Pour la bonne information de notre commission, il convient de resituer vos liens avec le territoire dont nous sommes, le président et moi-même, élus. Bien que n'étant pas élus de Corse vous avez toujours eu à cœur d'intervenir, quand vous le pouviez, sur des sujets ayant trait à la vie publique de l'île.
Notre commission a beaucoup abordé des questions de droit, ou liées au fonctionnement de l'administration pénitentiaire. Votre audition nous donne l'occasion d'évoquer un volet plus politique, avec ce qui entoure parfois les prises de décisions qui, pour être de nature administrative, revêtent selon moi une dimension politique non négligeable.
En tant que maire d'Ajaccio et président de l'agglomération du pays ajaccien, je tiens à indiquer que j'ai moi-même été détenteur des informations que MM. Questel et Pupponi ont rappelé ou appris à la commission. Je parle ici des engagements concernant les travaux de la prison de Borgo et de l'évolution du statut de détenu des membres du commando. Lorsque le drame est survenu et que le statut de DPS d'Yvan Colonna a été levé pour lui permettre de mourir auprès des siens – puisque c'est bien de cela dont il s'agissait, rien de plus –, je me suis également offusqué du fait que les deux autres soient maintenus sous ce statut. De fait, ils sont revenus à Borgo quelques temps après. Cela atteste qu'en réalité, le placement sous ce statut est une décision administrative. Je rappelle qu'en France le chef de l'administration est le chef du Gouvernement et qu'une signature peut lever une telle décision, qui n'est pas une décision de justice mais une décision administrative.
À partir du fait générateur du 6 février 1998, je souhaiterais que vous expliquiez à cette commission le traitement dont la Corse fait l'objet. De fait, ce qui se passe chez nous depuis plusieurs années est très difficile à comprendre. Il y a quand même des points de constance sur un certain nombre de sujets et, malheureusement parfois, des décisions ont été prises qui s'inscrivent dans le temps long et ont eu des répercussions sur les conditions de détention d'Yvan Colonna notamment, qui a connu un traitement particulier. Avez-vous eu le sentiment que l'administration ou le pouvoir politique craignaient qu'Yvan Colonna s'échappe s'il devait arriver un jour à Borgo ? Comme cela a été rappelé par le directeur de l'administration pénitentiaire, l'une des raisons de l'application du statut de DPS tient au risque d'évasion. Certains nous ont dit qu'Yvan Colonna bénéficiait encore de forts soutiens, qu'il avait fait l'objet d'une cavale entre 1999 et 2003, ce qui suscitait des craintes quant à un risque d'évasion en cas de rapprochement. Si le refus de lever le statut de DPS ne tenait pas à ce risque d'évasion, cela signifie que ce sont les faits pour lesquels Yvan Colonna avait été condamné qui jouaient quant au maintien de ce statut. Il n'a jamais avoué l'assassinat du préfet Claude Érignac ; les deux autres membres du commando avaient avoué leur participation, et eux aussi se voyaient opposer un refus lorsqu'ils demandaient la levée de leur statut. Pensez-vous qu'un traitement politique a été de nature à empêcher le rapprochement d'Yvan Colonna ? Y a-t-il eu des interventions politiques allant en ce sens auprès de l'administration compte tenu du drame qu'avait représenté l'assassinat d'un préfet de la République ?
Par ailleurs, vous avez tous deux des origines corses. Pouvez-vous expliquer à la commission ce qu'a suscité en Corse cette histoire depuis 1998 ? Pouvez-vous évoquer le rapport de la Corse avec la République, le rapport des Corses avec l'État ? En février 1998, 40 000 personnes manifestaient pour rendre hommage à un préfet assassiné dans la rue. Vingt-quatre ans plus tard, le désordre s'installait dans les rues de Bastia, Ajaccio et Corte parce que celui qui avait été condamné pour cet assassinat avait lui-même été tué dans une maison centrale. Il est important que des hommes ayant exercé des responsabilités politiques, qui sont attachés à ce territoire et qui, non élus de Corse, ont un regard différent de celui du président ou de moi-même, puissent expliquer l'appréhension par la Corse et par les Corses de ce point central de notre histoire contemporaine, qui a créé beaucoup de désordres et de souffrances.