde, l'Europe doit envoyer ses astronautes dans l'espace. C'est un rêve. Il y va de la possibilité d'unifier l'Europe et d'attirer un vivier de talents extérieurs.
Je remercie de nouveau la France d'avoir été l'hôte de la conférence ministérielle et d'être un partenaire fort. Le budget de l'ESA est en augmentation de 17 % par rapport à la précédente conférence, il y a trois ans. Nous ignorons quel sera le niveau d'inflation cette année, l'année prochaine et la suivante, mais en intégrant cette donnée, ce chiffre devrait augmenter d'environ 30 %. C'est une façon, pour la France et les autres États membres, de montrer l'importance primordiale de l'espace.
La contribution de la France porte principalement sur le transport dans l'espace, les lanceurs, la navigation, les télécommunications, l'observation de la Terre, l'exploration. Elle est en hausse de près de 20 % par rapport à 2019 et égale à 18 % de la contribution totale. La France est le deuxième contributeur, après l'Allemagne, et nous lui en sommes très reconnaissants. Nous remercions l'administration française et la France pour son fort soutien apporté lors de la conférence ministérielle.
Concernant notre feuille de route, comme je l'ai indiqué, nous devons accélérer l'utilisation de l'espace. Lors du sommet spatial qui se tiendra en novembre sous la présidence espagnole et sous la houlette de l'Allemagne, nous aborderons l'utilisation de l'espace dans sa dimension écologique, élément important pour l'Allemagne, et pour l'exploration spatiale.