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Intervention de Guillaume Vuilletet

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 16h05
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Vuilletet, rapporteur de la commission des lois :

L'ambition de ce projet de loi nous rassemble tous, puisqu'il s'agit de préparer, dans les meilleures conditions possible, l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques, que notre pays accueillera l'année prochaine. Cet événement sans précédent dans notre histoire récente fera de la France, et plus particulièrement de Paris, le centre du monde entre le 26 juillet et le 8 septembre 2024. La Seine sera le berceau de la cérémonie d'ouverture, ce qui, selon le ministre de l'Intérieur, ne s'est pas vu depuis 3 000 ans. J'ai beau chercher la référence historique qui pourrait l'avérer, je crois qu'elle n'existe pas – c'est dire l'ancienneté de l'événement !

Nous allons devoir relever un défi inédit et colossal durant les 500 jours qui nous séparent du début des Jeux. Je sais que le Gouvernement, notamment Mme la ministre des Sports, s'y consacre pleinement, en mobilisant l'ensemble des parties prenantes pour en assurer la réussite. Une première loi, promulguée le 26 mars 2018, a déjà permis de prendre les mesures nécessaires à l'adaptation des règles relatives à l'aménagement du territoire, à l'urbanisme, au logement et aux transports, au regard des contraintes liées à l'organisation des JOP.

Adopté par le Sénat il y a près d'un mois, le projet de loi que nous allons examiner s'inscrit dans une logique d'adaptation de notre droit aux enjeux spécifiques et exceptionnels que notre pays aura à gérer dans un an et demi. Si les Jeux rendent nécessaires ces évolutions législatives, certaines d'entre elles présentent un caractère expérimental, en ce qu'elles constituent à ce jour autant de dérogations au droit commun, qu'il nous appartiendra de pérenniser ou pas à l'issue des JOP.

En tant que rapporteur de la commission des lois, je concentrerai mon propos sur le chapitre III, qui contient une dizaine d'articles relatifs à la sécurité.

La garantie de la sécurité des Jeux est indispensable à leur bon déroulement, alors que se profilent nombre de menaces, allant du risque terroriste aux accès de violences susceptibles de survenir à l'occasion des grands événements sportifs. Si la sécurité ne suffit pas pour assurer la réussite des Jeux, l'insécurité ne peut que les détruire.

Depuis 2017, les moyens budgétaires dévolus à la sécurité ont massivement augmenté, avec une hausse cumulée de plus de 10 milliards d'euros et la création de 10 000 postes supplémentaires dans la police et la gendarmerie. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), entrée en vigueur le 24 janvier dernier, prolonge cette trajectoire : elle renforce considérablement les moyens humains, matériels et juridiques dont doivent disposer l'ensemble de nos forces de l'ordre afin d'accomplir leurs missions. Pour autant, il convient aujourd'hui d'ajuster notre cadre légal, afin de disposer des outils nécessaires pour garantir la sécurité des Jeux et, plus généralement, la sécurité des grandes manifestations sportives, culturelles ou récréatives au cours des prochaines années.

Je ne reviendrai pas en détail sur l'ensemble des dispositions prévues par les articles 6 à 13 du projet de loi, car nous aurons l'occasion d'en discuter mercredi prochain lors de l'examen des amendements par la commission des lois. Je souhaite cependant insister sur quelques sujets qui revêtent une importance particulière au regard des interrogations légitimes qu'ils suscitent.

Si l'article 6 met en conformité le régime de la vidéoprotection avec les règles protégeant les données à caractère personnel, l'article 7 vise à expérimenter dans l'espace public, et suivant la seule finalité de sécuriser des grands événements sportifs, récréatifs ou culturels, l'utilisation de traitements algorithmiques afin de détecter et de signaler en temps réel des événements susceptibles de menacer la sécurité des personnes.

Je voudrais revenir un moment sur la notion d'expérimentation que nous employons ici et qui n'a pas la même signification que dans le langage commun. Ce télescopage des significations peut susciter une ambiguïté qu'il convient de lever, sans pour autant épuiser le débat. Pour le législateur, expérimenter, c'est mettre en œuvre des dispositions dérogatoires pour vérifier si elles permettent d'atteindre l'objectif visé par le droit de façon plus efficace, avant de décider de les maintenir ou non. En l'espèce, à l'article 7, il s'agit d'utiliser des algorithmes permettant de détecter des signaux avant-coureurs de situations dangereuses prédéterminées – essentiellement des mouvements de foule et des abandons d'objets. Nous reviendrons la semaine prochaine sur les garanties que cela suppose en termes de libertés publiques, mais accordons-nous d'ores et déjà sur le fait qu'il ne s'agit que de cela.

Que l'algorithme soit apprenant est consubstantiel à son usage. Pour autant, il ne s'agira pas de transformer cet événement en laboratoire. On ne testera pas d'innovation, mais on mettra en œuvre des produits qui répondront à un cahier des charges et qui auront été certifiés.

Que les industriels du secteur en attendent des retours d'expérience est banal – cela vaut pour la plupart des prestations qui seront effectuées pendant cet événement, quelle que soit leur technicité. C'est une forme d'héritage économique qui concernera l'ensemble de la période : l'expérience acquise dans la gestion des transports sera aussi utile que celle de l'usage des algorithmes.

Cela étant, ces précisions n'épuisent pas le débat quant à la décision d'utiliser cette technologie afin d'assurer la sécurité publique. L'usage de caméras dites intelligentes questionne inévitablement l'équilibre habituel – oserais-je dire structurel – entre préservation de l'ordre public et protection des droits et libertés. C'est évidemment au législateur de débattre et de décider dans quelles conditions et selon quelles modalités il convient de recourir à ces techniques. Il me paraît ici opportun de s'écarter de toute posture dogmatique. Une première posture reviendrait à sacraliser l'intelligence artificielle comme l'alpha et l'oméga de la sécurité du XXIe siècle, en niant les dérives que son utilisation pourrait entraîner. La posture inverse consisterait à rejeter en bloc toute évolution technologique, en prétextant d'emblée de son inefficacité et de sa nocivité.

La technique n'a pas vocation à remplacer les femmes et les hommes qui assurent notre sécurité. Elle doit, au contraire, être mise à leur service, afin de les aider, dans le respect de nos principes fondamentaux, à accomplir leurs missions. Concrètement, appeler l'attention d'un opérateur vidéo sur un événement anormal, que ce soit un objet abandonné, le port d'une arme ou la chute d'une personne, peut faciliter et accélérer l'intervention des forces de sécurité, là où l'œil humain n'aurait pas forcément été en mesure de détecter immédiatement et à lui seul ces situations.

À cet égard, le dispositif prévu par l'article 7, tel qu'il est issu des travaux du Sénat, atteint un équilibre qui me semble satisfaisant. Il entoure le recours, le développement, l'autorisation, la mise en œuvre et l'évaluation de ces traitements algorithmiques de nombreuses garanties propres à assurer un contrôle permanent de ces dispositifs, notamment sous l'égide de la Cnil.

J'ai conscience que nous sommes sur une ligne de crête qui suppose de fixer un cadre suffisamment strict pour prévenir les éventuels abus et dérives, mais aussi suffisamment souple pour préserver l'opérationnalité de ces technologies, et donc leur efficacité au service de nos concitoyens.

Les vingt-cinq auditions que j'ai conduites ces dernières semaines en tant que rapporteur ont montré à quel point l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité est un sujet incontournable que nous devons prendre à bras-le-corps dès aujourd'hui, tant à l'échelle nationale qu'au niveau européen. Ce débat est d'autant plus nécessaire que ces technologies ne vont pas disparaître juste parce que nous ne voudrions pas en parler. D'autres nations ayant une autre conception de l'information et des libertés publiques continuent leur chemin en la matière ; elles peuvent prendre une prééminence dangereuse à tout point de vue. Je crois préférable d'encadrer ces usages pour mieux les contrôler. Le président Houlié a évoqué une piste de réflexion, qui consisterait à débattre de lois technoéthiques de la même façon que nous discutons déjà de lois bioéthiques : nous pourrions ainsi refixer, à dates régulières, l'équilibre nécessaire entre la technologie, la société et le droit.

L'article 10 prévoit d'élargir le champ des enquêtes administratives devant être réalisées préalablement à l'organisation d'un événement sportif ou d'une fan zone. Il contribuera ainsi à une meilleure sécurisation de ces événements.

Plusieurs dispositions contenues aux articles 11 à 13 visent à renforcer la sécurité aux abords et au sein des enceintes sportives. Les violences commises dans les stades sont un fléau qui doit évidemment être endigué en mobilisant les outils préventifs, voire répressifs, les plus pertinents. Mais le tout-répressif a aussi ses limites, et la surenchère de mesures pénales n'est pas une solution magique permettant de résoudre tous les problèmes. En s'écartant des principes de nécessité et de proportionnalité, elle risquerait, au contraire, de se résumer à de simples mesures d'affichage qui desserviraient finalement la cause qu'elles prétendent défendre. Certaines modifications adoptées par le Sénat semblent ainsi devoir être corrigées, dans le respect des équilibres initiaux du texte. Je déposerai plusieurs amendements visant à garantir de façon optimale ces équilibres, en apportant les précisions qui s'imposent ainsi que les corrections et compléments que j'estime nécessaires à l'efficacité des mesures soumises à notre examen.

Au-delà des questions de sécurité, le projet de loi prévoit d'autres dispositions utiles, nécessaires à la bonne organisation des Jeux. L'article 15 permettra le maintien en fonction du délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques 2024, dont la compétence est unanimement reconnue, jusqu'à la fin de cet événement. En assurant la mutualisation des moyens de Solideo et de Grand Paris Aménagement, l'article 16 facilitera la reconversion des ouvrages olympiques à l'issue des Jeux et leur insertion dans un projet urbain durable. Quant à l'article 18, il favorisera le développement des taxis accessibles aux personnes en fauteuil roulant, avec l'objectif de disposer de 1 000 taxis adaptés en Île-de-France d'ici à 2024.

Vous le voyez, ce projet de loi est déterminant pour entamer de façon optimale la dernière ligne droite de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques.

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