Le projet de loi que nous examinons cette semaine en commission des affaires européennes et qui vous sera soumis la semaine prochaine en séance publique marque une évolution attendue dans la politique énergétique de la France.
Malgré des dispositions très techniques, ce texte constitue la traduction juridique de la volonté politique exprimée par le président de la République dans son discours de Belfort en février 2022 : la relance de la filière nucléaire civile française avec la construction de 6, puis 8 réacteurs EPR d'ici 2050. Pour réduire de deux à trois ans les délais de constructions de nouveaux réacteurs et aligner le temps des procédures administratives sur le temps industriel, le projet de loi propose plusieurs évolutions du droit de l'urbanisme et du droit des installations classées.
Le lien entre les dispositions du projet de loi et le droit de l'Union est assez distendu et aucune disposition de ce texte n'est en contradiction directe avec les textes européens. J'appelle seulement votre attention sur deux points particuliers, qui pourront être utilement évoqués dans notre hémicycle la semaine prochaine. Les institutions européennes doivent en effet discuter dans les semaines à venir d'une directive sur la restauration de la nature et la protection de la biodiversité, ainsi que d'un texte législatif sur la protection des sols et leur artificialisation. La construction de nouveaux réacteurs, facilitée par les dispositions du projet de loi, doit naturellement s'inscrire en cohérence avec ces deux textes à venir.
Le premier point de vigilance concerne l'articulation avec le droit européen de la protection de la biodiversité, avec l'adoption à venir d'une directive sur la restauration de la nature. Les efforts pour préserver les écosystèmes des activités nucléaires doivent être poursuivis, conformément à la stratégie européenne pour la biodiversité. Il ne s'agit pas là d'une alerte pour empêcher la construction des centrales nucléaires, mais simplement de souligner la qualité des procédures existantes pour contrôler l'impact des centrales nucléaires sur la nature et appeler à la poursuite de ces travaux.
Mon second point de vigilance concerne l'artificialisation des sols, avec l'objectif de « zéro artificialisation nette » qui doit être repris au niveau européen en 2023 : la construction de nouveaux réacteurs contribue naturellement à l'artificialisation des sols. Je tiens toutefois à souligner que la densité énergétique des centrales permet de créer une grande quantité d'énergie avec une emprise au sol bien plus faible que les énergies renouvelables. La construction de nouveaux EPR est ainsi plutôt cohérente avec la stratégie européenne en matière de sols et j'attire votre attention sur le fait que le déploiement à venir des énergies renouvelables ne doit pas, dans le futur, limiter la construction de futurs réacteurs.
Au-delà de ces points de vigilance, l'intérêt du travail que je vous présente aujourd'hui est surtout d'analyser la façon dont la volonté politique française de déploiement de nouvelles capacités nucléaires est compatible avec les orientations énergétiques européennes. Je me suis attaché au cours de mes travaux à analyser les freins à lever et à identifier des partenaires pour la construction d'une véritable filière nucléaire européenne.
Le postulat de départ est simple : les institutions européennes sont supposées être idéologiquement neutres dans la détermination du mix énergétique des États membres. Depuis une quinzaine d'années, la Commission européenne a cependant fait disparaître le nucléaire de sa politique énergétique : l'atome n'est ainsi pas cité dans le Pacte Vert pour l'Europe, le programme environnemental et climatique présenté par Mme Ursula von der Leyen en 2019. Depuis un peu plus d'un an, nous assistons néanmoins à un changement de paradigme : l'Union européenne et les États membres ont réintégré le nucléaire dans la stratégie énergétique du continent. Cette évolution s'explique naturellement par les atouts considérables que représente le nucléaire : une énergie décarbonée, permettant d'atteindre les objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 et 2050, conformément à la « loi européenne pour le climat » et au paquet Fit for 55 ; une énergie peu chère permettant de soutenir la compétitivité de nos entreprises européennes et le pouvoir d'achat de nos concitoyens ; une énergie souveraine dont les moyens de production sont localisés sur le sol européen : le nucléaire contribuera à l'atteinte de notre sécurité énergétique ; une énergie sûre et pilotable, qui permet de pallier l'intermittence des énergies renouvelables dont nous avons besoin.
Depuis le début de l'année 2022, la Commission européenne a ainsi inclus le nucléaire à la taxonomie verte comme énergie de transition, permettant d'orienter les flux des investissements privés vers la construction de nouvelles capacités nucléaires. La communauté d'objectifs entre la taxonomie verte et le projet de loi « Nucléaire » est donc évidente de ce point de vue.
Plus récemment, en février 2023, la Commission européenne a reconnu la nécessité de s'appuyer sur l'hydrogène bas-carbone, produit avec de l'électricité nucléaire, en parallèle de l'hydrogène vert, dont le processus est réalisé à partir d'énergies renouvelables. La Commission a également réservé un traitement favorable dans le domaine de la production d'hydrogène aux États ayant un mix énergétique réservant une part importante au nucléaire. La reconnaissance de l'hydrogène bas carbone est une grande avancée pour les négociations européennes, et une très bonne nouvelle pour la France.
Ce virage plus favorable au nucléaire vient cependant seulement d'être initié et doit être poursuivi. Les auditions durant ce rapport ont mis en évidence que de nombreux obstacles demeuraient au niveau européen pour la constitution d'une véritable filière commune aux États membres. Les premiers freins sont de nature politique : plusieurs États, notamment nos partenaires allemands, autrichiens et espagnols, s'opposent à l'adoption d'une législation trop favorable au nucléaire. Dans le cadre des négociations, la constitution d'une alliance du nucléaire par notre ministre de la transition énergétique est un pas important, puisque les onze États qui la composent permettent de constituer une minorité de blocage dans les négociations au Conseil. Les liens entre les États de cette alliance doivent être resserrés, de manière à la pérenniser dans le temps.
Les obstacles politiques à la reconnaissance d'une filière nucléaire mènent également à des absurdités et créent un second frein faisant craindre un manque de cohérence du droit européen. Je soulignais les progrès liés à la reconnaissance de l'hydrogène bas-carbone : nous sommes pour l'instant au milieu du gué, puisque cette reconnaissance n'a pas encore été suivie de la détermination de débouchés industriels pour ce type d'hydrogène. Nous pouvons donc créer de l'hydrogène bas carbone, pour remplir une cuve, mais nous ne pouvons déverser cet hydrogène dans aucun réservoir, par exemple de bateaux ou d'avions. Les négociations des textes en cours, comme les textes relatifs aux carburants, le paquet gazier, la réponse européenne à l'IRA, le « Clean tech for Europe », la directive RED III, et le Global Gateway sont ainsi autant d'occasions pour franchir définitivement le pas initié et reconnaître des débouchés industriels à l'Union européenne.
Au-delà des négociations politiques, je crois que nous sommes à un momentum européen pour une relance de l'industrie nucléaire européenne. Même si l'énergie atomique civile est un moyen essentiel pour sortir des crises énergétiques, climatique et de compétitivité, il nous appartient d'apporter la preuve que la construction d'une Europe du nucléaire pourrait fonctionner techniquement et serait rentable économiquement. Le rapport que je vous propose évoque plusieurs moyens pour faire cette démonstration, avant une généralisation à grande échelle : Les petits réacteurs SMR et AMR pourraient faire l'objet d'un projet industriel d'intérêt économique commun, les fameux PIIEC, permettant de déroger au cadre des aides d'État. Le PIIEC est un outil idoine pour aller chercher des briques technologiques dans plusieurs États membres afin de créer un vrai premier réacteur européen, sans domination de la chaîne de production par un seul État membre ; L'industrie de l'Union doit également se concentrer sur la recherche et le développement d'une filière de combustible capable de faire fonctionner l'ensemble des centrales nucléaires dans tous les États membres, notamment celles d'Europe centrale d'origine russe, fonctionnant avec le combustible russe de l'entreprise Rosatom. À l'heure actuelle, seule l'entreprise de droit américain WestingHouse s'est positionnée sur ce segment de marché : notre industrie européenne doit également s'intéresser à ce sujet et développer des solutions innovantes.
Je plaide pour une « méthode des petits pas à grandes enjambées » en matière énergétique : nous disposons de plusieurs opportunités techniques et politiques pour montrer qu'une Europe du nucléaire est nécessaire dans le monde de demain. Cette méthode peut être complétée à moyen terme par un soutien à l'export de matériel nucléaire civil, qui permettra de financer les progrès technologiques de notre continent.
Le traité Euratom fut au cœur de la construction européenne, nous devons démontrer à nos partenaires que le nucléaire est une chance pour le continent pour atteindre son objectif de neutralité carbone aux bénéfices de ses habitants.