. – J'insisterai essentiellement, en réponse à ces questions dont je vous remercie, sur trois points évoqués à plusieurs reprises dans les interventions.
Le premier, qui est au cœur de la discussion, concerne la question du système dit « dual ». Je pense que la réalité est plus nuancée qu'on ne l'imagine. Comment se passe la prise de décision de l'autorité de sûreté et quel est le processus qui, face à un sujet donné, nous conduit à demander une expertise, parfois des avis extérieurs, et à en débattre au sein d'un collège non impliqué dans les étapes précédentes, auquel il incombe de prendre une décision ? Ce processus d'expertise en amont est déjà, en soi, pluriel : l'IRSN ne produit pas son expertise indépendamment de l'ASN et des exploitants. Nous travaillons tous ensemble. Certes la commande est adressée à l'IRSN, qui signera le rapport d'expertise ; mais avant d'émettre un avis, il importe d'aller au fond du sujet et d'instaurer pour ce faire un dialogue technique avec les exploitants et les équipes de l'ASN, qui ont aussi une expertise. Le processus n'est donc pas aussi cloisonné qu'on pourrait le penser. Il y a déjà des échanges dans l'étape d'expertise réalisée par l'IRSN.
Pour autant, affirmer qu'il s'agit du modèle français unique est inexact. Certaines agences, comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), ont structurellement inscrites dans leurs missions à la fois la charge de réaliser des expertises et celle de prendre des décisions. Un tel modèle ne serait donc pas inédit en France.
Il existe également un service d'expertise interne à l'ASN, pour des sujets importants et très ciblés, parmi lesquels les équipements sous pression de la chaudière nucléaire. La direction des équipements sous pression de l'ASN mène l'expertise dans ce domaine, en étroite collaboration avec l'IRSN.
Le panorama est donc plus nuancé qu'on ne l'imagine. Il faut, à mon avis, être vigilant face à des affirmations qui peuvent laisser penser le contraire.
À l'étranger, plusieurs pays ont opté pour des modèles dans lesquels les compétences d'expertise et de décision sont réunies et ont défini des processus en ce sens.
Quel pourrait être le schéma ? Aujourd'hui, une séparation existe déjà entre la phase amont de dialogue technique, d'expertise, de relation avec l'exploitant, l'IRSN, et la phase aval de décision. La loi prévoit que les décisions de l'Autorité de sûreté nucléaire sont du ressort exclusif de son collège, qui les élabore sur la base d'un rapport qui lui est présenté, de propositions qui lui sont faites et ont été formulées lors du processus d'expertise en amont. Il n'y a pas de relation entre les membres du collège et les services jusqu'à la présentation du sujet au collège.
Ce modèle correspond peu ou prou à ce qui existe dans les autorités indépendantes à l'étranger. Dans l'hypothèse où la réforme présentée irait à son terme, ce modèle serait à définir, à préciser, à consolider, mais il existerait toujours une séparation entre l'amont et l'aval de la prise de décision. Ceci est important en termes de responsabilité.
Je souhaiterais intervenir à présent sur le sujet de la transparence et de la relation avec le public. Comme ceci a été très bien dit par le président de l'ANCCLI, l'ASN et l'IRSN travaillent déjà ensemble dans toutes les relations avec le réseau des CLI, avec l'ANCCLI, avec le Haut comité et les diverses parties prenantes. Je reçois moi-même régulièrement les organisations non-gouvernementales (ONG). Il n'y a pas d'un côté une entité ouverte vers la société, en relation avec les parties prenantes, et de l'autre une structure qui le serait moins. Les choses ne fonctionnent pas ainsi dans la réalité. Diverses innovations ont été réalisées ces dernières années en termes de participation et d'association du public au processus d'instruction et de décision. Je pense notamment aux quatrièmes visites décennales, auxquelles il n'est réglementairement pas nécessaire d'associer le public : avec le Haut comité, nous les avons néanmoins ouvertes au public, en lien avec les CLI. Nous proposons des webinaires. De nombreuses initiatives sont ainsi mises en œuvre. Dans la nouvelle structure, tout ceci serait maintenu, voire consolidé. Il n'y a aucune raison que la relation avec la société civile et le travail de dialogue technique disparaissent.
Permettez-moi de revenir sur le processus pour indiquer que d'autres experts, que nous n'avons pas cités, sont aujourd'hui consultés avant la prise de décision : il s'agit des groupes permanents d'experts, qui réunissent des experts extérieurs, des représentants scientifiques du monde de la recherche, d'anciens exploitants, etc. Sur les sujets les plus sensibles, un groupe permanent d'experts est sollicité à l'issue de l'instruction pour donner un avis, rendu public avant même que la décision soit prise. Ainsi, lorsque l'ASN a pris la décision, lourde de conséquences, de demander à EDF de réparer les soudures de traversée d'enceinte de l'EPR, un travail d'expertise avait été conduit en amont, dans lequel la direction des équipements sous pression de l'ASN avait joué un rôle majeur, en étroite relation avec l'IRSN. Une présentation avait été faite au groupe permanent d'experts extérieur, dont l'avis, rendu public, indiquait en résumé que la situation était telle que la clause d'exclusion de rupture, élément fondamental permettant de justifier que l'on accepte la conception faite par EDF, ne pouvait être maintenue, compte tenu des défaillances découvertes. La sollicitation d'un avis extérieur rendu public – ceci est important en termes de transparence – perdurera.
Je pense qu'il faut veiller à ne pas être trop schématique, à ne pas considérer que l'instruction et la décision sont totalement étanches l'une de l'autre, que les instances ne communiquent pas, ne sont pas en contact avec les exploitants, ne sollicitent pas d'avis extérieur. Ce n'est pas le cas.
En termes de transparence, je rappelle que nous publions toutes les lettres de suites d'inspection. Nous effectuons déjà de nombreux actes de transparence, qui seront maintenus. Ceci pourrait d'ailleurs figurer dans la loi, sachant que ces pratiques ne résultent aujourd'hui d'aucune décision réglementaire ou législative.
Je pense que si le processus se poursuit – ce que je crois important –, il y aura des choses à inventer, mais que les meilleures pratiques seront conservées.
Je termine en évoquant les avantages qu'il y aurait, de mon point de vue, à la mise en place d'une telle organisation. J'attache tout d'abord énormément d'importance à la capacité globale à appuyer le Gouvernement en situation d'urgence. Le système actuel est fractionné. L'expertise de l'IRSN en matière de gestion des situations de crise et d'outils de prévision est mondialement reconnue. L'ASN dispose également, bien évidemment, d'un centre de crise. En situation de crise aujourd'hui, le système prévoit que l'IRSN établisse, au vu des informations dont il dispose et du dialogue avec l'exploitant, un diagnostic de la situation et se projette sur les événements qui pourraient survenir par la suite. Le résultat de cette expertise est transmis à l'ASN, qui est en contact avec le Gouvernement pour proposer des recommandations en matière de gestion de crise. Or, ce système n'est pas réaliste : en cas de crise, il faut aller plus vite, que les équipes soient totalement intégrées. Le fait d'avoir un système nouveau permettrait d'adopter une approche mieux intégrée de la gestion de telles situations.