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Intervention de Emmanuelle Maitre

Réunion du mercredi 18 janvier 2023 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique :

Je suis chercheuse depuis 10 ans à la FRS. Nous travaillons essentiellement sur des appels d'offres pour réaliser des études et des analyses, ce qui ne nous empêche pas de participer aux débats publics par nos écrits et nos interventions.

Au sujet de la Finlande, participer à une alliance nucléaire n'est pas la même chose que d'accueillir des armes nucléaires sur son territoire. Pour l'instant, seuls cinq pays de l'OTAN accueillent des armes nucléaires sur leur territoire, de façon non officiellement reconnue. Le secrétaire général de l'OTAN a précisé qu'il n'était pas question d'accroître le nombre de pays qui pourraient potentiellement accueillir des armes nucléaires. La Finlande ne pose donc pas de difficultés.

En outre, si le déploiement d'armes nucléaires dans de nouveaux pays était envisagé, nous serions dans des situations tellement critiques que les questions de législation nationale et d'opinion publique pourraient rapidement évoluer.

Concernant le respect des normes de non-prolifération et le fonctionnement du TNP, nous sommes dans une période de crise sur la logique de non-prolifération et de désarmement. L'administration Biden aux États-Unis a encore la volonté de faire vivre ce régime et de proposer éventuellement de participer à des accords multilatéraux ou bilatéraux. Néanmoins, des discussions au sein des pays dotés apparaissent, y compris en Europe, sur la pertinence d'accroître les volumes d'arme nucléaire, ce qui n'était pas arrivé depuis la guerre froide.

Nous pouvons estimer que cette logique ne s'oppose pas au régime de non-prolifération. En effet, il est possible d'accroître le stock, tout en négociant des mesures de maîtrise des armements avec ses adversaires. D'ailleurs, certains observateurs estimeront que pendant la guerre froide et la crise des euromissiles, le déploiement de nouvelles armes a justement permis un progrès majeur en matière d'Arms Control, avec l'adoption du traité FNI. Néanmoins, ce contexte reste relativement défavorable.

En outre, le contexte est celui de la confrontation entre des États dotés (et leurs alliés) et les États qui souhaitent un désarmement plus radical. Ces deux communautés d'États, de plus en plus polarisés, peinent à trouver un terrain d'entente.

Des efforts sont tout de même entrepris, y compris par la France, pour faire vivre les engagements, tels que les traités d'interdiction des essais nucléaires ou encore les démarches de l'AIEA sur la lutte contre la prolifération. Des efforts sont également effectués pour proposer des mesures de réduction des risques stratégiques (mesures de communication, accroissement de la confiance, etc.).

Une conviction existe sur la capacité de la France à respecter ses engagements internationaux et à investir pour les faire vivre.

La question est complexe au niveau de l'Union européenne. Des actions pragmatiques sont menées, par exemple sur le TICE. L'Union européenne investit également largement pour aider les États à mettre en œuvre leurs obligations de non-prolifération.

Sur le plan politique, les États de l'Union européenne sont divisés sur la question du TIAN. Cette absence de consensus empêche des prises de position fortes sur ces sujets.

Nous avons eu peur, pendant assez longtemps, de ce type de débats éthiques, notamment en période de crise internationale. Or, des avis inverses semblent apparaître, en estimant que ces débats crédibilisent davantage la dissuasion, avec des populations informées de la doctrine et qui acceptent le risque.

Au sujet de la rationalité et du calcul « invérifiable » du ratio risque-avantage, la question est de savoir si tous les dirigeants sont réceptifs à une forme de logique. Ces débats sont évidemment anciens. Certains acteurs ont toujours été comme potentiellement irrationnels. La détention du nucléaire dans ces circonstances était donc considérée comme inacceptable. Certains pays, comme la Corée du Nord, parviennent tout de même à installer le nucléaire. Dans ce cas, nous devons accepter que cette logique de dissuasion se mette en place. Pour l'instant, les dirigeants, jugés « irrationnels », semblent avoir tout de même intégré cette logique.

Une autre question concernait la possibilité de trouver d'autres sortes d'actions plus éthiques ou efficaces que la réponse nucléaire. L'OTAN et les États-Unis estiment que la mise en place d'une réponse conventionnelle forte crédibilise la dissuasion, l'objectif étant d'éviter que le président d'un pays n'ait que le choix entre anéantir son ennemi avec le nucléaire ou ne rien faire. Construire, au sein de l'OTAN, une réponse conventionnelle forte permettrait de crédibiliser la dissuasion. Une présidence saine d'esprit ne pourrait pas aller directement sur le terrain de la dissuasion nucléaire en cas de conflit.

Concernant les autres modes d'action, ces réflexions sont intéressantes et prendront mécaniquement de l'ampleur. En effet, certaines actions sont susceptibles d'engendrer des dommages considérables, avec un pouvoir de dissuasion fort, complémentaire à celui du nucléaire. Or, ces mesures alternatives ne parviennent pas à s'imposer, car les armes nucléaires ont, en quelque sorte, le poids que nous leur donnons. Tant que des dirigeants, comme ceux de la Corée du Nord ou de la Russie, estimeront que les armes nucléaires sont la clé de voûte de leur sécurité, ils inciteront les autres pays à poursuivre dans ce chemin. Par ailleurs, il ne semble pas exister de concept d'arme permettant d'envisager une destruction aussi immédiate, visible et évidente que celle engendrée par les armes nucléaires. La particularité de la dissuasion nucléaire a été cette menace absolument terrible et la peur qu'elle crée. Cette dissuasion fonctionne probablement avec cette capacité à terrifier les dirigeants. Hiroshima et Nagasaki ont frappé les esprits d'une manière particulièrement spécifique.

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