En ce qui concerne le plan de transformation de la DGA, il ne s'agit pas d'une transformation pour le principe, ou pour elle-même mais bien une transformation fondée sur le constat que le monde évolue. Il nous faut donc changer nos processus, nous questionner mais aussi rester lucides, afin de ne pas casser ce qui fonctionne, comme les programmes d'ensemble Horus, Cœlacanthe et Hermès. Cependant, il nous a semblé légitime de pouvoir les afficher comme une unique unité organisationnelle, qui sera intégrée à la nouvelle direction des opérations, du MCO et du numérique (DOMN).
Nos missions conditionnent notre organisation. Or les missions de la DGA avaient été attribuées pour la dernière fois en 2009, par un décret. Il nous a donc semblé utile de les questionner. Parmi ces missions, nous souhaitons faire apparaître de manière explicite le maintien du fondement de la dissuasion nucléaire et le développement de notre capacité, y compris en matière de cyber.
En ce qui concerne les objectifs, il s'agit d'abord de renforcer la direction fonctionnelle, le pilotage global et la coordination de la dissuasion au sein du ministère des armées. De plus, en créant une direction de la préparation de l'avenir et de la programmation, nous chercherons à améliorer notre façon d'anticiper. Ensuite, il nous faudra participer de manière active au renseignement stratégique. Enfin, il s'agira de renforcer notre capacité à contribuer au niveau interministériel à l'adaptation de la doctrine et à l'articulation entre nucléaire civil et nucléaire militaire.
Si nous réaffirmons le fondement de la dissuasion nucléaire, il faut l'incarner de manière plus lisible et visible. À ce titre, plusieurs transformations doivent avoir lieu sur le plan organisationnel. Le poste de chargé de mission, occupé aujourd'hui par l'ingénieur général François-Xavier Dufer, deviendra un poste d'adjoint, qui me sera directement rattaché et pourra agir sur les trois grands programmes d'ensemble mais aussi sur le contrôle gouvernemental, les études techniques et tout ce qui a trait à la dissuasion.
Il s'agit de s'intéresser aussi à la BITD, qui se trouve confrontée à des défis, notamment en matière d'attaques cyber et de renseignement. Nous avons donc décidé de pouvoir orienter, soutenir et protéger cette BITD, en créant une direction de l'industrie de défense, qui sera doté d'un responsable du suivi de la BITD dissuasion, notamment pour veiller à la protection des sous-traitants de rangs deux et trois. Il s'agit là d'un élément concret, qui nous permettra de mener des actions directes.
Ces changements organisationnels ne sont pas révolutionnaires et relèvent plutôt d'une adaptation et d'une consolidation. Ils soulignent le caractère central de la dissuasion pour la DGA, qui doit aller plus loin dans la réalisation de cette mission.
J'en viens aux questions de technologie, que j'apprécie beaucoup. En ce qui concerne l'hypervélocité, je répondrai que c'est un domaine dans lequel Mme Parly a annoncé des travaux pour la défense. Au-delà de ce que cela pourrait apporter à la dissuasion, c'est une démarche évidente lorsque l'on observe l'évolution des performances des moyens de défense sol-air. Nous observons d'ailleurs que la Russie emploie des missiles hypersoniques pour frapper des centres stratégiques en Ukraine.
Néanmoins, nous nous intéressons à l'évolution des menaces et avons lancé des programmes pour explorer de potentielles évolutions de nos propres systèmes. Ainsi, les démonstrations de briques technologiques pour planeurs hypersoniques – Véhicules Manœuvrant eXpérimentaux (VMaX) – seront bientôt entreprises. Il a fallu, pour ce faire, construire une base de lancement de fusées-sondes dans notre centre d'essais de Biscarosse.
Il faut aussi considérer ce qu'entraînerait une généralisation des armes hypervéloces pour la résilience des systèmes d'armes. À ce titre, je rappelle que notre doctrine de dissuasion repose sur le principe d'une dissuasion du faible au fort et pas sur une parité nucléaire, ni sur le fait de posséder un bouclier anti-missiles.
Nous avons également le devoir de maintenir une veille permanente dans les domaines de l'intelligence artificielle et du quantique. À cet égard, nous considérons aujourd'hui qu'il n'y a pas d'« effet falaise » : notre technologie et notre doctrine ne se retrouveraient pas entièrement mises en défaut par des progrès réalisés dans ces domaines.
Cependant, nous restons attentifs. À titre d'exemple, nous veillons à ce que nos systèmes de transmissions ne soient pas vulnérables à un déchiffrement par un ordinateur quantique. De la même manière, nous prenons en compte ce que l'intelligence artificielle pourrait permettre, notamment en matière de précision des systèmes d'armes. En ce qui concerne la capacité à mieux traiter l'information pour obtenir une meilleure précision en matière d'alerte avancée, nos compétiteurs comme nos adversaires utilisent déjà ce type de techniques, sans que cela ne remette en cause les fondements de notre dissuasion. Nous devons néanmoins poursuivre cette veille active en matière d'innovation, en gardant à l'esprit l'horizon 2050 ou 2060.
Vous avez évoqué les fonds marins et l'invulnérabilité de nos SNLE. Nous cherchons à améliorer notre connaissance des technologies de surveillance utilisées par les autres nations. Cette démarche, pilotée par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), concerne tous les dispositifs – fixes ou non – qui permettraient de détecter nos sous-marins.
Je sais que certaines tribunes ont évoqué le fait que nos sous-marins pourraient être détectés par des câbles ou d'autres dispositifs. Ce n'est pas le cas. D'un point de vue technologique, de telles détections ne sont pas crédibles au plan pratique ; ce serait comme de chercher ses lunettes sous un lampadaire parce qu'il y a de la lumière. Il faudrait peupler massivement l'ensemble des fonds marins de systèmes d'écoute passive pour parvenir à trouver des sous-marins aujourd'hui dilués dans la profondeur des océans. Le même raisonnement s'applique aux systèmes à base de neutrinos : la taille des détecteurs les rend incapables de détecter la chaufferie nucléaire d'un sous-marin compte tenu de la taille de la zone de recherche.
Toutes les nations cherchent à densifier leurs systèmes de surveillance, ce mouvement va dans le sens de l'Histoire. Toutefois, ce phénomène ne remet pas en cause l'invulnérabilité de nos SNLE ni leur liberté de manœuvre. Il ne nécessite pas d'adaptation capacitaire mais rend essentielle la poursuite d'études en la matière, à titre conservatoire.
En ce qui concerne l'ASN4G, la phase actuelle de préparation et de dérisquage doit permettre une mise en service opérationnel, sous Rafale au standard F5, dans le courant de la décennie 2030-2040. Le missile a été conçu en natif, pour qu'il puisse disposer d'une capacité d'évolution des performances au fil de sa vie opérationnelle, notamment pour tirer parti des capacités d'emport accrues du NGF (New Generation Fighter), dans le cadre du système de combat aérien du futur (Scaf). Ce missile à superstatoréacteur est hypersonique, seule voie technologique permettant un niveau d'ambition suffisant compte tenu de la densification des menaces et de l'évolution de la situation géostratégique.
En ce qui concerne la compatibilité avec le NGF, le missile sera intégré sur le NGF dix à quinze ans après sa mise en service opérationnel sous le standard F5 du Rafale, ce qui nous oblige à faire preuve pour cet appareil d'une certaine exigence en matière d'ambition, pour que sa capacité de pénétration reste crédible, au moins jusqu'en 2060.
S'agissant de la BITD et de sa pérennité, j'ai évoqué la création d'une direction de l'industrie de défense, qui permettra aussi de rapprocher le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique (S2IE) du service de la qualité, qui évalue la production industrielle.
Notre but est de conduire une politique industrielle de bout en bout, pour mieux accompagner nos entreprises sur trois axes : l'orientation stratégique ; les performances et la qualité ; la protection en matière d'intelligence économique et d'autonomie stratégique. À ce titre, je rappelle que nous participons de manière active aux instances interministérielles veillant à la protection des entreprises, notamment grâce au dispositif « investissement étranger en France » (IEF), qui nous permet d'être vigilants par rapport aux sous-traitants.
En termes de ressources humaines et de maintien des compétences, le modèle de compétence technique de la DGA est aujourd'hui robuste même si, compte tenu de la compétition sévissant dans le monde économique, il faut rester vigilant quant à la possibilité de captation de nos talents, en raison notamment de l'attractivité du domaine civil des nouvelles énergies et de l'énergie nucléaire.
Depuis deux ans, nous préservons nos compétences techniques dans le cadre de mesures d'abord couvertes par les ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM) adoptés pour renforcer la maîtrise d'ouvrage de la DGA au sein de la dissuasion. Ainsi, les équivalents temps plein (ETP) dédiés à ce domaine doivent augmenter de 30 par an entre 2021 et 2025, soit 150 ETP supplémentaires.
Nous assurons un suivi précis du parcours professionnel de ces personnels. Pour la fonction technique, 39 ETP supplémentaires ont été affectés entre 2021 et 2022 à des postes liés à la dissuasion.
La formation est également renforcée et nous avons accru de 30 % le nombre d'ingénieurs militaires suivant le cursus atomique de Cherbourg. D'autre part, nous nous apprêtons à généraliser la sensibilisation de l'ensemble de nos ingénieurs à la question nucléaire, pour faciliter la prise en compte du sujet dans les programmes à venir.
Cette activité programmatique à venir sollicitera fortement nos ressources, qu'il s'agisse des ressources d'expertise ou des personnels des centres d'essais. Ce phénomène pose un problème de compétitivité et notamment de rémunération. En effet, la DGA est en compétition avec l'ensemble des acteurs économiques du domaine et un décrochage subsiste entre les salaires proposés à nos ingénieurs, civils ou militaires, et les salaires pratiqués dans le domaine civil.
Nous veillons, notamment dans le cadre de cette filière sensible, à adopter une approche hybride, qui consiste à ne pas seulement raisonner en termes de nombre d'employés mais de considérer aussi les enveloppes budgétaires, afin de pouvoir différencier les rémunérations en fonction de la technicité, de la tension et de la spécificité des métiers considérés. Nous portons une attention particulière à cette question et nous avons lancédes chantiers liés aux ressources humaines de la DGA, dans tous les domaines, pour faciliter notre adaptation aux évolutions de notre environnement.
En ce qui concerne la coopération, notamment européenne, il n'appartient pas au DGA de se prononcer à ce sujet puisqu'il s'agit d'une prérogative du Président de la République. Dans le cadre d'une déclinaison progressive, il s'agit d'abord de faire en sorte que nos partenaires comprennent la grammaire nucléaire. Dans ce domaine, nous procédons, aux côtés de l'état-major des armées, en concertation avec les autres ministères – avec le ministère des affaires étrangères en particulier – et avec l'état-major particulier du Président de la République.
Si la DGA participe à l'ensemble de ces réflexions, elle a la responsabilité d'adapter ses capacités en termes de système d'armes, de structuration de la BITD et de flux budgétaires et financiers. Elle prendra toute sa part à l'ensemble des actions en cours. Certaines coopérations ont déjà été développées, notamment avec les Britanniques au moyen d'installations conjointes comme Épure, qui relève du CEA.
La question de la dissuasion élargie ne relève pas de mes prérogatives.
L'impact de la construction des EPR2 et des nouveaux SMR sur la production des chaufferies K22 constitue un sujet assez classique pour la DGA. Nous l'avions déjà anticipé avec le CEA et l'ensemble des acteurs du nucléaire tels que Framatome, TechnicAtome ou Aubert & Duval. Nous cherchons à caler le flux des différentes productions et fabrications – cuves de réacteurs, pompes ou systèmes logistiques –, en restant compatibles avec les besoins du nucléaire civil. Nous avons déjà engagé des négociations avec nos partenaires pour nous assurer que ce sera bien le cas. Tous les décalages et adaptations qui pourraient advenir dans le cadre de la prochaine LPM prennent en compte le maintien de ces compétences et l'adhérence avec ces différents sujets. Je finirai sur un point positif : ces enjeux nous permettent de maintenir les compétences et la compétitivité de notre BITD dans la durée, ce à quoi la DGA se doit aussi de veiller.
J'en viens à la guerre des mines. Lorsqu'on parle de dissuasion, on pense aux SNLE, au porte-avions ou aux Rafale, oubliant un peu que lorsqu'un sous-marin sort du goulet de Brest et qu'il se dilue, il est accompagné par d'autres éléments comme des sous-marins nucléaires d'attaque, des frégates anti-sous-marines ou des bâtiments de guerre des mines. Il s'agit d'un sujet très important. Le système de guerre des mines qui doit remplacer nos chasseurs de mines tripartites – bâtiments intéressants mais un peu vénérables – retiendra dans son premier incrément toutes les capacités nécessaires pour garantir notre faculté à faire sortir nos SNLE du goulet de Brest et à leur permettre de se diluer dans l'océan.