Je partage les propos tenus par mon collègue, qui a rappelé des choses indispensables pour appréhender la situation générale de l'administration pénitentiaire. Au cours de certaines auditions et par voie de presse, monsieur le président, vous avez émis plusieurs hypothèses, dont celle d'une « cascade d'incompétences » ayant abouti à ce drame ; vous avez évoqué une possible préméditation et même un éventuel « crime d'État » dans une interview au Journal du dimanche il y a une quinzaine de jours .
Jamais une telle possibilité ne m'avait effleuré l'esprit. Ma stupéfaction sur ce point devrait à elle seule répondre à vos interrogations. Je peux l'affirmer devant vous : non, l'administration pénitentiaire n'a pas provoqué la mort ou organisé la mise en danger d'Yvan Colonna. Cela rejoint une question de la liste qui nous a été envoyée et qui nous a un peu surpris, relative à la réaction des personnels de direction lorsqu'ils ont appris ce qui s'était passé à la maison centrale d'Arles. Ma réponse est : la stupeur et l'effroi, comme tout un chacun, comme toute personne normalement constituée à l'annonce d'une telle nouvelle. En tant que professionnels, nous avons un sentiment d'échec comme après toute agression aussi grave avec des conséquences aussi tragiques. De ce point de vue, mon collègue l'a répété, l'année 2022 a été une année particulièrement noire pour le service public pénitentiaire avec huit détenus morts à la suite d'agressions. Je m'associe à ses propos concernant les familles des détenus disparus dans de telles conditions.
Mon collègue a rappelé également la difficulté du milieu dans lequel nous exerçons et des conditions de travail, difficulté parfois accrue, notamment en maison d'arrêt, par la surpopulation carcérale, dont les causes sont diverses. Les responsabilités, se situent parfois très en amont et peuvent notamment résulter de décisions politiques. La surpopulation carcérale finit par encombrer et occuper tous les niveaux de l'administration pénitentiaire, de l'échelon interrégional, dans les départements sécurité et détention, jusqu'à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), au détriment de certaines préoccupations et missions.
Sur les DPS, les textes ont été remis à jour et ne nous posent pas de problème majeur. Vous cherchez à savoir pourquoi le meurtrier d'Yvan Colonna, condamné pour terrorisme et classé DPS travaillait au service général de la maison centrale d'Arles. Comme vous le savez, l'administration pénitentiaire pratique l'individualisation de l'exécution de la peine, en cohérence avec l'individualisation du prononcé de la peine par l'autorité judiciaire. Le classement au travail fait partie de ces moyens d'individualisation : il contribue à une occupation, une discipline, et permet de fournir des revenus au détenu qui servent à l'indemnisation des victimes et parties civiles. Nous avons des instructions très fermes dans ce domaine. C'est pour ces motifs que Franck Elong Abé, condamné pour terrorisme et DPS, était classé au service général de la maison centrale d'Arles. Yvan Colonna, lui-même terroriste et classé DPS, était également classé à ce service général. Dans les deux cas, nous sommes dans sur une question d'individualisation de l'exécution de la peine. Nous pourrons y revenir, mais il s'agit d'un principe d'action quotidien de notre administration, qui guide les décisions que nous prenons en tant que personnels de direction.
Notre profession subit un niveau de contrainte et de contrôle très élevé. Nous sommes enserrés dans un écheveau de normes et de contrôles de notre hiérarchie, de l'autorité judiciaire, d'un certain nombre d'instances et d'autorités indépendantes. Nous ne les remettons pas en cause, mais ils pèsent sur nous au quotidien ; Nous sommes aussi sous le regard de la société civile, des médias, et des organisations professionnelles – notamment celles des personnels de surveillance qui savent nous dire de façon souvent peu amène ce qu'elles pensent des décisions que nous prenons au jour le jour.