. – Je vous remercie, M. le président, de nous avoir conviés à cette audition publique en tant que fédération nationale des 35 commissions locales d'informations (CLI). Ces instances œuvrent depuis 42 ans et ont été confortées dans leurs missions et dans leur rôle par la loi de 2006 sur la transparence, puis celle de 2015 sur la transition énergétique.
Pour la bonne information de tous et notamment du public qui nous suit, je souhaiterais, compte tenu du temps qui nous est alloué, que vous acceptiez, M. le président, que l'ANCCLI verse à cette réunion trois documents explicitant nos interrogations à l'encontre du projet qui nous réunit aujourd'hui.
Le premier, daté du 15 avril 2014, est un rapport co-signé par l'ASN et l'IRSN, qui précise que « le dispositif de contrôle des activités nucléaires civiles repose sur un dispositif dual ASN – IRSN, dont l'efficacité en matière de gouvernance des risques est démontrée ». Il mentionne également que « la principale force du dispositif dual réside dans le fait que le poids de la décision ne pèse pas sur l'institut qui est en charge de l'expertise et de la recherche associée » et souligne « l'importance fondamentale de la recherche comme un déterminant majeur de la qualité de l'expertise de l'IRSN ».
Le deuxième document, du 2 juin 2016, également co-signé par l'ASN et l'IRSN, plébiscite de nouveau le système dual, en insistant sur les conséquences négatives d'une possible mise en concurrence de la fonction d'évaluation technique des risques nucléaires et radiologiques en cas de fusion de l'IRSN avec l'ASN.
Le troisième document, du 11 mai 2015, faisait suite aux entretiens que l'ANCCLI avait menés sur le financement et le renforcement de la sûreté nucléaire, dans le cadre d'une mission décidée par le ministre des finances et la ministre de l'environnement de l'époque. L'ANCCLI y rappelait notamment son attachement à l'accès du public à l'expertise institutionnelle et à son indépendance, en précisant que le manque d'indépendance dans l'expertise serait perçu par le public comme une raison suffisante de défiance, comme l'a indiqué Claude Birraux. Elle alertait enfin et déjà sur l'inefficience des procédures précipitées, vision que nous partageons toujours.
Je souhaite souligner trois points essentiels. Quelle urgence y a-t-il aujourd'hui à devoir remettre sous quinze jours au Gouvernement les premières mesures législatives visant à mettre en œuvre ces évolutions organisationnelles ? Le système dual, plébiscité unanimement depuis 2014 et 2016, a-t-il été remis en cause par quiconque ? A-t-il montré des faiblesses jusqu'alors imperceptibles ? A-t-il failli à son objectif d'un système d'expertise et de contrôle indépendant, complémentaire et ultra-robuste ? À ma connaissance, non. En 2014, la Cour des comptes avait considéré que « la fusion était inappropriée et inefficace » et qu'il fallait « suivre les propositions conjointes de l'ASN et de l'IRSN de consolidation du dispositif dual, qui lui-même était le résultat des préconisations de l'OPECST ». Je rappelle que le rapport remis au gouvernement en 2015, qui proposait la fusion des deux institutions, avait été définitivement écarté par le Parlement et l'Exécutif.
Existe-t-il aujourd'hui une étude d'impact qui conforterait la décision du Conseil de politique nucléaire et qui aurait examiné les conséquences positives et négatives du changement de l'organisation actuelle de la sûreté ou qui irait à l'encontre des décisions de 2014 et 2016 citées précédemment ? À ma connaissance, non.
Transférer la recherche au CEA, quelle que soit sa compétence, ne conduit-il pas à un risque de fermeture de l'accès aux informations pour la société civile, que nous connaissons par ailleurs avec le CEA ?
Enfin, les CLI et l'ANCCLI ne seraient pas ce qu'elles sont aujourd'hui sans les efforts et les initiatives, différentes et complémentaires, développés à la fois par l'ASN et l'IRSN pour accroître la compétence de nos membres sur les questions du nucléaire. L'expertise citoyenne est devenue une réalité reconnue par les acteurs du nucléaire. Elle challenge en quelque sorte la sûreté, mais aussi la recherche. À une époque où les organismes institutionnels sont en pleine crise de confiance avec leurs administrés, l'ouverture de l'IRSN à la société civile est un axe majeur pour renforcer la cohésion des acteurs et co-construire les décisions dans le domaine sensible et tabou que nous connaissons dans la filière nucléaire. Ceci ne risque-t-il pas de disparaître dans la nouvelle organisation, donc de ne plus permettre aux CLI et à l'ANCCLI de répondre aux missions que la loi leur a données et d'être en capacité de donner leur avis dans les processus de consultation ? L'ANCCLI craint la fragilisation du socle d'une sûreté nucléaire de qualité, indépendante et robuste, qui est notre bien commun.
J'en terminerai là, en invitant à ne pas brûler sur le bûcher une organisation exemplaire. Si une évolution doit se faire, ce doit être dans la sérénité, en posant les arguments positifs et négatifs et en examinant toutes les conséquences d'un changement, sous le contrôle du Parlement, dont la responsabilité est très importante à mes yeux. En ce sens, je me permets de vous suggérer que soit lancée, pourquoi pas sous l'égide de l'OPECST, une forme d'états généraux de la sûreté. Il s'agirait d'examiner l'organisation actuelle de la sûreté, de sa recherche, de son expertise, de son contrôle, mais aussi d'observer les synergies entre les acteurs et enfin de rechercher éventuellement les vecteurs les plus appropriés pour fluidifier si nécessaire ou réorganiser le système.