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Intervention de Marc Fesneau

Réunion du mardi 7 mars 2023 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marc Fesneau, ministre :

Fréquentez-les un peu : vous verrez ce qu'ils en pensent. Les agriculteurs, à force d'entendre quotidiennement de tels propos, finissent par en être offensés ; ils les considèrent comme une violence qui leur est faite.

D'autre part, je ne nous souhaite pas de vivre au temps merveilleux du Paléolithique. Nous sommes aujourd'hui mieux nourris qu'il y a cent ans. Au ministère de l'agriculture, on trouve encore des tickets de rationnement datant de l'après-guerre ; je pourrai vous les montrer. Ils ont été utilisés jusqu'en 1950. N'offensez donc pas les agriculteurs.

D'autres points, en revanche, peuvent être sujets à discussion. S'agissant de la loi Egalim, vous avez raison, nous ne sommes pas au bout du chemin. L'État doit faire sa part du travail, mais – je n'hésite pas à le dire – les collectivités territoriales doivent aussi faire la leur. Cela relève de choix politiques – indépendants de l'appartenance partisane, d'ailleurs. L'autre jour, dans mon conseil communautaire, il a été question d'ériger des panneaux d'affichage pour faire la publicité des fêtes et manifestations, comme il y en a à Paris. J'ai été maire d'un village de 700 habitants : je dois admettre qu'il n'y avait pas une manifestation tous les soirs. Et quand on a annoncé que cela coûterait 120 000 euros, j'ai suggéré qu'on utilise plutôt cette somme pour l'alimentation ! Les collectivités sont autonomes, mais je peux partager avec vous l'idée que le Gouvernement et les parents d'élèves pourraient leur faire passer un message.

Certes, cela demande un peu d'organisation. Dans ma commune, il y avait quarante rationnaires : je reconnais que, du point de vue logistique, il peut être compliqué de servir du bio dans ces conditions. Nous avons donc mis en service une cuisine centrale, qui fournit à la fois l'Ehpad, l'Esat – l'établissement et service d'aide par le travail – et le collège, afin de répondre aux exigences d'Egalim. Cela fait partie du travail que nous devons mener au sujet du bio.

L'enveloppe de 10 millions d'euros correspond à une première étape. Elle servira en priorité à aider les producteurs bio qui risquent de s'engager dans la voie de la déconversion – car, dans ce cas, ils ne reviendront jamais au bio. Il faut aussi augmenter les proportions de produits bio et de produits de qualité ou locaux servis dans les cantines, afin de progresser vers les objectifs de respectivement 20 % et 50 % fixés par la loi Egalim. Une grande part des importations de produits agricoles en France concerne la restauration hors domicile : ce ne sont pas principalement les supermarchés qui sont concernés. Chacun doit faire face à ses responsabilités.

La crise du covid a en outre provoqué l'essor du localisme – ce qui, en soi, n'est pas une mauvaise chose. Le problème ne me semble pas être le label HVE, qui est un outil pour aider un maximum de gens à gravir la marche. Je ne crois pas que la dénonciation de ce label profite au bio. En revanche, il faut repositionner celui-ci dans son segment de marché, et que les produits bio soient perçus par le consommateur comme étant aussi issus de l'agriculture locale. Ce n'est pas qu'une question de prix : la baisse des ventes de produits bio a commencé à l'été 2021, c'est-à-dire avant le début de l'inflation. Et les grandes surfaces, qui ont largement profité du phénomène quand les ventes de produits bio progressaient de 10 %, portent une responsabilité quand elles retirent ceux-ci de leurs rayons : ce faisant, elles aussi opèrent un choix politique.

Enfin, je vous assure – même si vous avez parfaitement le droit d'être en désaccord avec moi – que nous aurons à l'avenir des besoins accrus en élevage, associé à de la polyculture. D'abord, vu qu'en France on importe 50 % de la volaille, 25 % du bœuf et plus de 50 % des ovins consommés, la priorité, c'est de retrouver notre souveraineté ; soutenir le contraire relève de l'hypocrisie collective. Ensuite, nous aurons besoin d'élevage pour assurer la transition de l'engrais minéral vers l'engrais organique, pour stocker du carbone dans les prairies, pour maintenir un réseau de haies, pour accroître la biodiversité en montagne, pour lutter contre l'embroussaillement et les feux de forêt – je pourrais allonger la liste. Un système sans élevage, c'est un modèle théorique, qui ne peut pas fonctionner.

La difficulté, quand on est aux responsabilités, est de trouver une position d'équilibre… N'opposons pas l'agroécologie à la souveraineté alimentaire, monsieur Bony ! La perte de fertilité des sols est notamment liée au fait qu'on n'y a pas réintroduit de la matière organique. Le déclin de la biodiversité est, à terme, un malheur aussi pour l'agriculture. Il faut marcher sur deux jambes. Le système agricole actuel se retrouvera dans une impasse si nous ne le faisons pas évoluer.

Dans le Massif central, par exemple, le système herbager est très touché par le dérèglement climatique. Il va falloir intégrer trois ou quatre mois de sécheresse dans le modèle. Il convient de viser l'autonomie alimentaire des élevages, en utilisant les prairies mais pas seulement, et réfléchir à des systèmes de stockage de l'eau.

Il est impératif de procéder à la transition agroécologique ; à défaut, nous irions au-devant de problèmes majeurs.

Pour ce qui concerne les haies et les bosquets, monsieur Ott, je considère que nous ne sommes pas du tout au niveau qu'il faudrait. Au-delà de ce que j'ai dit à propos de l'élevage, qui est le seul secteur où l'on arrive à maintenir le réseau et le parcellaire, il faut être volontariste et aller beaucoup plus loin en matière de développement des haies. C'est bon pour le stockage de l'eau, pour la biodiversité, pour l'atténuation de la chaleur dans les parcelles, pour la lutte contre l'érosion des sols… – bref, pour plein de raisons. Entre associations environnementales, agriculteurs et chasseurs, des actions à l'échelle des territoires pourraient être entreprises. Tous les ans, des haies disparaissent : ce n'est pas normal. Et c'est une question qui concerne non seulement la montagne, mais aussi la plaine – j'imagine que nous aurons l'occasion d'en rediscuter quand j'irai faire un tour dans votre belle région.

Idem pour les bosquets. C'est toute la place de l'arbre dans le système agricole qui est à repenser. La culture issue de la guerre était celle de l'arasement des talus, ce qui, à l'époque, avait sa logique. J'ai vu, il y a vingt-cinq ans, combler des mares. Tout cela est regrettable mais, à présent, il nous faut construire un système supportable pour les agriculteurs.

Madame Jourdan, il faut en effet s'intéresser aux systèmes de polyculture. La polyculture-élevage est un mode d'exploitation résilient qui offre des solutions à l'agriculteur le jour où il se retrouve dans une impasse technique ou économique qui se traduit par un effondrement du prix. Le choix de ce système de cultures nécessite parfois l'usage de produits phytosanitaires. Cela étant, je connais très peu d'activités économiques où la chimie n'est pas employée à un moment ou à un autre, et je ne vois pas pourquoi on reprocherait à l'agriculture le recours à des pratiques que l'on ne critique pas dans d'autres secteurs, comme l'habillement. La chimie n'est pas, par nature, toxique. Lorsqu'il existe un risque, il faut savoir en sortir, mais sans se laisser gouverner par des postulats.

La réflexion sur l'agriculture de conservation des sols peut conduire au débat sur le glyphosate. À l'égard de celui-ci, la France définira sa position dans un cadre européen. Ce qui est certain, c'est que nous allons arrêter de surtransposer les mesures de niveau législatif. Je ne sais pas expliquer à un agriculteur français pourquoi on lui interdit l'usage du glyphosate alors que ses homologues allemands ou polonais, par exemple, ont le droit d'y recourir. Je ne sais pas non plus comment justifier le fait que l'on fasse plus que ce que prescrit l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). La concurrence à laquelle font face les agriculteurs français est principalement d'origine intraeuropéenne. Le Ceta (Accord économique et commercial global) ne s'est pas traduit par l'exportation d'un seul kilo de viande bovine du Canada vers la France. Ce que l'on a perdu, depuis trois ou quatre ans, c'est venu d'Europe.

Il convient de recourir à une combinaison de facteurs, qui pourront être, selon les cas, l'agronomie, le biocontrôle, les plans de campagne, les solutions fondées sur la nature, les produits phytosanitaires, etc.

Madame Violland, la PAC (politique agricole commune) contient des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) dédiées aux sols. Elle permet également d'accéder à l'écorégime par la rotation des cultures, qui a vocation à remettre de la matière organique dans les sols. Ce sont des outils d'incitation importants. Il n'y a pas de dispersion des financements. Les scientifiques disent que si l'on introduisait 4 ‰ de matière organique dans les sols, on aurait réglé notre problème de stockage de carbone. Sur ce fondement, Stéphane Le Foll a lancé l'initiative « 4 pour 1 000 ». Continuons de travailler en ce sens, car c'est bon pour les sols, pour le carbone, pour l'eau et pour la productivité. À cet égard, on doit aussi rechercher la capacité à produire dans des conditions économiques tenables : « productiviste », pour moi, n'est pas un gros mot.

Monsieur Thierry, le carbone et la biodiversité sont deux enjeux majeurs. En réduisant les émissions de carbone, on lutte contre le dérèglement climatique. En limitant la hausse de la température, on préserve la biodiversité endémique. La réduction de l'usage des produits phytosanitaires, le développement du réseau des haies, l'intégration de la matière organique dans les sols sont autant de moyens de regagner de la biodiversité. Le processus sera long, mais il faut s'engager dans cette voie. Nous pourrions nous retrouver sur les objectifs même si nous divergeons sur les moyens. La biodiversité se reconquerra petit à petit. Oui, vous avez raison, gouverner, c'est choisir, et nous devrons faire des choix difficiles, ce qui implique que nous ne nous privions pas de certaines solutions.

Je vais regarder de plus près le projet d'arrêté sur les menus végétariens que vous évoquez et vous apporterai une réponse précise. Cela étant, je ne suis pas sûr que l'on doive décider à l'échelon national ce que les uns et les autres doivent faire.

Monsieur Bricout, je crois à la diversité des modèles. Chacun emprunte une trajectoire qui lui est propre et est soumis à un seuil de rentabilité différent. Il faut arriver à combiner les grandes cultures et l'agriculture paysanne.

Nous devons aller plus loin en matière d'application de la loi Egalim, ce qui implique parfois de convaincre les collectivités. L'objectif est de trouver un point d'équilibre.

Les avis diffèrent sur les produits auxquels devrait donner accès le chèque alimentaire : les fruits et légumes, le bio, voire pour certains, uniquement des produits frais ou l'inclusion des produits transformés. On m'a même dit qu'il fallait introduire de la confiserie. Personne n'est d'accord. Le critère budgétaire est évidemment à prendre en considération.

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