Je connais vos conditions de travail. J'ai été avocat, j'ai lu le rapport parlementaire auquel vous avez fait référence. Pour autant, je trouve vos témoignages édifiants. Je n'en attendais pas moins, mais cette unanimité interpelle fortement. Vos expressions renforcent certaines des convictions qui m'animaient déjà avant de vous recevoir. Si mon propos vous fait réagir, n'hésitez pas à prendre la parole. Je poserai quelques questions à M. Forner, tout en sachant qu'il faut faire attention à ne pas empiéter sur le champ de la procédure pénale.
J'ai le sentiment que nous ne parlons pas d'un cas isolé, mais plutôt du quotidien. Tous les jours, des milliers d'incidents, de toute nature, ont lieu en détention, dont certains sont dramatiques et coûtent la vie à des détenus ou des surveillants. C'est un élément de contexte important. Je note aussi que jusqu'ici, les faits n'avaient pas été reliés avec la situation en Afghanistan, où Franck Elong Abé a combattu. En août 2021, les talibans y ont repris le pouvoir. Dans plusieurs maisons centrales, on rencontre des cas comme celui de Franck Elong Abé, soit un « mix » entre détenu radicalisé, violent, et souffrant de troubles psychiques. L'organisation des lieux de détention n'est pas adaptée. Je retiens aussi ce qui a été dit, qui est un peu dur, qui n'est pas politiquement correct, mais qui a été prononcé par quelqu'un qui connaît la réalité : parfois, pour certains, on ne peut plus faire grand-chose. À la lecture du rapport de l'IGJ, il s'avère que Franck Elong Abé n'avait jamais formulé de projet pour l'avenir. C'est un point important.
Nous avons auditionné la « crème », les responsables les plus éminents des services de sécurité intérieure ou du monde pénitentiaire français, et je remarque un manque de coordination entre les acteurs, notamment au détriment du service de renseignement pénitentiaire. Surtout, ce qui m'a frappé dans ce cas comme dans d'autres, c'est que lorsqu'un détenu est en fin de peine comme Franck Elong Abé, on s'attache davantage à préparer sa sortie pour qu'il ne fasse pas de mal à l'extérieur, au détriment du mal qu'il peut faire à l'intérieur. On nous a expliqué que comme il allait sortir, il fallait éviter de le désocialiser complètement ; que comme il se comportait un peu mieux qu'avant, une activité lui serait confiée au sein de l'établissement, et que, au bout du compte, au regard du peu de temps qui lui restait en détention, la question de la sortie primait au détriment de la sécurité de ses codétenus et de ceux qui le surveillaient.
On prive les personnes de liberté après une condamnation. Quand celles-ci sont dans le système carcéral, ce qui peut se passer en prison n'est pas jugé très grave. Avant qu'elles sortent de prison, il faut préparer un certain nombre de choses mais cela ne se fait pas forcément très bien. Les remontées d'informations nécessaires ne sont pas effectuées, les mesures adéquates ne sont pas prises. Je constate également que le terrain est insuffisamment écouté. On peut créer toutes les agences ou organisations possibles, mais personne ne connaît mieux les détenus que ceux qui les suivent au quotidien. Le problème est très complexe. Quoi qu'il en soit, il est très important, pour l'appréciation des conditions générales de la détention en France, de souligner qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé et que les différents signaux n'ont pas été pris en compte. Nous parlons d'une personne qui a changé de comportement, de tenue vestimentaire, d'apparence physique – le fait de laisser pousser sa barbe. Et l'on vient de faire un rapprochement avec les événements géopolitiques qui se sont produits dans une région qu'il a bien connue.
Nous parlons d'un détenu qui a fait le djihad à l'étranger, qui a connu une détention catastrophique, pas uniquement à Arles. Son « CV » le suit : on sait qu'il est dangereux, qu'il a mis le feu à sa cellule, qui est capable de violence envers les autres et envers lui-même. Quatre incidents sont notés, dont le dernier à l'encontre d'un surveillant. Pourtant, cette personne reçoit un emploi d'auxiliaire. Est-ce un cas isolé ?