Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de nous avoir invités à participer à vos travaux.
À titre liminaire et avant de répondre à vos questions, je tiens à souligner que l'assassinat d'Yvan Colonna a été un drame et un choc pour les institutions judiciaire et pénitentiaire, sous la responsabilité desquelles il était placé lorsqu'il était détenu à la maison centrale d'Arles. Indépendamment des investigations diligentées par les services antiterroristes du tribunal judiciaire de Paris, il nous appartient collectivement d'identifier les potentiels dysfonctionnements à l'origine de ce drame afin d'éviter qu'une telle situation se reproduise. Nous avons d'ailleurs contribué de manière assez importante aux travaux de l'IGJ et nous nous félicitons des travaux conduits ici.
La direction des affaires criminelles et grâces exerce l'attribution du ministère de la Justice en matière pénale. À ce titre, elle assume trois missions principales : contribuer à l'élaboration de la législation et de la réglementation en matière pénale et de procédure pénale ; préparer les instructions générales – le terme est important – d'action publique, coordonner et évaluer leur mise en application ; contrôler l'action publique par les parquets généraux et les parquets. Tel est le cadre dans lequel s'inscrit l'ensemble des relations que nous avons avec les autres départements ministériels du Gouvernement, les autres directions du ministère de la Justice et, lorsque nous travaillons à l'élaboration de la norme, les assemblées parlementaires. Dans le cadre de ses activités, la DACG a participé à l'ensemble des travaux qui ont été conduits en matière de lutte antiterroriste depuis de nombreuses années. Le dispositif antiterroriste, né en 1986, a en effet considérablement évolué, notamment depuis 2016, c'est-à-dire postérieurement à la période d'arrestation et d'incarcération de M. Elong Abé. Je crois qu'il est important de le rappeler afin que le cadre général soit fixé.
Plusieurs lois sont intervenues depuis 2016, qui ont doté les magistrats et les enquêteurs de nouveaux pouvoirs d'investigation. De plus, d'autres dispositifs ont renforcé la réponse pénale s'agissant des peines et des mesures de sûreté encourues, notamment : l'aggravation de la peine pour les associations de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes d'atteintes aux personnes ; l'instauration de la période de sûreté spéciale et d'une peine incompressible ; la création de nouvelles mesures de sûreté et de mesures pouvant intervenir à la suite de la remise en liberté des personnes concernées. Enfin, de nombreuses dispositions dérogatoires de suivi des personnes condamnées en matière terroriste ont été consacrées, notamment via un durcissement des possibilités d'octroi de libération conditionnelle, l'exclusion du bénéfice des crédits de réduction de peine, ainsi que certains modes d'aménagement de peine. Concrètement, tous ces dispositifs sont apparus à partir de 2016, soit après l'interpellation de M. Elong Abé.
La DACG participe évidemment à la mise en œuvre du plan interministériel d'action contre le terrorisme, piloté par la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT). Ma direction contribue aussi à ce titre au dispositif de prévention et de lutte contre la radicalisation, dont l'autorité judiciaire est un acteur essentiel. Toutes ces actions sont menées en lien avec les autres départements ministériels et, notamment, avec la DAP.
Au-delà de ce que nous faisons, il y a tout ce que nous ne faisons pas. Il est important de le souligner. Le rôle de la direction est d'établir la norme et de donner les instructions générales de mise en œuvre de la norme, les instructions générales en matière de politique pénale, puis d'évaluation des dispositifs mis en œuvre – pour ce faire, nous animons un certain nombre de réseaux, notamment, en matière terroriste, le réseau des référents terroristes. En revanche, si elle prépare les instructions générales et contrôle l'exercice de l'action publique, la DACG ne donne pas d'instructions dans les procédures individuelles ni ne porte d'appréciations sur le traitement des procédures individuelles par les juridictions, conformément à la loi du 27 juillet 2013. Il s'agit d'une évolution majeure de notre cadre d'intervention décidée par le législateur, qui a souhaité s'inscrire dans le respect de la stricte séparation des pouvoirs, telle que définie par la Constitution, entre ce qui relève de l'exécutif – que je représente en partie ici – et de l'autorité judiciaire. L'ensemble des décisions prises s'agissant des mesures individuelles relève de l'appréciation souveraine des magistrats, qu'ils soient du parquet ou du siège.
La loi définit donc un cadre pour les interventions des uns et des autres en ce qui concerne les éventuels lieux d'affectation. Ce cadre prévoit un certain nombre de possibilités d'intervention de l'autorité judiciaire en ce qui concerne, notamment, les transfèrements de personnes, ceux-ci pouvant avoir pour objectif l'éventuelle affectation dans un QER pour les détenus suspectés de radicalisation. La loi définit deux stades quant à l'intervention de l'autorité judiciaire dans le cadre des transfèrements. Le premier concerne les personnes en détention provisoire, qui peuvent être transférées pour faire l'objet d'évaluations. L'administration pénitentiaire peut prendre une telle décision et la soumet au juge d'instruction, lequel peut s'opposer au transfèrement pour des raisons liées aux impératifs de son information judiciaire. L'autre cadre de transfèrement concerne les personnes condamnées : dans ce cas, l'administration pénitentiaire est décisionnaire, mais elle prend l'avis du parquet et du juge d'application des peines. Ceux-ci peuvent émettre un avis, favorable ou non, essentiellement lié au bon suivi des mesures d'application des peines qui sont mises en œuvre. En matière terroriste, depuis la loi de 2016, le système est centralisé à Paris, où est géré l'ensemble de l'application des peines des personnes détenues en matière terroriste.
S'agissant des transfèrements et des affections en QER, la DACG n'est pas intervenue de manière spécifique via les instructions données, au-delà des présentations générales qui avaient pu être faites sur les dispositifs existants en matière de prévention de la radicalisation et sur le positionnement de l'autorité judiciaire en la matière. En effet, ces sujets relèvent de l'appréciation de situations individuelles qui n'appelaient pas de précisions de la part de ma direction. Toutefois, nous avons tenu compte des observations de l'IGJ et, notamment, de la recommandation numéro 8, qui demandait de préciser les éléments à prendre en considération dans ce domaine. Plus exactement, il s'agissait de préciser que certaines situations individuelles ne devaient pas faire obstacle au transfèrement. Cela a fait l'objet d'une note de la DAP expliquant plus en détail comment la situation de dangerosité des personnes ne devait pas constituer un obstacle au fait qu'elles puissent être transférées pour être affectées en QER. J'ai pour ma part rappelé ce point auprès du procureur général de Paris et du procureur de la République antiterroriste.
Il s'agit du seul élément en lien avec ces questions de transfèrement ou d'affectation en QER sur lequel nous avons été appelés à nous prononcer, dans le cadre d'instructions générales, sans appréciation sur les situations individuelles qui pouvaient avoir été soumises antérieurement et qui pourraient l'être postérieurement. Nous ne sommes donc jamais intervenus – car cela aurait été contraire à la loi de 2013 et à l'article 30 du code de procédure pénale – pour porter une appréciation sur une situation individuelle, celle de M. Elong Abé en l'espèce, sur le point de savoir où il devait être détenu ou s'il devait être transféré pour être orienté ou non en QER. Nous ne portons pas d'appréciation particulière sur les situations, dès lors que nous ne connaissons pas les dossiers individuels sur lesquels l'autorité judiciaire peut être amenée à se prononcer.
Pour être tout à fait honnête, le suivi de la direction est en général totalement inexistant sur la situation de détenus dont la condamnation est définitive, qu'il s'agisse de leur lieu de détention ou des éventuels transferts, car il ne s'agit plus d'un sujet de pilotage des politiques pénales mais de la mise en œuvre d'un régime d'exécution.