. – Je tiens tout d'abord à souligner que je n'exprimerai pas la vision globale du Haut comité, qui n'a pas eu à statuer sur la question qui nous réunit aujourd'hui. J'ai pu cependant échanger avec la présidente.
Je dois vous indiquer en préambule que j'ai une relation assez particulière avec l'ASN et l'IRSN. J'ai en effet fait partie, au tout début, lorsque l'IRSN était encore l'IPSN, d'un comité de préfiguration de ce qu'aurait été un conseil d'administration d'un IPSN indépendant. D'autre part, en 2002, lorsque la loi a créé l'IRSN, le gouvernement de l'époque avait prévu de séparer les activités civiles et militaires. J'avais évidemment défendu le point de vue inverse, avec beaucoup de conviction et de véhémence. Mme Tubiana, conseillère environnement du Premier ministre, m'avait alors contacté, ainsi que Robert Galley, à la demande du Premier ministre, pour savoir comment envisager la structure définitive de l'IRSN. Robert Galley et moi partagions la même position : il fallait que les activités militaires restent à l'IRSN, avec un directeur adjoint chargé spécifiquement de cet aspect.
Ceci nous ramène à la proposition actuelle. Je suis quelque peu surpris, dans la mesure où la loi qui a créé l'ASN prévoit que ses membres ne reçoivent ni ne sollicitent d'instructions d'aucune autorité. Or, la demande qui leur est faite pour fin février me semble précisément constituer une instruction.
L'Office parlementaire a toujours entretenu avec l'ASN des liens de confiance, des relations de proximité. Je trouve cela très positif.
L'organisation prévue me paraît traduire une méconnaissance grave de l'organisation de la sûreté nucléaire. En effet, la sûreté nucléaire n'est pas un nirvana que l'on atteint un jour, mais un combat quotidien. Lorsque je rencontrais les représentants des organisations syndicales, ils se présentaient comme les « travailleurs du nucléaire ». Peut-être auriez-vous d'ailleurs pu, M. le président, les inviter à s'exprimer lors de cette audition. Les travailleurs du nucléaire ne sont pas des travailleurs comme les autres.
La sûreté nucléaire se nourrit de la confrontation entre l'expertise, la recherche et l'autorité de sûreté nucléaire. C'est de cette confrontation que naît, tous les jours, la sûreté nucléaire. Cette dernière n'est jamais atteinte une fois pour toute. Elle se fonde sur la recherche et s'en nourrit. Si la recherche devait partir au CEA, ceci me paraîtrait extrêmement grave. On se trouverait alors dans une sorte de confusion des genres. L'autorité de sûreté a en effet aussi autorité sur les installations du CEA. Or, comment cette autorité pourra-t-elle juger de la sûreté d'une nouvelle installation si la recherche sur laquelle s'appuiera son expertise est effectuée au sein du CEA ? Cette situation me semblerait fortement préjudiciable à l'organisation même de la sûreté.
Le nucléaire rencontre aujourd'hui un certain regain d'intérêt, compte tenu de la crise énergétique. On observe une confiance du public, qui s'est avérée difficile à obtenir. Il y a quarante ans en effet, nos concitoyens considéraient que le gouvernement, le ministère de l'industrie, l'IPSN, le CEA, EDF étaient les mêmes et qu'il n'était pas possible d'avoir confiance. Le travail mené durant toutes ces années, sous l'impulsion de l'Office parlementaire et d'autres, a consisté à séparer les fonctions d'expertise, de recherche et de régulation administrative. Imaginez aujourd'hui une installation de recherche du CEA sur laquelle l'ASN devrait se prononcer : cette dernière ferait appel à ses experts. Où trouverait-elle le service de recherche susceptible de la conseiller ? Au CEA ? Elle serait alors juge et partie. Ceci représenterait un recul de quarante ans. Je crois qu'il ne faut pas rompre brutalement la confiance qui, au fil du temps, s'est nouée sur l'organisation actuelle.
L'IRSN a aussi un rôle important vis-à-vis de la société civile, avec le conseil d'orientation de la recherche, l'interface société – scientifiques pour co-construire un certain nombre de choses. Si tout cela disparaît, la confiance va s'effacer et la suspicion s'installer, venant nourrir le doute chez nos concitoyens. Il ne faudrait pas qu'en voulant aller vite, on se heurte ensuite à une opposition de plus en plus véhémente : ce serait contreproductif.
J'ai bien connu la NRC. Il s'agissait d'une entité aux procédures extrêmement lourdes. On ne pouvait pas rencontrer les commissaires ensemble, ni deux par deux, mais seulement individuellement. La seule fois où j'ai pu en rencontrer quatre sur cinq, c'est lors d'un déjeuner auquel le président Richard Meserve m'avait invité.
Nous sommes dans un système administratif qui fonctionne bien, avec fluidité. Peut-être n'est-il pas nécessaire de tout casser.