. – Merci, Monsieur le Président. C'est moi qui dois remercier l'Office de m'avoir permis de suivre ce dossier depuis autant d'années et d'avoir mis en place ce suivi.
La chlordécone est un pesticide, qui a été notamment utilisé en Guadeloupe et en Martinique, entre 1972 et 1993, pour lutter contre le charançon, un insecte qui détruisait les plantations de bananes. Trente après son interdiction, en raison de sa rémanence, cette molécule contamine toujours les deux départements. La découverte de son impact sur les sols, sur l'eau, sur la flore, sur la faune, sur l'Homme et sur ses activités ont fait de la lutte contre cette pollution un enjeu majeur, mais seulement depuis la fin des années 2000.
À l'époque, avec Jean-Yves Le Déaut, alors président de l'Office, nous avions établi un premier rapport. Nous qualifiions alors la chlordécone d'alien chimique. Nous évoquions un accident environnemental susceptible de s'étendre sur plusieurs siècles, mais nous précisions bien que ce n'était qu'en poursuivant des études scientifiques et médicales que nous pourrions mesurer l'impact sanitaire sur la population.
Treize ans après la publication de notre rapport, j'ai souhaité faire le point sur les études scientifiques et médicales qui ont été menées et évaluer les progrès des connaissances, particulièrement sur les possibilités de dépollution des sols, de sécurisation des ressources agricoles et sur les conséquences sanitaires et sociales.
J'ai organisé deux auditions publiques sous forme de tables rondes, avec des chercheurs, les services de l'État, des représentants politiques et des associations locales de citoyens. La première, le 17 février, a permis de faire le point sur les recherches en matière de dépollution et sur les conséquences environnementales et agricoles de cette contamination ; la seconde, en octobre, sur ses conséquences sanitaires et ses répercussions sociales.
Je me suis également rendue en Guadeloupe pour les rencontres Chlordécone 2022, qui ont rassemblé l'ensemble de la communauté des chercheurs engagés sur cette thématique, une communauté relativement réduite. Au cours de ces trois jours très denses, les chercheurs nous ont présenté leurs derniers résultats et les recherches qui restent à mener. J'ai complété ces travaux par cinq auditions rapporteur auxquelles j'avais convié mes collègues et certains ont pu y assister. Je précise que les procédures judiciaires en cours n'ont jamais interféré avec nos travaux.
Dans un premier temps, je vous présenterai l'état des connaissances sur la contamination aux Antilles, puis les solutions qui ont été développées et je terminerai par la mise en œuvre des actions de l'État.
En 2009, lors de la publication de notre premier rapport, les études indiquaient une faible dégradation de la molécule en conditions naturelles et l'impossibilité technique de la détruire. L'élimination de la chlordécone ne reposait que sur sa diffusion dans l'environnement. Alors, les prédictions évaluaient une durée de contamination des sols antillais pouvant aller jusqu'à sept siècles, avec une rémanence dépendant fortement des types de sols, qui sont volcaniques aux Antilles. C'est donc avec autant d'étonnement que de satisfaction que j'ai appris que les perspectives avaient évolué.
Plusieurs travaux ont mis en évidence une dégradation naturelle de la chlordécone et ont montré que sa concentration dans les sols diminuait plus rapidement qu'escompté. Les sols antillais pourraient ainsi présenter, d'ici la fin du siècle, des taux inférieurs aux limites de détection actuelles. Pour autant, ces travaux doivent être appréciés avec prudence. Comme j'ai pu le mesurer lors du colloque scientifique, il n'existe pas vraiment un consensus clair, dans la communauté scientifique, sur ce sujet. Seules des études complémentaires pourront confirmer ces résultats et j'espère, ne pas les infirmer.
En 2009, nous avions insisté sur la cartographie des sols. Malheureusement, ce travail indispensable n'a pas été effectué en totalité. Celle qui a été réalisée à ce jour ne couvre qu'une faible partie des territoires antillais. Cela s'explique par le choix de faire reposer les cartographies sur les seules analyses gratuites de sols, proposées aux agriculteurs et non imposées, et aux propriétaires de jardins familiaux, dans le but qu'ils adaptent leurs pratiques agricoles à un éventuel taux de contamination des terres.
À l'époque, nous avions aussi un autre sujet de préoccupation. Nous avions découvert que la chlordécone utilisée aux Antilles ne représentait qu'une faible part de la production de cet insecticide. Interdit sur le sol américain, après un accident industriel, cet insecticide a cependant continué à être fabriqué et utilisé ailleurs dans le monde. Une proportion très importante avait été transformée et vendue dans différents pays du bloc communiste contre le doryphore de la pomme de terre.
Malgré nos recommandations et le souhait d'une coopération scientifique internationale, aucune enquête n'a été conduite à l'étranger et en Europe. Seulement très récemment, une étude, menée par l'Union européenne, a étudié 3 431 échantillons de sol et n'a pas trouvé de trace de chlordécone. En 2009, des traces avaient été trouvées dans l'eau en Allemagne.
J'en viens aux modalités de contamination des milieux par la chlordécone, d'abord à la contamination de l'eau.
Bien que la chlordécone présente une forte affinité pour la matière organique et soit peu soluble dans l'eau, elle peut être lessivée à petites doses par les flux pluviométriques. Elle est alors majoritairement transférée vers les aquifères, qui se retrouvent fortement contaminées. Ceux-ci contribuant au débit des rivières, ces dernières se trouvent également touchées, de même que les eaux de source.
De récents travaux ont montré que le temps de résidence des eaux au sein des aquifères, aux Antilles, pouvait être de plusieurs dizaines d'années. Aussi, même après la disparition de la chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux se poursuivra pendant plusieurs dizaines d'années, le temps d'épuiser les stocks contenus dans les aquifères.
Naturellement, cette contamination se répercute dans les eaux marines. Elle diminue avec l'éloignement de la côte. Elle varie en fonction des saisons, les apports de chlordécone étant forcément plus importants en période pluvieuse. Les espèces marines sont alors impactées au travers de deux mécanismes. D'une part, le mécanisme de balnéation, qui représente la source majeure de contamination à proximité de la côte, dans la mangrove et les herbiers, et qui dépend de la concentration de chlordécone dans l'eau. D'autre part, par voie trophique, du fait de l'ingestion des proies contaminées, ce qui explique la contamination d'espèces dans des milieux éloignés, même si l'eau est faiblement polluée.
J'ai été particulièrement interpellée par la découverte de chlordécone dans plusieurs poissons, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis. Jamais cela n'avait été évoqué jusqu'à présent. Même si les concentrations sont faibles, cette contamination interroge, puisque la chlordécone n'a a priori jamais été utilisée dans ces territoires et qu'elle est interdite depuis plus de 30 ans.
Concernant la contamination des végétaux, la chlordécone, présente dans le sol, se transfère dans les racines et tubercules qui poussent dans le sol et, dans une moindre mesure, dans les légumes qui poussent en contact avec la terre, comme les cucurbitacées et les salades. La contamination varie selon le type de sol et la nature de la plante. En revanche, un fruit ou un légume, qui pousse en hauteur, même en terre contaminée, ne l'est pas. Je rappelle que les terres contaminées sont celles sur lesquelles poussaient les bananiers où la chlordécone était déposée à leurs pieds, mais la banane, puisqu'elle pousse en hauteur, n'a jamais été contaminée.
Après la contamination de l'eau et des végétaux, j'en viens à celle des animaux. Ils peuvent être naturellement contaminés par l'eau ou par l'ingestion d'aliments eux-mêmes contaminés, mais aussi et surtout par l'ingestion involontaire de terres polluées. Cette contamination varie en fonction des espèces. Le comportement exploratoire des poules et l'activité de fouissage des porcs entraînent une ingestion particulièrement élevée, mais cela concerne aussi les bovins, qui peuvent ingérer de la terre en broutant.
Il faut noter que les effets de la contamination sur la biodiversité n'ont été jusqu'à présent quasiment pas étudiés. Ce domaine me paraît devoir être investi à l'avenir, dans une approche One Health, la santé des humains, des animaux, des écosystèmes étant liée et interdépendante.
En mangeant des légumes racines, des viandes, des œufs ou des poissons contaminés, ou en buvant des eaux polluées, les Hommes se trouvent eux-mêmes contaminés par la chlordécone, sans oublier les travailleurs des bananeraies, qui, jusqu'en 1993, manipulaient cette poudre sans protection.
Après vous avoir exposé les mécanismes de cette pollution, je vais vous présenter les pistes qui ont été développées pour y faire face. En 2009, un consensus existait sur la très grande difficulté de dégrader la chlordécone. Diverses équipes de recherche ont continué à travailler sur plusieurs méthodes pour la détruire.
Les nouvelles recherches qui nous ont été présentées ont montré que dans des conditions de laboratoire spécifiques, plusieurs souches de bactéries pouvaient dégrader la chlordécone. Les molécules formées au cours de ces dégradations en laboratoire sont également présentes dans des échantillons de sols et d'eaux aux Antilles, prouvant l'existence d'une certaine dégradation naturelle de la chlordécone. Des travaux complémentaires sont en cours et ils sont indispensables, afin de déterminer s'il est possible de stimuler cette dégradation dans les conditions réelles de terrain.
Une seconde méthode repose sur l'ajout de réducteurs chimiques dans les sols, en l'occurrence du fer zéro valent. Cela permet de réduire de manière relativement importante la concentration en chlordécone du sol et cette méthode a montré son efficacité en conditions réelles. C'est en quelque sorte une chimiothérapie du sol. Cependant, la dégradation n'a lieu que dans la couche superficielle du sol, dans les quarante premiers centimètres. Aussi, cette technique réduit le transfert de la chlordécone vers les cultures, ce qui est une bonne chose, mais elle est peu efficace pour les transferts vers l'hydrosphère. De plus, les résultats obtenus sur les sols de type andosols sont plus modestes, alors qu'ils représentent la moitié des sols contaminés. Enfin, le coût associé est important, 160 000 euros par hectare, soit 3,2 milliards d'euros, dans l'hypothèse de 20 000 hectares contaminés.
Les recherches sont donc encore nécessaires avant de disposer d'une réelle solution de dépollution. Lorsque des résultats de laboratoire sont prometteurs, il me paraît essentiel de faciliter et de financer la mise en place des études en conditions réelles de terrain. Il apparaît aussi indispensable que les produits de transformation issus de ces méthodes soient analysés. Naturelle ou artificielle, la dégradation de la chlordécone entraîne la formation de produits de transformation, dont certains présentent une structure relativement similaire à celle de la chlordécone. La toxicité de ces produits et leurs propriétés doivent être étudiées, afin d'évaluer leur rémanence et leur transfert vers l'eau et les plantes. À l'heure actuelle, les informations disponibles sur ces composés sont relativement succinctes.
Pour la pollution de l'eau, les filtres à charbon actif sont assez efficaces. Ils assurent une décontamination des eaux de consommation. Même si quelques non-conformités continuent d'être constatées, probablement en raison d'un retard dans le remplacement de ces filtres, cette technique est efficace. Les efforts doivent être faits par les autorités pour éviter des restrictions d'usage ou interdictions temporaires de l'usage de l'eau, qui ont des incidences, notamment sur les personnes les plus vulnérables qui ne peuvent pas aller acheter de l'eau en bouteille, et pour éviter que les Antillais utilisent les eaux de source qui, elles, sont polluées et ne sont pas systématiquement contrôlées.
Face à la difficulté de dégrader la chlordécone présente dans les sols, une alternative est de séquestrer la molécule dans les sols, afin de réduire son transfert vers les plantes. Les recherches ont montré que les amendements de compost permettent de réduire de plus de 50 % la contamination de légumes, comme les radis qui sont dans le sol ou les concombres qui affleurent le sol. L'inconvénient est que le compost doit être renouvelé régulièrement et que la chlordécone est seulement immobilisée et non détruite.
Une piste pleine d'espoir repose sur l'utilisation de charbons d'origine végétale, dénommés biochars, notamment issus des sargasses pyrolysées. Ce serait une merveilleuse solution pour résoudre deux problèmes antillais.
Il n'y a sans doute pas une solution unique pour réduire la contamination liée à la chlordécone, mais diverses méthodes de dépollution. En attendant, des conseils permettent de vivre en évitant aux populations d'ingérer de la chlordécone. Les consommateurs sont invités à laver minutieusement et à éplucher généreusement leurs légumes, afin de réduire leur exposition. Agriculteurs et jardiniers sont invités à adapter leurs cultures en fonction de la contamination de leurs parcelles, puisque les plantes ne sont pas toutes impactées par un sol contaminé.
Les bonnes pratiques sont diffusées depuis 2010, au travers d'un programme appelé Jafa, qui propose aux Antillais propriétaires de jardins familiaux de bénéficier de l'analyse gratuite de leurs sols et de conseils agricoles et nutritionnels pour limiter leur exposition.
En matière d'élevage, la décontamination de l'animal, avant son abattage et sa consommation, est possible en le déplaçant sur des sols non pollués ou dans des élevages hors-sol. La faisabilité pratique dépend de la durée d'élevage de l'animal et de la durée nécessaire pour la décontamination. Pour les bovins, un outil d'aide à la décision permettant d'estimer la durée de décontamination à partir d'une simple prise de sang a été mis au point. Cette technique doit être développée plus largement parmi les agriculteurs aux Antilles.
Pour les produits de la pêche, des zones de restriction et d'interdiction, tant en milieu marin qu'en eau douce, ont été élaborées. Un dispositif de macaron a été mis en place pour les pêcheurs professionnels engagés dans une démarche de traçabilité de leurs produits.
Des campagnes de contrôle et des études ont montré que les risques étaient relativement limités pour les produits alimentaires issus des circuits officiels. En revanche, les auto-consommateurs de poissons, de crustacés, de tubercules et d'œufs, résidant en zone contaminée, sont beaucoup plus exposés. Il est à déplorer que le contrôle des produits issus des circuits informels soit quasi inexistant et que les études leur étant consacrées soient très limitées. J'ai d'ailleurs positivement noté que les recommandations alimentaires émises par l'AFSSA, dès 2007, sont efficaces pour réduire le niveau d'exposition.
J'en viens à l'exposition de la population et aux effets sanitaires. D'après les prélèvements réalisés dans le cadre de l'étude Kannari, en 2013-2014, la molécule était détectée dans le sang de plus de 90 % des Antillais. 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassaient le seuil de 0,4 microgramme par litre, récemment établi par l'ANSES comme la valeur toxicologique de référence en-dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable.
Il faut préciser qu'en l'état actuel des connaissances, une chlordéconémie élevée ne signifie pas nécessairement des impacts futurs sur la santé et que ce dosage ne peut être considéré comme un outil de médecine prédictive. C'est d'ailleurs grâce à un amendement sénatorial de notre collègue Victoire Jasmin que chaque habitant antillais a dorénavant la possibilité de se faire doser gratuitement la chlordécone dans le sang. Cela va permettre aux scientifiques de mieux suivre l'imprégnation de la population, avec des éléments récents, puisque les chiffres que j'ai cités tout à l'heure sont tirés d'études menées il y a dix ans. Nous pourrons sans doute engager des actions de prévention, en fournissant des conseils adaptés aux personnes dont l'imprégnation est élevée.
J'en viens aux effets sanitaires, qui sont le cœur du sujet de la pollution à la chlordécone. Des études menées depuis 2004 établissent une forte présomption entre l'exposition à la chlordécone et la survenue de cancers de la prostate, même si le taux d'incidence de ce cancer est plus élevé chez les populations d'origine subsaharienne et ce, quel que soit le pays dans lequel elles vivent. Le cancer de la prostate a donc été inscrit au tableau des maladies professionnelles pour les agriculteurs et salariés des bananeraies. Cependant, seules quarante demandes ont été déposées, à ce titre, depuis la fin de l'année 2021.
Il est à regretter que peu d'études sur d'autres formes de cancer aient été conduites jusqu'à présent, malgré le rôle de promoteur tumoral de la chlordécone. Des travaux sont en cours sur un éventuel lien avec la survenue de myélomes multiples ou de lymphomes non hodgkiniens et sur d'éventuels effets hépatiques.
Par contre, des études avaient été lancées très rapidement sur les effets de la chlordécone sur la grossesse et le développement de l'enfant. La cohorte mère-enfant, appelée Timoun, avait montré que l'exposition à la chlordécone était associée à un risque accru de prématurité, mais également que l'enfant, exposé dans le ventre de sa mère et post-natalement, pouvait connaître des impacts hormonaux, ainsi que sur son développement staturo-pondéral et sur son neuro-développement. Cette étude se poursuit maintenant sur la même cohorte à l'âge péri-pubertaire.
Concernant la fertilité, qui avait été montée en épingle, il y a une dizaine d'années, aucun impact chez l'homme n'a été mis en évidence. Des études sont enfin en cours chez la femme.
Comment l'État a-t-il géré la situation ? Il l'a gérée à travers des plans chlordécone, qui se succèdent depuis 2008. Dans les trois premiers plans, les aspects environnementaux et économiques ont été négligés. Les instances de gouvernance et les dispositifs de financement ont été trop complexes, trop administratifs et peu efficaces, la communication envers les populations particulièrement défaillante. Ne parlons pas du pilotage de la recherche, inefficace au regard de l'ampleur des enjeux.
Des recherches ont certes permis de réduire l'exposition des populations, grâce à l'appréhension de la contamination des écosystèmes et des conseils alimentaires, mais les effets sanitaires de cette exposition, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, restent mal connus, après pourtant tant d'années de pollution. Ce n'est pas moi qui l'affirme seule, mais les évaluations administratives des plans I, II et III, qui ont estimé que les actions de l'État ont été tardives, inadaptées à l'ampleur de la pollution, et qu'elles auraient nécessité une stratégie à longue échéance.
S'agissant de la recherche, un véritable appel à projets a enfin été lancé l'année dernière. Ce n'est pas faute de l'avoir régulièrement demandé personnellement aux différents ministres, au titre de l'Office ou au titre du Sénat. Ces différentes défaillances confortent le sentiment de colère et de défiance de la population antillaise qui vit la situation comme un scandale. Cela se traduit par des difficultés d'adhésion aux dispositifs et aux recommandations émis par les services de l'État et par extension, par une défiance envers les institutions et le personnel politique de tous niveaux. Nous pouvons comparer les difficultés d'adhésion aux recommandations nutritionnelles permettant de réduire l'exposition à la chlordécone au refus de se faire vacciner aux Antilles.
Pour reconstruire cette confiance, les sciences humaines et sociales, qui ont été jusqu'à présent oubliées, doivent maintenant être mobilisées. Elles devraient nous permettre d'augmenter l'adhésion aux recommandations alimentaires qui, bien qu'efficaces et connues depuis plus d'une dizaine d'années, peinent à être pleinement adoptées par la population. Elles devraient indiquer une nouvelle manière de communiquer envers la population et faire accepter l'idée que l'on peut vivre sur des terres polluées à la chlordécone, tant que la science n'a pas trouvé une solution pour la dépollution.
Le plan chlordécone IV, lancé l'année dernière, semble tirer un certain nombre d'enseignements des plans précédents. Il a été, pour une fois, construit en associant les services de l'État, les collectivités locales, les représentants de la société civile, les organisations professionnelles et a permis aux citoyens de s'exprimer sur le projet de plan, à travers une consultation publique. Les instances de gouvernance intègrent, en plus du comité de pilotage stratégique national, des comités de pilotage locaux, présidés par les préfets et associant l'ensemble des parties prenantes : élus, professionnels agricoles, professionnels de santé, experts, associations environnementales et consommateurs. Un poste de directeur de projet chargé de la coordination interministérielle a été créé pour assister les directeurs généraux des outre-mer et de la santé.
Le budget annuel de ce plan 4 est supérieur de 20 % à celui du premier plan chlordécone. La recherche bénéficie aussi d'une nouvelle structuration et de près d'un tiers du budget prévisionnel du plan. Il a permis de lancer ce premier appel à projets, déjà évoqué, soutenu par l'ANR mais aussi par la collectivité territoriale de Martinique et la région Guadeloupe, que nous appelions, scientifiques et Office, de nos vœux, depuis de nombreuses années. Enfin, les sciences humaines et sociales y trouvent leur place.
Un bilan du plan, indiquant l'avancement des différentes mesures, leur exécution budgétaire et les résultats des analyses conduites, sera publié annuellement. Des ateliers et des activités pédagogiques, destinés à sensibiliser les populations aux problématiques liées à la chlordécone et aux méthodes pour se prémunir d'une contamination, commencent à être mis en place, ainsi que des actions de formation déployées auprès des professionnels de santé, des enseignants et des éco-délégués, qui pourront prendre le rôle de relais de confiance, qui n'existe pas pour l'instant auprès de la population.
J'en viens à mes conclusions et mes recommandations. Le rapport en comporte 24 ; je ne vais pas toutes les citer. Je les ai regroupées autour de quatre axes : la recherche, la communication, la chlordéconémie et le suivi.
Du point de vue de la recherche, je suis satisfaite de constater des progrès depuis 2009, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de la situation et des attentes de la population, sans compter que certaines études, en particulier sanitaires, s'appuient sur des résultats d'il y a dix ans. Il est primordial d'obtenir une vision plus complète des risques auxquels la population est exposée, y compris concernant les effets cocktails de la chlordécone avec d'autres pesticides, et de tenter, puis de développer, des solutions de remédiation et de réduction de l'exposition.
Des appels à projets entièrement consacrés à cette thématique doivent être lancés régulièrement. On ne peut pas se limiter à un seul appel à projets d'envergure, ce qui, en 13 ans, ne fait pas beaucoup. Sincèrement, je félicite les chercheurs, peu nombreux sur ce créneau qui, pendant toutes ces années, n'ont pas abandonné leurs travaux. Aujourd'hui, je crois essentiel que les résultats de laboratoire prometteurs soient appliqués aux conditions réelles de terrain, afin de valider les solutions de dépollution, puis leur utilisation comme outil, pour mieux protéger la population, qui verra ainsi que les choses évoluent enfin dans le bon sens.
En attendant, les connaissances actuelles fournissent d'ores et déjà de nombreux outils pour prévenir la contamination et minimiser les risques. Il est essentiel que les solutions existantes puissent être pleinement appliquées, car si elles ne le sont pas, c'est parce que la communication a été déficiente, tout comme la crédibilité de l'État. Toute la population doit être informée et s'approprier les solutions et les dispositifs existants. Pour cela, la communication doit être repensée. Elle doit être construite avec les acteurs locaux, qui sauront tenir compte des réalités socioculturelles des Antilles. Elle doit surtout sortir du cadre très limitatif qui était le sien et s'appuyer sur ceux qui pourront servir de médiateurs de confiance.
Les données obtenues via les analyses de chlordéconémie doivent pouvoir être utilisées par la recherche pour acquérir de nouvelles connaissances sur les liens entre exposition alimentaire et imprégnation et étudier les déterminants de cette imprégnation et de la variabilité interindividuelle qui existe. Il faut en faire un outil de dialogue avec la population, afin de mieux diffuser les recommandations alimentaires, tout en rassurant les Antillais. J'ai par exemple suggéré de suivre une cohorte d'étudiants qui viennent en métropole, afin de confirmer que la disparition de la chlordécone, en ne mangeant plus d'aliments contaminés, est effective.
Enfin, compte tenu de la durée du plan chlordécone IV, de sept ans, une évaluation externe à mi-parcours devra être conduite, pour effectuer les réorientations nécessaires à temps et non pas attendre la fin du plan, comme auparavant.
En conclusion, je dirais que ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle afin que l'État apprenne à gérer les pollutions que nous ne manquerons pas de découvrir en France, sur des territoires plus ou moins étendus. Jusqu'à présent, la liste des erreurs était plus longue que celle des actions efficaces. Une vision globale à long terme, associant tous les acteurs et la population, est nécessaire. La recherche, qui est la seule façon de trouver des solutions, doit être soutenue sans arrêt.