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Intervention de Yassine Bensaci

Réunion du jeudi 2 mars 2023 à 14h35
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Yassine Bensaci, vice-président de l'association des VTC de France (AVF) :

Bonjour monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs. Je suis VTC depuis 2014 et, quand je suis entré dans cette profession, la politique d'Uber était très agressive. La plateforme nous promettait en effet monts et merveilles. Beaucoup de chauffeurs se sont donc tournés vers cette profession.

Nous nous sommes levés contre les applications dès la fin de l'année 2014 ou le début de l'année 2015. À cette époque, Uber avait lancé plusieurs services qui s'avéraient contraires à nos activités, notamment du fait de l'instauration du service Uber Pop. En effet, il s'agissait d'un service de transport entre particuliers qui représentait clairement une forme de concurrence déloyale vis-à-vis de nos activités de chauffeurs professionnels. De notre point de vue, les Uber files démontrent clairement la connivence de l'État et de l'exécutif avec cette société américaine. Nous tenons l'État et l'exécutif pour responsables de la situation des VTC travaillant pour les plateformes en France car nous avons souvent lancé des alertes sur les dégâts résultant des pratiques d'ubérisation. Cependant, nous avons toujours reçu une fin de non-recevoir de la part de l'État. Nous sommes des professionnels venant d'une profession réglementée et nous ne comprenons pas pourquoi l'État a permis aux plateformes de faire ce qu'elles voulaient.

Par exemple, en tant que professionnel, je dois pouvoir gérer ma tarification, mes coûts de revient, mes charges et fixer un prix de vente. Cependant, ce n'est pas le cas lorsque vous travaillez avec une plateforme. De plus, lorsque nous nous étions levés contre la baisse des tarifs, passés de 8 à 5 euros, en 2015, l'État nous avait mis dos à dos en nous disant que nous étions des professionnels et que les plateformes étaient des professionnelles de la mise en relation, c'est pourquoi il ne pouvait pas interagir dans cette relation. Les Uber files ont clairement démontré une connivence pour que le secteur ne soit pas réglementé. Les seules mesures prises ont d'ailleurs été mises en place entre les taxis et VTC et elles allaient souvent à l'encontre de ces derniers. Cependant, la bataille n'opposait pas réellement les taxis et les VTC, comme le relayaient les médias, mais les VTC et les plateformes comme Uber.

Je tiens à souligner que l'arrivée des plateformes en France n'est pas mauvaise en soi. Désormais, la profession s'est adaptée aux outils numériques et la qualité de service s'est accrue. De plus, un chauffeur VTC en France est aujourd'hui formé. En revanche, nous constatons que ce secteur d'activité n'a pas été régulé en raison du laisser-aller des pouvoirs publics de l'époque.

Par ailleurs, je viens de la région de Marseille où de nombreux chauffeurs issus des quartiers défavorisés n'avaient pas d'activité professionnelle à l'époque car l'État ne proposait aucune solution. Un écosystème s'est créé à l'arrivée de ces plateformes et ces personnes ont pu trouver du travail mais l'État a laissé faire n'importe quoi à une application qui est désormais une multinationale. Par conséquent, les VTC sont désormais tributaires de ces applications.

Dès que vous vous lancez dans n'importe quelle activité, si vous êtes indépendant, vous devez viser une clientèle. Actuellement, la masse clientèle des chauffeurs VTC a été captée par les applications. Un chauffeur VTC est donc condamné à passer par les applications pour lancer son activité et, s'il passe par les applications, il est défavorisé car les paramètres du chef d'entreprise ne sont pas pleinement respectés. En effet, un bon nombre de ces paramètres sont contrôlés par les plateformes et non par le chef d'entreprise.

Lorsque nous nous sommes levés contre ces applications, nous avons toujours voulu défendre les intérêts des chauffeurs. Le système n'est pas mauvais en lui-même mais il doit simplement être régulé.

En 2018, nous avons voulu créer un comité de chauffeurs avec une application française appelée Heetch. Heureusement, un projet de directive européenne a été lancé pour réguler la relation entre les chauffeurs et les applications. Aujourd'hui, l'écrasante majorité des chauffeurs souhaitent continuer à travailler sous statut d'indépendant mais avec une meilleure régulation. Les collègues qui demandent la requalification en salariés constituent en effet moins de 5 % des chauffeurs.

L'Arpe a été lancée en 2020 et nous en faisons partie. Notre but est toujours d'améliorer les conditions de travail des chauffeurs. Très récemment, le tarif minimal de la course d'un chauffeur VTC est passé à 7,65 euros nets et nous avons posé des conditions de révision de cet accord. Aujourd'hui, nous pouvons négocier alors qu'entre 2014 et 2018, les plateformes nous envoyaient des fins de non-recevoir et nous n'avons jamais été entendus. L'État nous a toujours renvoyé dos à dos. De plus, Mme Borne, lorsqu'elle était ministre des transports, n'a jamais fait le nécessaire pour réguler le secteur VTC.

De notre point de vue, le problème, ce n'est pas vraiment Uber mais l'État : quelles que soient les méthodes d'Uber, c'est à l'État de les réguler, ce qu'il n'a pas fait. Comme on dit souvent : pour applaudir il faut deux mains. Uber n'est donc pas la seule responsable car l'État l'a laissée faire. Par exemple, au moment de la loi LOM, un chauffeur pouvait être envoyé à trente minutes de route pour effectuer une course au tarif minimal, et donc non rentable alors que la loi nous interdit de vendre des prestations à perte.

Pour rappel, nous avons débuté nos premières manifestations en 2015 à la suite de la hausse du pourcentage de la commission prise par Uber et de la baisse du tarif minimal de la course de 8 à 5 euros. À la fin de l'année 2015, nous avons mené des discussions avec d'autres organisations sur le sujet d'un tarif minimal. Nous avons mis huit ans pour parvenir à définir ce tarif plancher. En 2016, nous avons porté les mêmes revendications tout en demandant une limitation du nombre de cartes, car l'ubérisation fonctionne avec une quantité importante de chauffeurs sur le marché. Il existe d'ailleurs un turnover important car le chauffeur remarque assez vite que le modèle ne fonctionne pas dès l'arrêt de l'ACRE (aide à la création ou à la reprise d'une entreprise). Nous avons également soutenu la loi Grandguillaume qui n'est malheureusement pas appliquée dans son intégralité.

En 2018, nous avons manifesté pour demander la détaxe carburant, qui était la seule manière de donner une bouffée d'air aux chauffeurs selon le rapport Rapoport. Les taxis y ont actuellement droit, contrairement aux VTC.

En 2019, nous avons manifesté contre la mairie de Paris qui, en voulant piétonniser certains quartiers de la capitale, a exclu les VTC de certains arrondissements pourtant stratégiques.

Nous sommes désormais l'association la plus représentée au niveau de l'Arpe. Je ne comprends d'ailleurs pas la volonté de l'État de donner un poids surdimensionné à Uber dans cette structure. Pour signer un accord au niveau de l'Arpe, il est nécessaire d'obtenir 30 % de voix des organisations syndicales et plus de 50 % de la part des plateformes. Concrètement, la FFTPR (Fédération française des transports de personne sur réservation), qui regroupe des plateformes françaises et étrangères, représente moins de 50 % du poids des plateformes. Nous ne pouvons donc pas signer un accord avec la FFTPR. Du moins, Uber peut le casser facilement, car elle est majoritaire dans la représentativité des plateformes. Dans ce système, Uber a reçu un chèque en blanc depuis le début ; l'État n'a jamais rien fait. Même avec l'Arpe, cette autorité de régulation de la profession, le poids d'Uber reste surdimensionné. Il existe encore une volonté de l'État de laisser Uber faire la pluie et le beau temps dans ce secteur.

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