. – Je remercie les uns et les autres, extérieurs au Parlement, du temps qu'ils nous consacrent aujourd'hui. Le nucléaire est leur métier, leur passion, et fait partie de leur histoire. Nous avons affaire à des gens sérieux. Je constate par ailleurs avec plaisir que les parlementaires le sont tout autant et je retrouve, au-delà des prises de position et des différentes convictions exprimées, le Parlement tel que je l'aime et le fréquente depuis quelque 45 ans.
Nous partageons tous la nécessité absolue de sûreté et je souscris totalement aux propos de mon excellente collègue Maud Bregeon sur le respect du Parlement et des procédures. Les ministres veulent toujours aller vite, mais il ne me semble jamais inutile, sur des sujets aussi importants, de prendre du temps pour échanger.
En avril 1975, alors que je n'étais pas encore député, mais déjà commissaire du gouvernement, j'ai assisté à un débat intéressant lors duquel le ministre de l'industrie, chargé de la mise en œuvre du programme Messmer, répondait au Parlement en indiquant que la loi correspondait à la grande stratégie sur l'indépendance énergétique de la France, dont le nucléaire était un atout essentiel, et que la mise en œuvre en revenait au gouvernement. Le Parlement a imposé – ce qui constitue une excellente mesure pour l'acceptation, par l'opinion française, du programme électronucléaire – le fait que les questions de sûreté sortent de la confidentialité, de l'entre soi et deviennent, via les lois de 2006 en particulier, des enjeux nationaux.
Ce qui me gêne avec l'objectif dual est qu'en réalité les parties prenantes sont beaucoup plus que deux et qu'il faut en assurer la coordination. L'idée d'un collège d'une part, mêlant compétence et sagesse, et d'une expertise d'autre part est formidable, à ceci près que les choses ne fonctionnent pas ainsi en pratique. Je souhaiterais, dans ce contexte, rendre hommage à EDF, qui exploite depuis un demi-siècle 58, puis 56 réacteurs, représentant des millions d'heures de fonctionnement : on ne peut imaginer que cette compétence soit extérieure au débat et que cet acteur de terrain, qui gère en permanence le fonctionnement des réacteurs, soit obligé de se taire pour laisser place à des sages ou à des experts dès lors qu'une difficulté survient ou qu'une autorisation doit être donnée. Aujourd'hui, il n'existe qu'un seul opérateur de ce type, mais il y en aura plusieurs à l'avenir. En effet, l'ouverture scientifique nous conduit à penser qu'émergeront d'autres acteurs nationaux, européens ou internationaux, ayant de l'expérience dans le domaine. On n'imagine pas que le collège des sages ne bénéficie pas de cette compétence acquise par l'expérience continue ou par des innovations et recherches extérieures. Pourquoi la France se priverait-elle de recherches menées à l'étranger, dans des pays aussi différents que la Russie ou les États-Unis ? Ce besoin d'information internationale interdit l'idée d'un système replié sur lui-même. Il convient de faire converger des informations qui doivent être opérationnelles et commander la décision, afin que la France ne soit pas isolée.
Je partage en outre totalement le point de vue de M. Delalonde, selon lequel l'opinion publique, les citoyens attentifs, sont, pour nombre d'entre eux, devenus compétents. J'observe, dans le cadre du débat relatif à Cigéo, que je suis depuis une trentaine d'années, que certaines questions ont été mises à l'ordre du jour uniquement parce que des citoyens passionnés et compétents ont interrogé des experts sur des éléments que ces derniers n'avaient pas vraiment envisagés. Le système, complètement ouvert, implique l'existence d'un lieu de fédération de toutes les informations. Aujourd'hui, en dehors des deux instances définies par la loi, les exploitants demandent qu'il soit également tenu compte de leur expertise, fruit de milliers d'heures de travail sur différents réacteurs et du retour d'expérience qui en résulte. Ceci signifie que l'Autorité de sûreté nucléaire doit être fédératrice de l'ensemble des informations utiles à la sécurité nucléaire.
Dans cette optique, il ne me semble pas complètement inopportun de réfléchir à ce qui va se passer dans un monde où le nucléaire sera plus dispersé et réparti qu'il ne l'est aujourd'hui, où il existera des interactions entre les uns et les autres. Si nous ne disposons pas d'un système fédérateur, alors il se trouvera toujours un expert pour dire que le collège doit, avant de se prononcer, attendre son expertise, elle-même tributaire d'une autre. Tout cela sera conflictuel, avec de surcroît l'arbitrage des réseaux sociaux. Comme je ne souhaite pas vivre cette situation, il ne m'apparaît pas complètement absurde de se poser la question de la fédération des informations et de la décision, non pour sanctionner ou glorifier les uns ou les autres, mais parce qu'il existe un monde d'informations complètement différent. Comme nous avons la volonté de décarboner et que le nucléaire reste selon moi le meilleur moyen d'y parvenir, il faut que nous disposions d'un outil ouvert sur ce monde. Le monde, tout comme le danger climatique, est unique et la décarbonation repose sur l'électricité non carbonée, dont les énergies renouvelables et le nucléaire sont pourvoyeurs.