Inutile de vous dire, monsieur le rapporteur, que je n'ai pas d'explication technique – ce sujet est d'une complexité atroce.
À Flamanville, les travaux ont commencé en 2007. On nous annonce le démarrage de l'EPR pour 2024, soit dix-sept ans plus tard, pour un coût final estimé par EDF à 13 milliards, 12 au mieux. Le rapport de Jean-Martin Folz ne remet pas en cause la conception du moteur, à raison puisque l'EPR de Taishan est équipé du même – pourquoi serait-il trop compliqué pour fonctionner à Flamanville ? Cela n'a aucun sens. Les Chinois l'ont parfaitement fait fonctionner.
Un premier problème pourrait tenir aux conditions de sûreté – soit l'intérieur des centrales, l'extérieur relevant de la sécurité – qui, en France, sont sans doute les plus fortes du monde, et c'est tant mieux. Par exemple, les EPR ont une double coque. Pour parer à une fonte du réacteur, il faut installer un ravier très solide en dessous, pour éviter une contamination de la nappe phréatique, et une coque au-dessus, pour éviter une contamination de l'atmosphère. Dorénavant, cette coque est doublée et doit résister au choc d'un avion qui se poserait dessus. Sans dire qu'il y a danger en Chine, je ne pense pas que le niveau d'exigence y soit le même. Simplement, entre la décision de construire l'EPR de Flamanville, dont le chantier mobilise plus de 3 000 ingénieurs, et son démarrage, les conditions de sécurité ont changé.
Deuxièmement, nous avons perdu de la compétence en matière de construction de centrales. Rien n'avait été construit depuis la centrale de Civaux, seize ans auparavant, lorsque nous avons lancé l'EPR. Je ne suis pas un admirateur inconditionnel du président Xi, mais les Chinois ont construit des centrales en permanence. Dans une maternité, on considère qu'un obstétricien qui fait moins de 300 accouchements par an fait courir un risque à ses patientes, car il perd la main. C'est un peu ce qui s'est passé en matière nucléaire : entre les centrales de Civaux et de Flamanville, nous avons perdu de la substance.
Troisièmement, la construction de la centrale de Taishan a commencé deux ans après celles de Finlande et de Flamanville. Elle a donc bénéficié du retour d'expérience de ce que nous avons mal fait.
Quatrièmement, il y a certainement des faiblesses dans l'organisation du suivi du chantier par EDF, qui ne saurait s'en exonérer.
Je vous demande, non d'avoir de l'indulgence pour les ingénieurs, mais de comprendre que nous sommes au sommet de la technologie, à l'avant-garde. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut faire avec certitude. Dans cinquante ans, ceux qui nous succéderont diront : « C'est fantastique, l'EPR qu'ils ont fait ! Il continue à produire l'électricité ! ». Nous sommes au début d'un processus, pas à l'époque de Joliot-Curie et de la pile Zoé, précieusement conservée à Clamart. Il faut accepter l'idée qu'un saut technologique de cette complexité ne peut pas être en abscisse et en ordonnée, ce qui ne signifie pas que des erreurs n'ont pas été commises, que tout a été fait comme cela aurait dû l'être et qu'il n'y a pas eu de bagarres. Si, en plus, ceux qui travaillent à la pointe du nucléaire, entendent en permanence qu'on va arrêter le nucléaire, ce n'est guère encourageant. Et la fermeture de la centrale de Penly, choisie pour être la jumelle de celle de Flamanville, ne l'est pas davantage.
Pour le reste, je m'en remets au rapport de Jean-Martin Folz, qui me semble équilibré et plus à même de vous informer à ce sujet que moi. J'ai dit que le nucléaire est du niveau du Président de la République, je n'ai pas dit que j'y comprends tout. J'ai dû me rendre dix fois dans une centrale nucléaire ; dix fois on m'en a expliqué le fonctionnement. Je prenais un air concentré, je l'étais autant que possible, mais au bout de cinq minutes j'étais largué. Je connaissais suffisamment le processus pour prendre des décisions, mais il est monstrueusement compliqué.