Intervention de Vincent Le Dimeet

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Vincent Le Dimeet, Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU) :

Je vous remercie de recevoir les personnels de surveillance car nous sommes très peu écoutés. Notre métier est méconnu quand il n'est pas décrié. Il est donc important que nous puissions nous exprimer sur notre quotidien, de façon directe, sans le filtre des directions d'établissement, des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) ou de l'administration pénitentiaire. Il peut y avoir un réel décalage entre ce que pouvez entendre ou avez déjà entendu et les difficultés de nos métiers – j'ai écouté certaines des auditions précédentes, et on vous cache parfois un peu la vérité à cet égard. Je partage ce qui a été dit. Les manques d'effectifs sont criants et le métier n'est plus attractif. Quand bien même les postes vacants seraient pourvus, on ne peut pas pousser les murs ; on aurait toujours des difficultés du fait de la surpopulation carcérale.

Le défaut d'attractivité tient non seulement au niveau des salaires, mais également aux rythmes de travail. Des structures fonctionnent encore en « 3 x 2 ». Les agents assurent alors un cycle de 13 heures à 19 heures le premier jour, de 8 heures à 18 heures le lendemain, et, le troisième jour, font ce qu'on appelle un « matin-nuit » : ils commencent à 7 heures du matin, s'arrêtent à 13 heures et reprennent à 18 h 45 jusqu'à 7 heures le lendemain matin. Tout cela en trois jours. Physiologiquement, ce n'est pas tenable, des rapports l'ont souligné. Pourtant, l'administration pénitentiaire fonctionne ainsi. Lorsque l'agent termine à 7 heures du matin – une « descente de nuit » –, il bénéficie d'un repos hebdomadaire et c'est reparti. Certains établissements travaillent même en « 4 x 2 » : on y travaille quatre jours d'affilée avec le « matin-nuit » en quatrième jour, puis une « descente de nuit » et un repos avant de repartir. Par ailleurs, les congés sont imposés. Vous voyez bien que l'on marche sur la tête.

Dans ces conditions, comment voulez-vous évaluer correctement les personnes détenues ? Une charte du surveillant acteur a été signée par le garde des Sceaux et les organisations représentatives des personnes de surveillance, mais elle n'est pas appliquée. Les surveillants sont censés pouvoir siéger dans les CPU ou dans les commissions d'application des peines (CAP), mais compte tenu du manque de personnel, ce n'est pas possible, pas partout. Certains établissements jouent le jeu, d'autres pas. Enfin, comme cela a été dit, les remontées des surveillants ne sont majoritairement pas écoutées. C'est pourtant la base de notre métier. Avec les années, vous sentez quand quelque chose va se passer : les surveillants savent « sentir » une tension sur une coursive, dans un secteur d'activité, etc., mais cela n'est pas pris en compte. Comme le soulignait notre collègue, qu'un autre incident ait pu se produire à Arles cinq mois après l'événement de mars 2022 est inadmissible. Cela montre qu'il y a encore des failles. Le drame d'Arles a eu lieu en zone d'activité. Il faut savoir que dans 90 % des cas, en cas d'absence au sein du personnel, c'est la zone d'activité qui est découverte. Celle-ci reste donc sans surveillance. Il s'y passe donc des choses qui ne sont pas contrôlées. Dans le cas d'Arles, on reproche un défaut de surveillance durant onze minutes. Or il faut savoir qu'ailleurs, dans certains cas, le défaut de surveillance en zone d'activité dure plusieurs heures.

S'agissant de la surpopulation, combien de détenus ont aujourd'hui réellement leur place dans les établissements pénitentiaires ? 50 ou 60 % des détenus consomment des cachets, consultent des psychiatres. Beaucoup sont en hospitalisation d'office, les places manquent en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Que doit-on faire des détenus avec des problèmes psychiatriques ? Il va falloir se poser cette question. Enfin, nous voyons aujourd'hui les effets pervers de la réforme de la libération sous contrainte entrée en vigueur depuis le 1er janvier. Au lieu de préparer les détenus à la sortie, ils sont placés en semi-liberté sans aucune contrainte. Le nombre de placements en semi-liberté a doublé, des personnes se retrouvent sous ce régime du jour au lendemain. Des travaux sont entrepris dans les quartiers de semi-liberté pour accueillir ces nouveaux détenus. Mais comme leur sortie n'a pas été préparée, ils vaquent à leurs occupations le jour, peuvent retomber dans la délinquance et donc revenir directement en maison d'arrêt. On marche sur la tête... On pourrait passer des heures à débattre sur les problèmes de la pénitentiaire. Merci de nous avoir reçus et de nous écouter.

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