Monsieur Loubet, vous me rappelez un jeune député que j'ai bien connu, qui parlait avec beaucoup de force, croyant que la force remplaçait la vigueur des arguments : moi – j'espère ne pas vous avoir blessé par cette comparaison, de mon point de vue flatteuse.
Je crois au marché européen. Les Européens sont nos premiers clients. Le Brexit est une catastrophe, d'abord pour eux, car on ne peut pas se couper de ses premiers clients. Si vous croyez que vous pouvez prendre tout ce qui se trouve sur la table sans rien donner aux autres, c'est que vous n'êtes qu'au début de votre carrière politique et que vous n'avez pas d'expérience. Vous ne pouvez pas non plus faire le tri dans le marché européen entre ce qui vous arrange et ce qui ne vous arrange pas. L'Europe est le continent où les guerres furent les plus brutales et les plus sauvages, non pas au Moyen Âge mais au XXe siècle. C'est en Europe qu'on a exterminé des juifs, qu'on s'est battu violemment. Ceux qui ont dit du conflit entre la Russie et l'Ukraine que c'était le retour de la guerre qu'ils n'avaient pas connue ont oublié la Bosnie ! Sans l'Union européenne, vous prenez le risque d'affrontements considérables. En politique, il faut prendre des engagements mais aussi connaître l'histoire, car c'est elle qui donne une dimension et une couleur à vos engagements. Vous n'êtes pas simplement le produit d'un parti politique ou d'une famille : vous êtes le produit d'une nation et d'un continent. Notre continent peut verser dans la barbarie. C'est pourquoi nos prédécesseurs ont décidé de construire un modèle d'union fondé sur le marché. Nos pays étaient ravagés par la guerre mais on a décidé de produire ensemble de l'acier et du charbon. C'est le marché qui a fait la paix.
Nous serions le « dindon de la farce » face à l'Allemagne : propos faciles et vides de sens ! Quand j'étais plus jeune, je pensais que Jacques Chirac en faisait trop autour du couple franco-allemand. De mon côté, je voyais Paris étroitement lié à Berlin, Madrid, Rome, jusqu'à Varsovie, puisque la Pologne était le cinquième grand pays à l'époque. J'ai changé d'avis en voyant fonctionner l'Europe, après l'avoir dirigée, après avoir siégé au conseil Ecofin en tant que ministre des finances, au conseil des ministres de l'intérieur, au conseil des chefs d'État et de gouvernement. L'Allemagne est indispensable au développement de la France, et réciproquement. C'est valable pour toutes les familles, mais vous êtes bien de votre génération à vouloir divorcer au premier désaccord. Vous avez beaucoup de talent, beaucoup de force et cela m'est sympathique. Prenez de l'épaisseur ! Ne tenez pas de tels propos parce qu'ils sont faux. Je ne le dis pas parce que vous appartenez au Rassemblement national. Je respecte toutes les opinions et, après tout, Mme Le Pen a voté pour M. Hollande. On a le droit de faire des erreurs dans la vie, mais ne parlez pas ainsi du couple franco-allemand. C'est trop grave. Il faut en prendre conscience parce que des gens sont morts. On parle de deux guerres mondiales mais il y en a eu trois, en vérité. Les gens du territoire de Belfort savent ce qu'il en était.
Vous moquez mon « amour de la concurrence ». Vous êtes converti au communisme, tant mieux ! Je ne suis un théoricien, je pense que, de tous les systèmes économiques expérimentés, l'économie de marché est le meilleur. Il faudrait être aveugle pour ne pas le comprendre ! Plus qu'en la concurrence, je crois en l'émulation, au mérite. C'est pour cette raison que la France populaire m'a écouté. Que valent l'émulation et le mérite sans la concurrence ? Si vous recevez la même chose, que vous travailliez ou non, pourquoi faire des efforts ? Revoyez donc vos classiques !
Pour ce qui est de l'EPR et Flamanville, des dérapages il y en a eu, bien sûr, mais je vous rappelle que les Chinois, connus pour être bien organisés, avec d'autres concepts, ont connu, eux aussi, des dérapages. C'est une nouvelle technologie et ce n'est pas parce que nous serions tous des imbéciles que nous avons rencontrés des difficultés. Sans doute vous sentez-vous capable de diriger impeccablement l'EPR, mais c'est un peu plus compliqué que de diriger Montretout.
Pour ce qui concerne la Libye, je vous rappelle que la décision n'était pas celle de la France mais de l'Assemblée générale des Nations unies. À la grande différence des forces américaines que George Bush avait engagées en Irak, la coalition des cinquante-trois pays qui est intervenue en Libye avait reçu un mandat officiel de cette assemblée.
Pour le reste, la politique est ce qu'elle est et je vous souhaite la carrière la plus vibrante qui soit.
J'en viens aux ONG. Ce qu'il s'est passé à l'époque était très curieux. Pourquoi les responsables politiques, quelle que soit leur formation politique, n'ont-ils pas une bonne image médiatique, contrairement aux dirigeants d'ONG ? C'est injuste ! Les dirigeants d'ONG restent en poste sans que, bien souvent, personne ne leur demande de compte, contrairement aux responsables politiques qui sont souvent critiqués, peuvent être battus et se trouvent dans une situation très précaire, surtout depuis l'interdiction de cumuler deux mandats. Or sur un plateau médiatique, un dirigeant d'ONG est considéré comme plus représentatif qu'un élu. Je n'aime pas cela.
N'en déduisez pas que je ne tiens pas à discuter avec les ONG puisque je les ai moi-même associées au Grenelle de l'environnement. Simplement, la souveraineté populaire s'exprime à travers les parlementaires et le Président de la République, non par le mouvement associatif. Je ne néglige pas l'importance de celui-ci : les associations sont généreuses, mais le peuple s'exprime à travers ses représentants, quels qu'ils soient. C'est d'ailleurs pour cette raison que je n'ai jamais compris le sens d'un « pacte républicain ». Dès lors que vous êtes élu, vous faites partie de la République, et si vous n'étiez pas républicain, vous n'auriez pas pu vous présenter.
Nous devrions réfléchir à ce problème de l'image. Je vois des membres d'ONG, qui ne représentent rien, prendre la parole très régulièrement, alors que des parlementaires, quel que soit leur engagement politique, sont relégués au bout du plateau et ne reçoivent qu'avec des pincettes le droit de s'exprimer ! S'ils s'en offusquent, on leur rétorque, pour toute explication, qu'ils sont des « politiques ». Et alors ? C'est noble, d'être un politique ! Il faut s'être battu pour en arriver là ! Pas une seule parcelle de mon corps n'est indemne de cicatrices ! On ne vole pas la place ! C'est un problème et votre commission peut participer à sa résolution en faisant travailler ensemble des hommes et des femmes très différents, qui auront à cœur de tutoyer la vérité plutôt que de valoriser leur image.