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Intervention de Alexandre Sabatou

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 13h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandre Sabatou, rapporteur (RN) :

La proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe opère une refonte du régime juridique de l'action de groupe à la française, en cohérence avec les dispositions de la directive 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs, et abrogeant la directive 2009/22/CE, dont elle assure également une transposition partielle. Je porte un avis positif sur cette initiative européenne, dans la mesure où elle renforce les droits du consommateur français.

L'action de groupe est un recours collectif en justice pour réparer un préjudice représentant de faibles montants monétaires, ou pour faire cesser un comportement délictueux lésant le consommateur. L'action de groupe n'est, dès lors, rien d'autre qu'un moyen de défense pour le consommateur pour obtenir réparation du préjudice subi, au regard des coûts élevés de la procédure et du faible gain attendu. L'action de groupe représente donc bien un moyen de défense pour des consommateurs démunis face à des multinationales aguerries, et un moyen nécessaire pour protéger les consommateurs français et européens.

Longtemps déconsidérée car assimilée aux class actions américaines, fantasmes de toutes les dérives associées à la jungle libérale d'un marché américain dérégulé, l'action de groupe européenne évite ces écueils. Elle propose un équilibre entre la protection des droits du consommateur et l'absence de risques de recours abusifs contre les entreprises.

L'Union européenne a réfléchi, dès les années soixante-dix, à une meilleure protection des consommateurs dans le cadre de la construction et de l'achèvement du marché intérieur. Le droit des consommateurs est devenu une compétence de l'Union européenne dès le traité de Maastricht, et a été reconnu comme un droit à part entière dans la Charte des droits fondamentaux. Toutefois, la gestation a été longue et difficile du fait de la résistance marquée de nombreux États membres attachés à leurs traditions juridiques et prérogatives procédurales, alors que l'effectivité du droit des consommateurs était en jeu.

La France, dans ce théâtre de résistance , a soutenu une position médiane et mesurée, à savoir le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité reconnus par le traité de Lisbonne. Malgré une percée en droit interne, par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », l'action de groupe n'a pas eu les effets escomptés, du fait des nombreux freins posés par le législateur.

À ce titre, le scandale « Volkswagen » a fait l'effet d'une sourde détonation lorsque les consommateurs se sont réveillés, inégalement réparés dans leurs droits, là où les consommateurs américains se sont trouvés intégralement remboursés de leurs préjudices. Les actions qui ont été couronnées de succès l'ont été à l'issue de procédures particulièrement longues, mettant en exergue la force du système juridique américain dans ce domaine et la faiblesse des systèmes juridiques européens, dont le nôtre. Après le scandale « Volkswagen », en 2015, ce sont les annulations de vol en série par l'entreprise Ryanair, en 2017, qui ont montré la nécessité et l'urgence d'adapter notre droit pour une meilleure défense des consommateurs français et européens.

La directive (UE) 2020/1828 répond à l'exigence de rendre la protection du droit des consommateurs effective. Adoptée le 24 novembre 2020 par le Parlement européen, publiée au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE) du 4 décembre 2020, la directive 2020/1828 crée un système original d'action de groupe européenne. Elle oblige chaque État membre à instaurer un régime juridique d'action de groupe en cohérence avec son droit interne, et ouvre la possibilité pour chaque consommateur européen de se joindre, pour un même préjudice, à des actions de groupe transfrontières. Les États membres avaient jusqu'au 25 décembre 2022 pour mettre leurs droits en conformité avec les dispositions de la directive, celle-ci devant s'appliquer, au plus tard, le 25 juin 2023.

Les droits du consommateur sont ainsi garantis tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle européenne. Le recours collectif doit prendre une double forme, une action en cessation, pour faire cesser une pratique illégale, et une action en réparation, pour indemniser le défendeur du préjudice qu'il a subi.

Pour répondre aux inquiétudes de certains États membres, la directive a posé un certain nombre de garanties. Elle prévoit notamment des critères de transparence pour la désignation et le financement des entités qualifiées autorisées à plaider, la limitation des clauses d' opt-out au profit de la clause d' opt-in, le remboursement des frais de justice à la partie gagnante, la nécessité d'informer les demandeurs potentiels qui pourraient se joindre à l'action collective, l'interdiction d'octroyer des dommages-intérêts punitifs, et l'interdiction de verser des honoraires de résultat aux avocats pour les dissuader d'engager des procédures judiciaires abusives.

La transposition de la directive par la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe est une opportunité pour refondre le régime juridique de l'action de groupe à la française, qui selon le rapport d'information qui en dressait le bilan et les perspectives, présenté, le 11 juin 2020, par M. Philippe Gosselin et Mme Laurence Vichnievsky, est apparu comme une occasion manquée. Le texte, issu des travaux de la commission des lois, sera présenté en séance le 8 mars prochain, et ne transpose que les dispositions permettant une action de groupe transfrontière. Le droit français était déjà en conformité avec un certain nombre de dispositions de la directive, et ne nécessitait pas d'autres transpositions, le régime de l'action de groupe en réparation existant déjà en droit français et ne nécessitant pas une adaptation, puisque la directive laisse une autonomie procédurale aux États membres.

Dans la version actuelle de la proposition de loi, le contrôle peut sembler insuffisant au regard des exigences de la directive en matière de contrôle de demande d'agrément, de possibles conflits d'intérêts, ou de financement par des tiers. La question d'un soutien financier aux actions de groupe, sous la forme d'un financement, proposition du rapport sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, n'a pas été reprise par la présente proposition de loi. Même si cette question ne constitue pas une exigence de la directive, elle mérite d'être réinterrogée, ayant été identifiée comme un frein puissant au développement des actions de groupe en France, en l'absence de gains attendus pour les cabinets d'avocat sur le modèle américain.

Pour votre rapporteur, la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe est une opportunité pour redonner de l'élan aux recours collectifs, procédure juridique protectrice du droit des consommateurs. L'existence de critères solides garantissant la sécurité juridique des professionnels afin d'éviter tout recours abusif à des fins personnelles amène à soutenir ce texte, renforçant le régime juridique de l'action de groupe en droit français, et la transposition qu'il fait des actions transfrontières.

Si quelques dispositions du texte méritent d'être amendées, notamment pour introduire davantage de contrôle dans le financement par des tiers et dans l'absence de conflits d'intérêts, voire pour proposer un fonds de soutien aux actions de groupe, le texte dans son ensemble présente une avancée pour la protection des droits des consommateurs, dont le consommateur français sortira gagnant. À ce titre, l'impulsion donnée par l'Union européenne pour préserver et renforcer le droit des consommateurs européens mérite d'être saluée. Elle correspond à ce que nous en attendons, à savoir une Europe respectueuse des spécificités des États membres, qui, en renforçant leurs droits, n'empiète pas sur leur souveraineté ou leurs identités juridiques, en respectant les identités nationales qui la compose.

Pour reprendre les mots du rapporteur du texte devant le Parlement européen, M. Geoffroy Didier : « L'Europe, enfin, en sort gagnante, à un moment où les peuples reprochent, parfois à juste titre, à l'Union européenne d'imposer nombre de normes et de contraintes. Elle démontre ici qu'elle sait s'adapter aux nouveaux besoins et surtout qu'elle est en mesure d'offrir de nouveaux droits aux citoyens. Il s'agit là d'un progrès économique, d'un progrès juridique, mais surtout d'un progrès politique que nous devons tous nous approprier et que nous pouvons tous revendiquer ».

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