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Intervention de Éric Aouchar

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Éric Aouchar, Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU) :

Ma présence peut étonner, car je ne fais pas partie du personnel de surveillance. Je suis directeur pénitentiaire de réinsertion et de probation. Mon syndicat m'a mandaté pour deux raisons. D'abord, car j'ai longtemps travaillé à Fresnes avec des détenus à profil lourd et les radicalisés dans les années 1990, alors que les dispositions actuelles n'existaient pas. Nous devions travailler avec des membres de réseaux revenant d'Afghanistan. Notre vision des choses était différente. Le nombre de personnes concernées était moins élevé et, surtout, nous avions affaire avec des gens très radicalisés sur le plan politique. Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus confrontés à des gens souffrant de problèmes psychiatriques parmi les radicalisés. J'ai été infirmier psychiatrique avant d'entrer dans l'administration pénitentiaire et j'ai travaillé en unité pour malades difficiles (UMD). Mon discours en défense du personnel de surveillance sera donc assez radical compte tenu des missions et des objectifs qu'on leur assigne. Ainsi, à l'UMD de Villejuif où j'ai travaillé, il y avait dix infirmiers de permanence pour vingt-cinq patients dangereux. Ces ratios sont d'une autre nature en prison.

Depuis les années 1980, 70 000 mille lits de psychiatrie ont été fermés. Si Philippe Pinel a enlevé les chaînes des malades mentaux, on les incarcère aujourd'hui à tour de bras. On peut estimer que 40 à 45 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques majeurs. En outre, l'évolution législative – avec la suppression de l'article 64 au profit de l'article 122-1 du code pénal – fait que l'on peut désormais condamner à la perpétuité une personne hospitalisée en psychiatrie et diagnostiquée schizophrène au moment des faits – le cas s'est produit. C'est là qu'on marche sur la tête. Aujourd'hui, la pénitentiaire gère ce qui n'est plus gérable dans le secteur psychiatrique, et ce pour une raison simple : le prix de journée. Il est de moins de 130 euros en prison. Le montant en UMD est dix fois supérieur. Pour des questions purement économiques, on a transféré des populations d'un secteur qui tenait à un autre où les personnes ne sont pas préparées pour les accueillir, et qui sont chargées par ailleurs de missions plus globales avec un nombre plus élevé d'individus à suivre. C'est un point important à soumettre à votre commission.

Quant au rapport d'inspection, il est très intéressant, mais c'est un rapport de criminalistique : il prend en compte des faits matériels objectifs, mais pas le contexte général dans lequel les choses arrivent. Aujourd'hui, le stress est généralisé. On dénombre entre 200 et 250 incidents par jour dans les seuls établissements d'Île-de-France. Ils sont de nature extrêmement variable, allant du non-retour de permission de sortir à l'agression de personnels par des détenus, ou entre détenus. La fonction principale de la prison n'est plus éducative. Elle ne sert plus à reprendre en main des personnes, mais à les exclure socialement durant un temps. Il en résulte que des personnes détenues parfois pour des raisons mineures – des infractions routières par exemple – côtoient des criminels. Le grand débat concernera l'augmentation de la probation afin de libérer des places en établissement et de répartir différemment les personnels. Suivant les établissements, l'absentéisme est extrêmement élevé. Dans certains, on ne peut pas tenir.

Je veux revenir aussi sur la première page du rapport de synthèse qui souligne : « le net défaut du surveillant activités, pourtant expérimenté, […] Le professionnalisme de cet agent a été altéré par une routine conjuguée à une proximité avec les protagonistes ». En psychiatrie, il est interdit d'être seul pour tenir un poste avec des gens dangereux. On travaille a minima en binôme. Affecter un seul surveillant pour s'occuper de personnes dangereuses est une faute de l'institution elle-même, pour des raisons budgétaires. Quand on engage la responsabilité des personnels, il faut la mettre en relation avec leurs conditions de travail. Dans le présent cas, il est évident que la situation n'était pas tenable. On ne peut pas affecter une personne seule à un secteur où se trouvent des gens dangereux. Même avec le meilleur surveillant du monde, rien n'est prévisible. J'ai moi-même fait des évaluations de dangerosité. Le débat sur la dangerosité est un fantasme. Tout le monde est dangereux potentiellement, personne ne l'est dans l'absolu. On évalue des personnes qui peuvent ne pas être dangereuses au moment de l'évaluation, mais qui peuvent s'avérer extrêmement dangereuses plus tard, et inversement. Certains détenus sont extrêmement dangereux à l'extérieur, mais ne le sont pas en détention – c'est l'exemple bien connu des délinquants sexuels. Il faut donc une méthode d'évaluation pertinente de la dangerosité.

Enfin, sur la question du professionnalisme, on peut mettre en cause tout le personnel de l'administration pénitentiaire, mais rien ne changera tant qu'il n'y aura pas une autre vision du système, une pensée globale sur la place de la prison dans la société, et sur les peines – que signifie enfermer quelqu'un « à perpétuité » ? Reviendra-t-on un jour à un système plus pertinent pour ceux qui ont des problèmes psychiatriques, qu'il faut donc placer en établissement psychiatrique avec du personnel formé ? On a supprimé la formation des infirmiers psychiatriques en 1989, ce qui a été une erreur absolue. Il faut savoir aussi que tous les experts qui se prononcent sur la responsabilité pénale des individus au regard de leur situation psychiatrique sont par ailleurs des chefs de service d'établissements psychiatriques. Ils se retrouvent donc dans une situation où ils se demandent : « En tant que directeur d'établissement, accepterai-je dans mon propre établissement la personne que je m'apprête à adresser à un collègue ? » Cela donne une idée de la difficulté d'une évaluation psychiatrique, y compris de la part des experts. Personne n'est neutre. Personne ne peut assurer qu'une personne évaluée à un moment donné ne sera pas dangereuse à un autre moment.

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