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Intervention de Arnaud Desmettre

Réunion du jeudi 2 mars 2023 à 14h35
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Arnaud Desmettre, secrétaire général de l'association des VTC de France (AVF) :

Je vous remercie monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs. L'associé de maître Giusti était M. Thévenoud, ce qui nous a complètement refroidis. En effet, la loi Thévenoud était plutôt favorable aux taxis. En outre, ce cabinet nous réclamait 35 000 euros pour continuer les négociations. Nous avons donc mis fin à nos discussions avec celui-ci pour la création de l'ordre national des VTC. Cette idée reste cependant en suspens et nous y reviendrons probablement à l'avenir.

Notre association a participé à la rédaction de la proposition de loi Grandguillaume et nous nous demandons encore pour quelle raison le décret n'est pas complètement appliqué sept ans après. Notre structure a toujours alerté les divers hommes politiques et gouvernements sur ce sujet lors des sept dernières années. Cependant, lors des changements de gouvernement, les dossiers ne sont pas toujours transmis ou suivis, ce qui avantage Uber, qui a l'habitude de jouer la montre. Pour Uber, le temps, c'est de l'argent, car les conditions actuelles favorisent la création d'emplois et de chiffre d'affaires. Concrètement, Uber a intérêt à ce que la situation traîne jusqu'à la prochaine élection présidentielle afin d'assister à une stagnation permanente.

Aujourd'hui, le lobbying d'Uber est très bien introduit auprès des dirigeants des pays concernés. Nous vous confirmons qu'Uber a visé, en 2014, plus de deux cents cibles au sein du Gouvernement, du Parlement et de la population. À cette époque, M. Macron, qui était ministre de l'Économie, avait rencontré des représentants d'Uber à plusieurs reprises. Cependant, une seule de ces rencontres a été rendue publique. De plus, un de nos collègues et chauffeur de Grande remise nous a rapporté qu'ils avaient rencontré M. Macron et le dirigeant d'Uber France de l'époque à l'hôtel Costes.

En 2015, l'Assemblée nationale demande à M. Macron de rouvrir le débat sur la réglementation de services tels qu'Uber. La même année, le PDG d'Uber France de l'époque lance une importante campagne de communication. Dans la continuité, un député socialiste dépose un dossier et celui-ci n'a été ni vérifié, ni modifié, ni discuté à l'Assemblée nationale. Nous nous interrogeons également sur la sympathie et la morale qu'a M. Macron vis-à-vis d'Uber, de même que sur la nature des activités parallèles qu'il multiplie, comme des rendez-vous à l'insu du Gouvernement et des Français. Il sollicite également à cette époque des actions parlementaires auprès des ministres, députés et décideurs politiques. En 2016, 90 millions d'euros ont été dépensés par Uber dans des actions de lobbying alors qu'elle affiche un déficit de 6 milliards de dollars. Il est intéressant de remarquer qu'un consensus a été trouvé avec le Gouvernement pour l'abandon d'Uber Pop en échange d'une diminution du nombre d'heures de formation.

Je suis chauffeur VTC depuis 2015 et j'ai choisi ce vrai métier qui n'est pas un hobby. J'ai suivi une formation de trois mois et demi et, aujourd'hui, Uber est une plateforme de mise en relation qui propose des formations d'une semaine à 10 euros. Comment peut-on former un candidat à un tel métier en une semaine ? Comme le métier n'est pas complètement régulé, nous nous retrouvons avec des centres de formation pris d'assaut par les centaines de chauffeurs Uber. Cependant, la situation n'interpelle ni le Gouvernement ni qui que ce soit.

Nous sommes conscients que les Uber files ne représentent que la partie visible de l'iceberg et nous pensons que d'autres révélations interviendront à l'avenir. Nous avons le profond sentiment que des responsables politiques de l'époque ont validé des choix illégaux et irrecevables sans débat préalable. Lorsqu'il était ministre de l'Économie, M. Macron a plus que probablement outrepassé ses fonctions et ses droits en négociant directement avec la société Uber sans aucun échange interministériel préalable.

En conclusion, comment se fait-il qu'une société américaine, condamnée en France par la Cour de cassation pour entretenir des liens de subordination vis-à-vis des chauffeurs en mars 2020 et plus récemment par un tribunal à Lyon, n'ait pas été contrôlée davantage ou stoppée dans ses actions ? Depuis l'arrêt de la Cour de cassation, il y a trois ans, rien n'a changé. Uber est aujourd'hui la seule entreprise au monde à arriver dans un pays et à dicter ses lois ainsi que sa vision à des gouvernements sous prétexte qu'elle va créer des milliers d'emplois.

Nous nous demandons quelles sont ses faveurs et ses actions menées au détriment des chauffeurs, qui ne sont toujours pas reconnus correctement en France. Ils sont les principaux oubliés et ne servent qu'à produire des profits récoltés par Uber. S'ils n'acceptent pas les conditions imposées, ils sont écartés par la plateforme.

Au vu du temps de formation et du turnover ahurissant, Uber obtient facilement la main d'œuvre dont elle a besoin. Uber entre aujourd'hui sur les marchés en dépit de toute législation et remet en place un pseudo Uber Pop sans que personne au Gouvernement ne tire la sonnette d'alarme. Aujourd'hui, lorsque vous posez des questions à Uber, ce sont ses avocats qui vous répondent. Uber sait gagner du temps, car le temps c'est de l'argent. Lorsque les dossiers sont en cours, la plateforme peut continuer à réaliser du chiffre d'affaires. Nous sommes persuadés que des accords ont eu lieu entre Uber et des acteurs politiques. Nous voulons simplement qu'Uber respecte les lois et nous nous demandons pourquoi la plateforme bénéficie de tels passe-droits. Lorsqu'on est condamné en France, il est nécessaire d'appliquer la loi. Pourquoi permet-on encore à Uber de négocier ? Une fois de plus, nous nous rendons compte que la démocratie est atteinte.

En octobre 2014, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a perquisitionné Uber mais rien n'a eu lieu depuis. Uber n'est pas inquiétée.

Nous souhaitons profiter de cette intervention pour clarifier certains points auprès de vous et des Français. Uber est une société américaine avec un siège social européen situé aux Pays-Bas. Elle ne paie pas de TVA en France et ce problème est connu de multiples gouvernements. Uber n'est pas un professionnel du transport mais une plateforme de mise en relation de clients avec des chauffeurs. Ceux-ci sont à la base et, pour la majorité, des autoentrepreneurs selon Uber. Depuis la requalification de la Cour de cassation et la décision du tribunal de Lyon, ce modèle ne devrait plus fonctionner de la sorte. Nous rappelons que le modèle d'Uber est fondé sur l'autoentreprise des chauffeurs.

De plus, la loi française impose qu'une entreprise en France s'acquitte de la TVA lorsqu'elle reçoit une commande d'un client. Uber prend des réservations et doit donc s'acquitter de la TVA. Cependant, les conditions générales d'utilisation de la plateforme détournent la loi en mentionnant qu'il revient au chauffeur qui accepte la source d'acquitter la TVA en son nom. Par ailleurs, les bons de commande émis par Uber et reçus par les chauffeurs, pour une société de transport d'un client X, sont rédigés au nom des chauffeurs. Si le bon de commande est au nom du chauffeur, nous pourrions supposer que le client appartient au chauffeur pour ladite course. Uber mentionne cependant dans ses conditions que le client lui appartient et que le chauffeur n'a aucun droit ni aucune visibilité sur ce client.

Uber contourne également les règles de la TVA s'agissant de la commission de 25 % qu'elle perçoit sur chaque course. En effet, il revient encore aux autoentrepreneurs de payer la TVA sur cette commission.

Le pouvoir et la perversion de l'entreprise Uber s'exercent au détriment des chauffeurs que nous défendons depuis plusieurs années. Cependant, nous n'avons aucun poids et l'argent d'Uber équivaut un combat qui oppose le pot de fer au pot de terre. Nous avons été élus en tant que représentants d'une profession en mai dernier, dans le cadre du nouveau projet gouvernemental, à savoir l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe). Nous nous demandons si nous pourrons réellement améliorer la situation des chauffeurs VTC. Comme l'a dit notre vice-président, si Uber n'apporte pas 50 % de voix, nous ne pouvons rien signer. Nous avons statué sur un montant minimal de 7,65 euros car ce qui est pris n'est plus à prendre. Toutefois, en retirant la commission, la TVA et les charges des chauffeurs à ce tarif minimal, il ne reste pas grand-chose, ce qui explique le taux de turnover des chauffeurs.

Comment est-il possible que le Gouvernement ne réagisse pas à la lumière de tous ces éléments ? Que fait la DGCCRF ? Pourquoi l'administration fiscale qui perçoit la TVA ne réagit-elle pas ?

Nous posons ces questions aux gouvernements qui se succèdent et rien ne bouge. De notre côté, nous prônons le dialogue social. Les Uber files représentent une chance de prouver qu'il y a eu des malversations et des choses anormales. Nous comptons sur cette commission pour qu'elle fasse toute la lumière sur ce sujet.

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