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Intervention de Marc Fesneau

Réunion du mardi 7 mars 2023 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marc Fesneau, ministre :

Monsieur Saint-Huile, en ce qui concerne le lait bio, c'est l'une des filières, avec celle du porc bio, où se concentrent les risques de déconversion. C'est vers elles que nous voulons orienter le fonds d'urgence. Souvent, d'ailleurs, ces exploitants arrêtent non seulement le lait bio mais le lait tout court… C'est une double perte. C'est ce travail que j'ai demandé ; il prend un peu de temps, je le reconnais, car nous avons besoin de documenter ce qui se passe pour aider à passer le cap.

Nous avons aussi besoin de provoquer un choc de demande : que dire aux consommateurs ? Que dire à la grande distribution pour qu'elle prenne ses responsabilités ? Quand ça allait bien, il y avait des rayons bio partout ; maintenant, on les voit se réduire drastiquement… C'est un peu facile !

Je vous renvoie aussi à ce que je disais sur la loi Egalim.

Nous allons donc identifier les éleveurs en difficulté, afin d'apporter une réponse immédiate. Nous sommes, avec ces 10 millions d'euros, dans l'hyperurgence. Nous verrons ensuite, à moyen terme, s'il faut compléter nos dispositifs.

Madame Brulebois, la France est un pays merveilleux : dans cette salle, il y a beaucoup d'élus locaux qui pensent, comme moi, qu'il faut laisser faire les départements et les régions, qu'il faut se lancer dans la différenciation, que tout va tellement mieux quand ce n'est pas l'État qui fait tout – mais dès que la différenciation est là, ça ne va pas parce qu'on n'est pas comme le voisin, et je vois des agriculteurs qui constatent que l'herbe est plus verte de l'autre côté de la frontière administrative… Bref, nous adorons la différenciation, mais nous sommes profondément égalitaires. Nous sommes un pays bizarre, convenons-en !

On ne peut pas dire à la fois qu'il faut donner davantage de compétences aux régions, puis s'indigner lorsqu'elles les exercent. Mais vous avez raison : nous devons faire attention. Je pense à la filière du lait : certaines régions ont prévu une aide pour les jeunes, comme la région Auvergne-Rhône-Alpes, d'autres pas du tout. Les évolutions ne sont pas de même nature… Soyons équilibrés : cette même région ne fait pas ce qu'il faudrait, à mon sens, sur Natura 2000. Je ne peux pas interférer dans les décisions de telle ou telle collectivité, mais je peux essayer de convaincre, et le projet de loi d'orientation agricole pourra être l'occasion de se mettre d'accord sur certains sujets.

Madame Belluco, vous avez raison, la France irrigue 7 % seulement de sa surface agricole utile. L'agriculture est essentiellement pluviale. Mais je conteste l'idée que les réserves d'eau destinées à l'irrigation constituent un accaparement : l'eau prise par les agriculteurs sert pour nourrir la population, pas pour remplir des piscines !

Tous les projets que vous avez sous les yeux, notamment ceux qui sont définitivement validés, sont développés selon trois axes : stockage ; substitution par rapport aux prélèvements estivaux, ce qui est préférable, et réduction des prélèvements ; évolution des pratiques. Je vous vois contester mes propos, mais donnez-moi un exemple du contraire, sur le même bassin bien sûr ! C'est le cas pour le bassin de Sainte-Soline : 21 millions de mètres cubes étaient prélevés l'été ; l'objectif est de prélever 13 millions en tout, dont la moitié dans les réserves de substitution constituées l'hiver. On passe de 21 millions à 6 millions prélevés l'été. C'est mieux ! Si ces projets ne sont pas menés à bien, il n'y a aucun projet.

Cela ne veut pas dire, et vous ne me l'entendrez pas dire, qu'il n'y a pas besoin d'adaptation. Dans le projet de Sainte-Soline, sont prévues des modifications d'assolements, avec moins de maïs, par exemple. Il faut l'assumer : le climat change, les productions vont changer – c'est vieux comme l'histoire du monde et de l'agriculture, même si ces évolutions se font très rapidement. J'essaye de mener une politique équilibrée.

Je vous donne d'autres exemples. Nous défendons beaucoup le système d'élevage extensif sur prairie. Il est lourdement menacé par le dérèglement climatique : au-delà des rats taupiers, nous aurons des périodes de sécheresse qui empêcheront de nourrir les animaux. Nous devons réfléchir à l'alimentation des bêtes, et pour cela il faut de l'eau.

J'étais récemment en Occitanie, dans une exploitation de 70 hectares – pas une très grande surface d'agriculture industrielle, donc – avec 8 hectares d'ail, culture spécialisée qui assure l'essentiel du revenu. Eh bien, cette culture a besoin d'eau. Donc il va falloir de l'eau !

Si je dis à un agriculteur qui fait du maraîchage sur 2 hectares qu'il n'aura pas d'eau, il ne tiendra pas, je vous le garantis.

Nous pouvons être d'accord là-dessus : il faut réfléchir et trouver des solutions. Il faudra de nouvelles pratiques, y compris dans des territoires qui jusqu'ici n'avaient pas besoin d'irrigation. Ils auront besoin de prélever de l'eau, comme les autres. Je ne dis pas que l'équilibre est facile à atteindre ! Nous en reparlerons.

Madame Le Feur, vous voudriez une France avant-gardiste ! Sur les sujets industriels, nous n'envisageons pas de nous éloigner beaucoup de nos voisins – on n'a jamais dit que les voitures françaises seraient très différentes des voitures allemandes, parce que nous vendons sur le même marché. Les normes de construction, les normes qui s'appliquent aux jouets, les normes aéronautiques… sont les mêmes. Mais en matière d'agriculture, nous voudrions parfois des normes très différentes des autres pays. C'est quand même bizarre. En France, nous serions fondamentalement meilleurs que les autres ! Je ne vous vise pas, mais il y a parfois une part d'arrogance dans ces discours qui veulent expliquer aux autres ce qui est mieux. Eh bien les autres nous disent : passe devant, rendez-vous dans dix ans. Et dans l'intervalle, nous perdons de la production en France.

Il faut mener ce combat de la transition, c'est vrai, mais je le mène au niveau européen.

Cela amènera d'ailleurs les autres à demander des clauses miroirs – ce qui satisfera nos amis du Massif central en particulier. Quand nous demandons des clauses miroirs sur des pratiques ou des interdictions qui n'ont cours qu'en France, croyez-vous que le collègue allemand, même écologiste, est gêné ? « Passe devant », dit-il ! Si nous voulons des clauses miroirs dans les traités internationaux, les contraintes que nous imposons doivent l'être au niveau européen. Alors seulement, tout le monde criera famine. Sinon, nous n'y arriverons pas. Vous me trouverez à vos côtés, vous le savez bien, pour défendre ces causes au niveau européen. Mais nous ne gagnerons rien à n'agir que dans le cadre national, ou à proclamer notre supériorité. Cela ne veut pas dire que nous n'essayons pas de pousser les autres !

Monsieur Taite, sans doute avons-nous été trop loin dans la surtransposition. J'ai demandé un examen précis de ce sujet. Mais la baisse de la compétitivité française vient aussi d'investissements que nous n'avons pas su faire, de différences de coût de main-d'œuvre, de la suradministration… C'est une combinaison de facteurs. Les interdictions de produits phytosanitaires ne sont pas seules en cause.

L'Anses est indépendante. Elle peut décider de ses propres interdictions. Je ne pense pas que la bonne solution pour résoudre un problème soit de supprimer la structure d'où vient le problème… Nous devons en revanche travailler avec elle pour anticiper et programmer les interdictions.

Ces sujets ne peuvent être traités qu'au niveau européen, sinon nous créons des distorsions. Aujourd'hui, chaque pays prend ses décisions d'utiliser telle ou telle molécule.

Je pense à la cerise : je ne peux pas attendre cinq ans pour avoir un avis sur l'insecte stérile, qui pourrait constituer une solution, s'il suffit d'un an pour interdire un insecticide ! Le temps de la solution doit être à peu près le temps de l'interdiction.

Monsieur Lovisolo, je vous mets en garde sur la zone d'exclusion des loups. D'abord, bon courage ! Tout le monde va lever la main. Ensuite, tout le quota sera pris dans les zones d'exclusion, mais les autres prennent leur paume ! Vous irez expliquer aux gens des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, de la Drôme ou de l'Ardèche que pour eux, c'est trop tard. Bref, autant vous le dire tout de suite, car, vous le savez, je n'aime pas la démagogie que l'on voit sur ces sujets : les zones d'exclusion, ça ne marche pas. Certains départements n'auront aucun loup, mais malheur aux perdants… Et où seraient ces zones ? J'imagine déjà le défilé au ministère.

Nous régulons les populations. Mais je ne dis ni qu'il faut éradiquer le loup, ni qu'il faut conserver le statu quo. Essayons de trouver des solutions : nous pourrions envisager de simplifier les pratiques de tir, de mieux agir dans de meilleures conditions. Nous devons nous demander quel est notre objectif d'espèce, tranquillement, sans querelle – comme vous l'avez fait. Sans cohabitation, nous n'y arriverons pas, et c'est un facteur à prendre en compte.

Monsieur Dragon, ce que j'ai dit, c'est qu'une dérogation tous les ans, ça s'appelle une règle. Quand il y a une dérogation, c'est que nous nourrissons des doutes sur le produit : dans ce cas, il faut chercher des alternatives sans se dire qu'il y aura une dérogation tous les ans. La dérogation entretient le sentiment que l'usage du produit pourra perdurer.

Je le dis pour les filières : je ne peux pas recevoir tous les ans au mois de janvier des lettres pour me demander une année supplémentaire de dérogation… On ne peut pas suspendre une filière à une décision annuelle. J'assume totalement certaines dérogations. Mais dès lors qu'il y en a une, il faut penser qu'elle ne durera pas ; sinon, cela crée un risque pour les filières, ce que je ne veux pas.

Monsieur Vigier, essayons de ne pas opposer les pratiques. Tous les modèles agricoles pourraient faire un peu plus d'agroécologie, et ils seraient tous gagnants. Quand vous remettez de la matière organique dans les sols, quand vous faites un réseau de haies, quand vous simplifiez le travail du sol, vous ne choisissez pas entre agroécologie et production… Tout cela, c'est documenté, et c'est vieux comme le monde : ces choses se faisaient, pas il y a 5 000 ans, mais il y a 80 ans ! Il faut retrouver ces solutions fondées sur le bon sens agricole. On peut allier production et agroécologie : la seconde est un facteur d'amélioration de la première. Je le dis souvent, à facteurs de production équivalents, nous sommes aujourd'hui moins capables de produire qu'il y a vingt ans, en raison du dérèglement climatique, de l'érosion des sols, de la perte de matière organique... C'est la vérité. Pour se tirer de ce mauvais pas et continuer de produire en quantité, soit on recherche de nouvelles variétés, soit on change les pratiques.

Madame Heydel Grillere, vous m'interrogez sur les cours d'eau. Je nous invite tous à ne pas vivre au rythme des prévisions météorologiques. Nous parlons de sécheresse aujourd'hui, mais quand je vois que l'on annonce de très fortes précipitations, je me dis que quand nous nous reparlerons dans quelques jours, les problèmes risquent d'être d'une autre nature ! En matière hydrologique, je l'ai dit, il faut penser à long terme : faire des économies, constituer des réserves, faire évoluer les pratiques…

Avec mon bon sens paysan, je sais aussi que dans mon département, dans mon jardin, à la fin, il va tomber 600 millimètres, même si j'en ai eu zéro au mois de juin. Je me souviens de 2016 : février sec, mars sec, puis 80 centimètres d'eau dans mon village. À un moment, ça tombe ! Je ne suis pas la météo, je ne fais pas la météo – et heureusement d'ailleurs.

Il est préférable de prendre maintenant, comme nous le faisons, des mesures de précaution qui ne sont pas très coercitives afin de préserver la ressource en eau pour des fonctions qui pourraient être vitales si la sécheresse venait. Mais nous allons vivre dans une période d'agitation du climat. Il faudra s'y habituer : un coup il y aura d'eau, un coup il fera trop sec, un coup il fera trop froid, un coup il fera trop chaud, un coup il y aura trop de vent… Nous vivions dans un pays tempéré, ce ne sera plus le cas. Il faut penser nos politiques sur un rythme pluriannuel. Il est normal que dans votre département, on prenne des précautions. Il n'est pas impossible qu'il finisse par pleuvoir ; il n'est pas impossible non plus que cette année, il ne pleuve qu'en septembre. Nous devons nous y préparer. Le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) nous dit que la quantité de précipitations ne devrait pas beaucoup changer, en tout cas dans un département comme le vôtre. Mais les rythmes seront irréguliers ; il faut gérer l'arythmie. C'est pour cela d'ailleurs que les réserves d'eau sont pertinentes.

Madame Cousin, je vous invite à la prudence sur les chiffres : la surface cultivée en blé a diminué, c'est vrai, mais je vous invite à comparer les cours du blé, du colza et du tournesol. C'est la seule explication. D'une année sur l'autre, il y peut y avoir des baisses de 2 % à 10 %. C'est plus inquiétant si on cultive moins de betteraves, dans la région de M. Vatin : là, c'est durable, vous auriez raison. Mais sur le blé, pitié ! Il y a une rotation des cultures, les variations ne sont pas illogiques. Quand les agriculteurs ont fait leur choix d'assolement, même tardif au moment de la guerre en Ukraine, ils avaient encore le temps de faire autre chose que du blé. On avait aussi besoin de colza et de tournesol ! C'est un choix économique et logique. Il faut regarder sur le long terme : la surface en blé en France est plutôt stable.

En revanche, vous avez raison, nous devons retrouver notre souveraineté. Il est plus facile pour vous que pour moi de dire que ça ne va pas, parce que mon rôle à moi est de trouver des solutions ! Ce sera un processus long. Il faut la confiance des acteurs, il faut sortir de différentes impasses techniques.

Madame Miller, c'est en effet la viticulture qui a le plus contribué au développement du label HVE. Le référentiel a changé pour correspondre aux écorégimes de la nouvelle PAC. Nous avons prévu des groupes de travail pour regarder ce qui peut être amélioré pour la viticulture – qui n'est pas dans la même situation que les grandes cultures.

Monsieur Vatin, je vous redirai ce que j'ai déjà dit : il nous faut des règles européennes ; des clauses agricoles doivent être inscrites dans les accords internationaux ; il faut faire de l'agroécologie, parce que c'est la condition de la souveraineté et de la productivité ; nous devons emmener nos concitoyens avec nous, parce que c'est une question de rémunération. Il y a du travail !

Sur les betteraves, la dérogation que nous avions prévue a été cassée par la Cour de justice de l'Union européenne : nous allons essayer de couvrir le risque, puis nous cheminerons… Si j'étais taquin, je vous rappellerais la loi de 2016 qui a interdit les néonicotinoïdes et consacré le principe de non-régression environnementale, voire le principe de précaution inscrit en 2004 dans la Charte de l'environnement : je ne participais à aucun de ces gouvernements ! Chacun doit réfléchir à ses propres décisions. Nous devons nous saisir collectivement de cette affaire.

Madame Masson, le décret est au Conseil d'État. Nous vous le communiquerons. L'idée est de simplifier la réutilisation de l'eau par les industries agroalimentaires. L'expérimentation menée dans la région Sud – je dis Sud et non Paca, sinon je vais être grondé… – concerne les cultures, et elle nous permettra de faire évoluer le décret. Notre pays a édicté, pour des raisons sanitaires, des règles très sévères en matière de réutilisation des eaux usées : nous retraitons très peu, quand l'Italie et l'Espagne le font bien plus que nous – et je n'ai pas l'impression qu'on y soit en moins bonne santé. Nous essayons donc de lever des freins, de sortir d'habitudes bien ancrées, car la réutilisation des eaux usées est une piste pour lutter contre la sécheresse, notamment dans une région comme la vôtre.

Monsieur Descoeur, longtemps, les gens riaient quand ils entendaient parler des rats taupiers… Mais vous avez entièrement raison : les conséquences agricoles sont bien réelles, de même que les risques sanitaires, et à terme nous aurons un problème avec les forages. Des recherches sont en cours, notamment à l'Inrae, en particulier sur la robotisation de la lutte et sur des immunocontraceptifs. C'est lent, je le reconnais. Voilà un sujet qui peut paraître anecdotique mais qui est très symbolique des impasses dans lesquelles se trouvent certains territoires. Sécheresse et rat taupier, cela peut mener au désespoir…

Monsieur Ray, je vous confirme les bonnes nouvelles en matière d'étiquetage des volailles. Nous partions de très loin car nous étions un peu seuls, mais nous avons fait valoir nos raisons : si on commence à dégrader l'étiquetage, la fin arrivera très rapidement. C'est une question de principe. La proposition qui est sur la table est plus satisfaisante, mais le processus continuera en avril et mai. Je continue donc mon travail de conviction.

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