Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du lundi 6 mars 2023 à 21h30
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Le dispositif français de réglementation, de contrôle, d'expertise et de recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection n'a cessé d'évoluer dans le sens d'un renforcement de son indépendance, de ses capacités et de ses moyens.

L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a été créé en 2002, alors que l'autorité de sûreté n'était encore qu'une direction d'administration et que l'expertise et la recherche en sûreté nucléaire étaient assurées par un exploitant nucléaire, à savoir le CEA (Commissariat à l'énergie atomique, devenu Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives). En 2006, c'est au tour de la direction d'administration exerçant la fonction d'autorité de sûreté nucléaire d'être confortée en devenant une autorité administrative indépendance : l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

À la veille de devoir engager des travaux considérables en matière de sûreté nucléaire, que ce soit sur les installations existantes, la gestion des déchets ou la construction de nouveaux réacteurs, il nous a paru important de rechercher à nouveau l'organisation correspondant aux meilleurs standards internationaux, tout en faisant évoluer une particularité française qui est que l'ASN ne dispose que de peu de compétences d'expertise. Certes, elles concernent les équipements les plus stratégiques d'un réacteur nucléaire – la cuve et les équipements sous pression – mais il est important pour l'ASN de disposer d'une expertise plus large, comme c'est le cas de toutes les autres autorités de sûreté nucléaire dans le monde – à l'exception de la Belgique ou de l'Allemagne. Cela est un gage d'indépendance, d'efficacité et de fluidité dans la prise de décision en matière de sûreté nucléaire.

Pour éclairer les débats, je voudrais indiquer qu'à l'international, l'ASN est l'autorité de sûreté qui a, comparativement, le moins de forces d'expertise au regard de ses missions : 500 personnes travaillent à l'ASN pour 56 réacteurs, à comparer aux 2 600 agents de l'autorité de sûreté américaine pour près de 100 réacteurs, 950 personnes au Canada pour 19 réacteurs et 300 personnes en Finlande et en Suède (pour moins de 10 réacteurs, dans les deux cas). La différence tient au poids des missions d'expertise, qui ne sont pas regroupées de la même manière.

Le deuxième objectif est d'assurer une meilleure coordination entre les métiers de la sûreté. Les équipes de l'ASN et de l'IRSN travaillent déjà largement ensemble, l'IRSN apportant son expertise aux équipes chargées du contrôle de l'ASN au travers d'itérations dans les deux sens, ainsi qu'un appui au contrôle. Nous voulons rendre ce travail plus fluide et assurer l'alignement des priorités du point de vue tant des moyens que du traitement des commandes de l'ASN par l'IRSN.

Le troisième objectif est d'améliorer l'attractivité des métiers de la sûreté nucléaire. À cet égard, la réunion des compétences de l'IRSN au sein de l'ASN sera une opportunité de diversifier, pour les collaborateurs de deux entités, les possibilités de carrière entre contrôle, expertise et recherche, ainsi que les possibilités de mobilité géographique grâce au réseau régional de l'ASN.

Début février 2023, j'ai demandé à M. Bernard Doroszczuk, président de l'ASN, et à M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN, de me faire des propositions pour définir le cadre général de la réforme et rassurer les salariés sur les enjeux en question. C'est l'objet des deux amendements que je défends ce soir. Par ailleurs, je leur ai demandé de piloter le travail sur l'organisation-cible sur laquelle ils me feront des propositions durant l'été, avec la perspective d'aboutir à des dispositions inscrites dans le projet de loi de finances pour 2024 et qui seront mises en œuvre dans les semaines qui suivront son adoption.

Dans le cadre de ces chantiers, je crois important de poser des garde-fous pour tenir compte des interrogations formulées par les organisations syndicales, l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

Je propose d'abord qu'il soit clairement établi que les compétences en matière de recherche et expertise en sûreté nucléaire, radioprotection, et protection et surveillance de l'environnement sont maintenues ensemble au sein de la future autorité de sûreté, dans le respect des règles d'indépendance applicables à cette dernière.

Ensuite, dans l'organisation à venir, les responsabilités exécutives du contrôle et de l'expertise doivent rester distinctes du rôle de décision et de pilotage stratégique confié au collège de l'ASN. C'est l'objet des sous-amendements identiques qui seront défendus notamment par le président de l'Opecst Pierre Henriet et par la rapporteure Maud Bregeon.

Enfin, l'information, la transparence et le dialogue technique avec le public devront être garantis dans la droite ligne de ce qui est fait aujourd'hui à l'IRSN et l'Autorité de sûreté nucléaire : il y va de la confiance des Français dans notre système.

Les deux amendements déposés par le Gouvernement intègrent les propositions de MM. Doroszczuk et Niel. L'amendement CE602 propose d'élargir les missions de l'ASN en lui confiant des missions d'expertise et de recherche dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que des actions de sécurité civile en cas d'accident radiologique. Sur le modèle de la solution retenue lors de la transformation de Voies navigables de France d'établissement public industriel et commercial (Epic) en établissement public administratif (EPA), l'ASN pourra, d'une manière pérenne, disposer de plusieurs catégories de personnels : fonctionnaires, agents contractuels de droit public, agents contractuels de droit privé. Cela amplifiera l'attractivité de la future organisation. L'amendement prévoit également la création d'un comité social d'administration pour permettre la représentation de l'ensemble de ces personnels, dans la diversité de leurs statuts.

Par ailleurs, je donnerai un avis favorable aux sous-amendements identiques du président de l'Opecst et de la rapporteure, qui visent à inscrire dans le règlement intérieur des dispositions organisationnelles pour séparer le processus d'expertise des avis et des décisions du collège. Je donnerai également un avis favorable au sous-amendement du groupe Les Républicains, porté par son président Olivier Marleix, qui demande un rapport sur les éventuels impacts que les nouvelles prérogatives accordées à l'ASN peuvent avoir sur le système de contrôle de radioprotection et de sûreté nucléaire.

L'amendement CE610 vise, quant à lui, à sécuriser les personnels de l'IRSN. Il prévoit le transfert de droit à l'ASN des contrats de travail des agents qui exercent les missions concernées. Il ouvre par ailleurs, pour les agents de l'IRSN affectés à l'ASN, un droit d'option entre le maintien de leur contrat de droit privé et la conclusion d'un contrat de droit public. Cette disposition donne de la visibilité aux salariés de l'IRSN, qui sont en quasi-intégralité des salariés en contrat de droit privé, en leur assurant la continuité de leur rémunération.

Je souhaiterais insister sur le calendrier de cette réforme. Ces deux amendements sont le point de départ d'un processus de réorganisation. Pour se donner les moyens de lancer la réforme, il faut fixer un cap clair, en donnant dès maintenant aux salariés de l'IRSN de la visibilité, tout en affinant les détails dans le cadre d'un processus coconstruit et concerté.

Pour conclure, nous réunissons sous la même bannière deux services publics qui participent de la même politique de sûreté nucléaire, en retenant le statut le plus protecteur des deux entités, à savoir celui d'autorité administrative indépendante. Tel est l'enjeu de ces amendements qui renforceront la sûreté nucléaire de notre pays. C'est essentiel à la veille des travaux que nous devons engager.

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