Intervention de Jean-Marie Collin

Réunion du mercredi 18 janvier 2023 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Marie Collin, porte-parole d'ICAN France :

Je tiens à souligner mon incompréhension face au caractère confidentiel de cette audition et de l'ensemble de ce cycle sur la dissuasion qui se tient à huis clos, contrairement à celui de 2014. Cette décision est gênante pour le débat démocratique. Il est en effet fâcheux de constater qu'un sujet aussi important, avec des implications budgétaires sur des décennies, qui engagent la sécurité des générations actuelles et futures, soit à ce point écarté du débat public. Demander aux citoyens de ce pays de s'interroger sur des sujets de défense est compliqué, si nous leur confisquons le droit d'entendre librement ces auditions.

La dissuasion nucléaire constitue la menace d'employer des armes de destruction massive. Ces armes sont pensées et calibrées pour frapper des populations civiles, engendrant des conséquences humanitaires catastrophiques et allant ainsi à l'encontre des principes de base du droit international humanitaire. Les acteurs politiques et militaires, qui mettent en œuvre cette politique de dissuasion à travers des objectifs de crédibilité militaire, budgétaire et politique, sont conscients et acceptent de renoncer au respect du droit international humanitaire. Cette stratégie accepte de mettre en péril la population française.

La clé de voûte de la politique de défense de la France est donc, pour notre campagne, en dehors de toutes règles éthiques. Effectivement, un déshonneur existe dans la dissuasion, contrairement à ce que prétend le chercheur britannique Lawrence Freedman, car ce système n'est pas un mécanisme de prévention de guerre. Au contraire, l'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie montre que la possession d'un arsenal nucléaire permet à ce régime de continuer à commettre des crimes contre les populations civiles.

Au titre de l'éthique, le président Macron estime, dans son discours à l'École de guerre du 7 février 2020, qu'« une démocratie doit se poser la question des finalités de sa politique de dissuasion nucléaire porteuse de dilemmes moraux et de paradoxes ». Or, je ne vois pas quand et comment notre démocratie s'interroge honnêtement et véritablement sur cette question ?

Nous savons que les choix sont déjà faits. Le président Macron a décrit ce que devrait contenir la LPM en matière de forces de dissuasion, dans son discours de Toulon.

Notre campagne s'inscrit dans une approche humanitaire et sécuritaire, et non morale ou religieuse. Néanmoins, ces auditions ne sont pas égalitaires en matière d'expertise entre des acteurs favorables au désarmement, et ceux pro-armes de destruction massive.

Enfin, notre démocratie s'interroge-t-elle, depuis la ratification du traité de non-prolifération nucléaire en 1992, sur le respect de ses obligations juridiques internationales ? Apparemment non, puisque le principe de la « bonne foi », tel qu'inscrit dans l'article 6 du TNP, n'est pas respecté. Le processus de renouvellement des forces nucléaires est inscrit depuis 2014 dans les LPM, avec la volonté de conserver cette force jusqu'en 2090.

Finalement, la définition d'éthique pour la France sur ce sujet de la dissuasion n'est rien d'autre qu'un renoncement à agir. Le président Macron l'a défini ainsi. Nous n'avons, selon lui, « pas d'autre choix que de nous confronter à l'imperfection du monde et d'affronter avec réalisme et honnêteté les problèmes qu'il nous pose ».

Les armes nucléaires et sa politique de dissuasion sont interdites depuis le 22 janvier 2021, avec l'entrée en vigueur du traité des Nations Unies sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN). La notion d'éthique constitue un des éléments clés de la mise en œuvre de cette nouvelle approche du désarmement. Le Saint-Siège a d'ailleurs été l'un des États moteurs dans ce domaine.

L'éthique se retrouve dans le processus de réalisation des conférences humanitaires sur les conséquences de toute détonation d'armes nucléaires, qui se sont étalées entre 2011 et 2016, ainsi que dans le processus de négociation à l'ONU en 2017. La négociation du TIAN a donc demandé plusieurs années et non uniquement trois mois. En effet, ces processus, qui n'excluaient aucun État, étaient les plus inclusifs et démocratiques possibles. La France a d'ailleurs toujours choisi de laisser son siège vide à l'ONU.

De nombreuses résolutions, adoptées depuis 2015 à une large majorité des membres de l'ONU, ont été adoptées pour soutenir la démarche du traité sur l'interdiction des armes nucléaires, notamment des résolutions portant le titre : « Impératif éthique pour un monde exempt d'armes nucléaires ». Ces résolutions, votées par environ 140 États, notent des « impératifs éthiques pour le désarmement nucléaire et la nécessité pressante d'instaurer un monde exempt à jamais d'armes nucléaires qui serraient un bien public des plus précieux servant les intérêts de la sécurité nationale et collective ».

Adopté par 122 États à l'ONU le 7 juillet 2017, le TIAN est entré en vigueur le 22 janvier 2021. Le régime actuel du droit international ne laisse plus de place à l'utilisation légale des armes nucléaires, comme à la mise en œuvre d'une politique de dissuasion. Ce traité compte à ce jour 68 États parties, et 92 États signataires. Il faut remarquer parmi ces États la présence :

d'États de l'Union européenne : Autriche, Irlande, Malte ;

d'États du territoire européen : Saint-Marin, Saint-Siège, Liechtenstein ;

d'États qui ont eu des armes nucléaires sur leur territoire : Afrique du Sud, Cuba, Kazakhstan ;

d'États ayant un partenariat avec l'OTAN : Autriche, Irlande, Kazakhstan, Malte, Nouvelle-Zélande, Mongolie ;

ou encore de nombreux États membres de la Francophonie comme le Bénin, le Cambodge, les Comores, la Dominique, la République Démocratique du Congo, les Seychelles, le Viet Nam.

Traité de désarmement, le TIAN est aussi nommé traité de désarmement humanitaire, car il s'appuie sur le droit international humanitaire. Ce droit vise à protéger les civils (et d'une manière générale toutes les personnes non combattantes) et repose sur trois principes complémentaires : les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution. Ces trois principes ne peuvent pas être respectés en cas d'utilisation de l'arme nucléaire.

Le préambule du traité mentionne que « les États parties prennent note des impératifs éthiques pour le désarmement nucléaire », soulignant ainsi la volonté exprimée à de nombreuses reprises, entre 2010 et 2016, de respecter les obligations et engagements clairs en vertu du droit international ou encore de la charte des Nations Unies. L'éthique se retrouve également à travers l'article 1 qui qualifie toutes les interdictions. Selon cet article, il est, notamment, interdit en toutes circonstances d'employer ou de menacer d'employer des armes nucléaires. La dissuasion est donc interdite.

Au G20 du mois de novembre 2022, les 20 nations ont estimé que « l'emploi et la menace de l'emploi de l'arme nucléaire étaient inacceptables ». Cette logique renvoie au TIAN et à la pensée du Pape. Ce dernier, lors de l'adoption du traité, avait en effet indiqué que « les armes atomiques n'engendraient qu'un sentiment trompeur de sécurité et s'opposaient ainsi aux notions d'éthique et de solidarité ».

Parmi les interdictions se trouve également celle « d'aider, d'encourager ou d'inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à se livrer à une activité interdite ». Il est ainsi interdit de financer des entreprises fabriquant des systèmes d'armes nucléaires ou équipements associés conçus pour mettre en œuvre les armes nucléaires ou pour assurer leur pérennité. Les banques sont donc directement visées par cette interdiction, comme l'a souligné le président de la République dans son discours de l'École de guerre.

De plus en plus de banques ont décidé d'appliquer ce traité, ayant l'obligation de respecter le droit international et en raison du caractère éthiquement sensible de tels investissements. En effet, investir dans des entreprises qui produisent de tels systèmes d'armes est incompatible avec les méthodes d'investissement durables et donc l'éthique mise en place par ces institutions financières à travers leurs responsabilités sociétales des entreprises. Comme pour les armes chimiques, biologiques ou les mines antipersonnel, de nombreuses banques n'investissent plus dans les arsenaux nucléaires et montrent ainsi le chemin que les banques françaises devront emprunter.

La première réunion des États parties au TIAN s'est tenue en juin 2022 à l'ONU et avait pour objectif la prise de décisions clés pour assurer la vie juridique du traité. Nous pouvons noter la présence de nombreux États observateurs, tels que l'Allemagne ou l'Australie.

Outre l'annonce d'un plan d'action, une déclaration forte a été adoptée où il est réitéré « les impératifs moraux et éthiques qui ont inspiré et motivé la création du traité et qui, aujourd'hui, animent et guident sa mise en œuvre ». La seconde réunion aura lieu cette année, à la fin du mois de novembre, au siège des Nations Unies.

En juin dernier, 56 parlementaires français ont signé une tribune dans le Monde pour que la France participe, au titre d'État observateur, à la réunion des États parties du TIAN. La France, qui est connue à travers le monde pour avoir réalisé de nombreuses actions positives, ne peut pas continuer à nier l'existence de ce traité. La France doit être présente comme État observateur lors de cette seconde réunion.

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