Le CLAP se propose de faire un historique de nos observations et de notre analyse en tant qu'anciens livreurs. L'historique concerne l'ubérisation et la mise en place du lobbying qui se révèle en plusieurs actes.
Durant la crise financière de 2008, monsieur Novelli, sous l'égide de l'auto-entrepreneuriat et les attraits de devenir son propre patron, a créé un régime permettant déjà à des donneurs d'ordre de jouir du travail de ces entrepreneurs, sans avoir à payer de cotisations. La création du statut de ces plateformes repose sur « l'argent magique » qui a découlé de la crise financière de 2008 pour sauver les institutions financières. Nous parlions à l'époque de 700 milliards d'euros, dont ces premiers acteurs ont pu bénéficier pour créer ces plateformes.
Uber a suivi presque instantanément la création des smartphones qui permettaient à chacun de se localiser et donc de « cliquer » pour accéder à différents services.
De nouveaux acteurs viennent ainsi profiter de ce système, d'ailleurs inspiré des modèles anglo-saxons (le système des workers ), pour installer un système économique fondé sur les dispositifs étatiques, comme l'aide à la création d'entreprises et à la reprise d'emploi (ACRE), et sur la possibilité de ne pas payer de cotisations sociales.
Les ingrédients sont réunis. Il s'agit néanmoins de glisser discrètement du poison dans la marmite que tout le monde regarde. Pour Uber, le poison se cache dans les nouvelles technologies. Le smartphone sort en 2007 et tiendra lieu de support au management algorithmique. Ce dernier vient donc « invisibiliser » les rapports entre les hommes et masquer tout lien de subordination.
Pour faire baisser les chiffres du chômage, M. Sarkozy, à l'époque, avait besoin de construire le modèle néolibéral à la française qui vise à s'extraire du code du travail.
En 2011, Uber débarque sur le marché. La première gronde contre Uber et les VTC date de 2014-2015. Uber fait donc du lobbying et dispose déjà de liens forts avec M. Macron, alors ministre de l'Économie. Uber est en effet directement enfanté des mesures évoquées précédemment et représente l'aîné du modèle politique économique ultralibéral. Son projet est d'ailleurs plus politique qu'économique. Le projet de M. Macron est en revanche économique. Cette rencontre est donc naturelle. Cette proximité s'illustre par le parcours d'Élisabeth Borne qui occupera successivement les ministères de l'ubérisation : le transport et le travail, pour ensuite devenir Première ministre.
Emmanuel Macron cherchera à protéger, par intention ou omission, son jumeau entrepreneurial. Cette démarche s'exprime, dans les faits, par tout ce que révèlent les Uber files.
Pour conduire ces véhicules législatifs, qui d'autre que Hervé Novelli, créateur du régime de l'auto-entrepreneuriat, pouvait présider l'Association des plateformes d'indépendants (API), qui est une sorte de conglomérat rassemblant toutes les plateformes pour défendre leurs intérêts.
Concernant le livreur, le premier acte remonte à 2016. La loi Travail et son article 60, qui donnera naissance à l'article L. 7342-1 du code du travail, viennent consacrer légalement l'hérésie du modèle des plateformes. Cet article dispose que lorsque la plateforme détermine les caractéristiques de la prestation de service ou du bien vendu et fixe son prix, elle détient, à l'égard des travailleurs concernés, une responsabilité sociale qui s'exerce dans les conditions mentionnées.
En d'autres termes, un acteur peut déterminer le prix et les caractéristiques de la prestation d'un travailleur indépendant, qui se définit justement par l'autorité et surtout la maîtrise des éléments essentiels de la relation de travail. Cette véritable attaque du droit du travail est légalement formée par la rencontre de deux volontés sur le prix de l'objet de la convention. Cette porte ouverte démontre que la plateforme écrit la loi donc qu'Uber est un acteur politique et non pas économique. En effet, l'entreprise ne gagne pas d'argent mais, au contraire, en perd, comme souvent les partis politiques.
Le deuxième acte arrive en 2018, avec la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L'amendement 2072, porté par Aurélien Taché (à l'époque LREM) dispose, sous les contours de la sécurisation de la relation de travail avec les plateformes, que ces dernières ont la possibilité d'établir seules une charte jointe au contrat de travail qui définirait un cadre légal, pour autant que cette charte, unilatéralement rédigée et facultative, ne puisse constituer un indice de subordination devant le juge.
Le troisième acte en 2019 vient de la loi d'orientation des mobilités. La loi a repris mot pour mot les chartes citées, mais un ajout de taille vient « miraculeusement » s'insérer concernant la juridiction compétente. En effet, la charte « nouvelle version » prévoit que les circonstances de rupture de la relation de travail dépendent désormais du tribunal de grande instante, et non plus du Conseil des prud'hommes. L'article L. 7342-9 dispose : « tout litige concernant la charte relève du tribunal de grande instance, à l'exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif ». En d'autres termes, la charte vient ici diluer tout risque de requalification, en écartant le plus possible les juridictions prud'homales. La lecture d'une relation de travail ne s'apprécie donc plus au regard des conditions dans lesquelles elle s'effectue, indépendamment du nom ou des qualificatifs du contrat. Le choix de cette juridiction constituait ainsi un premier filtre anti-requalification.
L'acte IV, en 2020, vient de la mission Frouin. Cette mission, mandatée par le Premier ministre Édouard Philippe, est chargée de formuler des recommandations en matière de statut, de dialogue social et de droits sociaux liés aux plateformes numériques de travail. L'objectif est de sécuriser les relations juridiques et les travailleurs sans remettre en cause la flexibilité apportée par le statut d'indépendant. Le rapport écartait la création d'un tiers statut relatif aux travailleurs des plateformes, tout en préconisant un dialogue social spécifique, géré par une autorité de régulation de dialogue social, qui finalement deviendra une autorité de relation, ce qui change beaucoup de choses. Nous pouvons ici aussi facilement supposer que les plateformes n'aient guère apprécié le terme de régulation.
Le cinquième acte arrive avec l'Arpe (ou l'utilitarisme de l'échec). Cet échec est apparu, malgré les énormes moyens du gouvernement, des plateformes et des plus importantes confédérations syndicales. Le rapport Frouin avait émis des recommandations sur le dialogue social. Ce dialogue social représente le nouveau cadeau empoisonné des plateformes. Deliveroo en est d'ailleurs à l'initiative, puisque son ancien directeur des affaires publiques, Louis Lepioufle, ancien membre du cabinet d'Axelle Lemaire, avait tenté d'éteindre les feux qui menaçaient cette plateforme par des actions visant à restaurer son image. L'une d'elles fut d'élire, parmi les travailleurs de Deliveroo, des représentants chargés de siéger au « forum Deliveroo ». Ces élections obscures étaient basées sur un nombre assez ridicule de votants, avec 10 % des votants sur 15 % d'électeurs.
La task force, qui prendra le nom de son président, Bruno Mettling, est mise en place dans le prolongement des recommandations du rapport Frouin sur le dialogue social. Le lobbying ne s'encombre plus avec « l'ombre », puisque Bruno Mettling est un haut fonctionnaire, reconverti en haut responsable, à la Banque Populaire, puis chez Orange. Il est donc aisé pour un lobbyiste de chercher une personne comme lui dans le « sérail ». De plus, monsieur Mettling, avec son cabinet de conseil Topics, a notamment été consultant pour Uber.
Nous avons participé aux réunions d'élaboration de l'Arpe, jusqu'à nous apercevoir, dans le décret 2021-1461 du 8 novembre 2021 relatif à l'Arpe, que tout ceci n'était qu'une vaste supercherie.