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Intervention de Jean-Michel Dejenne

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Jean-Michel Dejenne, secrétaire général du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT :

Le renseignement pénitentiaire est en effet un service jeune au sein notre administration. Vous posez à juste titre la question de son efficacité. Elle est finalement assez difficile à mesurer pour nous. Ce sont sans doute les services partenaires qu'il faut interroger sur la plus-value qu'a apportée la professionnalisation du renseignement pénitentiaire pour la sécurité du pays. Est-elle venue combler un chaînon manquant ? Les délégués au renseignement pénitentiaire (DLRP) présents dans les établissements sont sous l'autorité de la cellule régionale du renseignement pénitentiaire (Cirp) et non sous celle du chef d'établissement, qui ne peut, par exemple, pas ordonner qu'on lui procure telle ou telle information. Le DLRP n'a pas à rendre compte de manière directe au chef d'établissement s'agissant des informations qu'il détient. Initialement, ce point a d'ailleurs été difficile à comprendre pour les chefs d'établissement car cela constituait une pierre de plus dans leur jardin. Au fil du temps, leur niveau de responsabilité est resté le même – il est quasiment total pour ce qui se passe au sein de l'établissement, ce qui peut les conduire devant l'Inspection, la justice, ou une commission d'enquête parlementaire –, tandis que leur champ de compétences s'est réduit depuis une quarantaine d'année. Les soins et la santé en détention sont entièrement passés dans le giron du sanitaire, par exemple ; d'autres compétences ont pu être privatisées par gestion déléguée : compétences techniques, maintenance, hôtellerie, restauration, informatique et formation professionnelle. Cela représente une masse d'emplois et de personnes qui ne sont plus sous la responsabilité hiérarchique directe et totale des directeurs d'établissements pénitentiaires, et le renseignement l'est à un titre encore plus sensible que les autres.

En ce qui concerne la radicalisation, la lutte contre ce fléau est assez récente, compte tenu de sa progression depuis 2015. À l'époque, le milieu pénitentiaire a été identifié comme une source de risques – j'en profite pour rappeler que le risque concerne aussi largement le milieu ouvert de l'administration pénitentiaire, où les personnes se déplacent librement. L'argent a en effet afflué, précédant les méthodes et la structuration. Des ressources que nous demandions depuis des années nous ont été accordées subitement sans que l'on sache vraiment comment les employer. Il a été fait appel à des acteurs dont l'activité n'était pas encore structurée : associations, psychologues, psychiatres, aumôniers musulmans n'étaient pas encore tout à fait prêts à répondre à nos demandes. À plusieurs reprises, notre syndicat a demandé à l'administration pénitentiaire de réaliser un bilan de cette politique contre la radicalisation violente qui n'a pas été réellement établi, ce que nous regrettons. Nous avons parfois eu des difficultés à obtenir des éléments quantitatifs et, plus encore, qualitatifs, sur les aumôniers qui sont intervenus depuis 2015 par exemple. Des mesures ambitieuses ont été mises en œuvre, comme des recherches-actions sur la prise en charge en milieu ouvert des personnes radicalisées, mais elles n'ont pas fait l'objet d'une présentation ou d'une diffusion par la suite à l'ensemble des services dans le but d'en tirer des modèles pour agir. Aujourd'hui, le dispositif est relativement robuste. Les résultats restent aléatoires en matière de prise en charge, mais depuis que ce dispositif a été mis en place, il n'y a pas eu d'attentat préparé depuis les prisons ou par les personnes suivies en milieu ouvert. On peut donc en déduire une relative efficacité depuis au moins six ans. Néanmoins, peut-être avons-nous renoncé à l'idée d'un contre-discours, une idée qui nous tenait à cœur en 2015-2016 mais dont la mise en pratique était très difficile, pour revenir à quelque chose qui relève finalement de notre travail quotidien : la prévention de la récidive quel qu'en soit le motif, l'important étant le résultat, qui consiste à amener des personnes à sortir d'une logique de contestation ou d'agression violente de la société. Nous travaillons sur plusieurs ressorts « motivationnels », en milieu ouvert comme en milieu fermé dans le cadre de la préparation à la sortie, sans être certain que les personnes concernées aient fondamentalement changé d'idéologie ou de croyance, mais en faisant au moins en sorte pour que cela n'entraîne plus d'actes de délinquance ou d'actes criminels.

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