Je vous remercie pour la qualité de ce beau débat démocratique que nous venons d'engager sur la meilleure façon de protéger nos compatriotes des effets de l'inflation.
S'agissant des prévisions, je m'exprime avec humilité et prudence car notre monde est particulièrement instable. Nous élaborons différents scénarios, puis nous choisissons un scénario de référence, mais il est possible que ce dernier soit démenti par la réalité en raison des événements géopolitiques et des décisions que prendra Vladimir Poutine au sujet du gaz. Je le répète, une coupure brutale et totale de l'approvisionnement de l'Europe en gaz russe aurait un impact économique lourd sur la croissance dans la zone euro, en particulier pour notre premier partenaire commercial, l'Allemagne. Si nous devons prendre cet élément en considération, notre scénario de référence reste le même que celui du Fonds monétaire international (FMI), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de nombreux observateurs, à savoir celui d'une décroissance progressive de l'inflation à partir du milieu ou de la fin de l'année 2023. En effet, nous ne subirons pas chaque année une hausse de 100 % du prix du pétrole et nous cherchons, avec d'autres États, des solutions alternatives aux énergies fossiles russes. Par ailleurs, les perturbations affectant les chaînes d'approvisionnement devraient s'atténuer, notamment du fait de la réouverture du marché chinois.
Je veux cependant être très clair : à la sortie de cette crise inflationniste, le niveau moyen d'inflation sera environ deux fois plus élevé que celui que nous connaissions avant la crise du covid, car certains facteurs structurels ne changeront pas. Je citerai deux raisons qui me paraissent absolument décisives. D'une part, nous faisons le choix d'une régionalisation de la mondialisation : nous avons décidé de produire sur le territoire français ou européen un certain nombre de biens industriels que nous importions jusque-là, parmi lesquels les semi-conducteurs ou les batteries de voitures électriques. Cela va dans le bon sens mais cette production est, de fait, inflationniste. D'autre part, la transition énergétique que nous avons engagée est très coûteuse – sans doute même beaucoup plus que nous ne l'imaginons. Nous devons construire de nouvelles infrastructures nécessaires à la production d'énergie nucléaire et d'énergies renouvelables, nous devons décarboner un certain nombre de sites industriels, en utilisant notamment l'hydrogène, et cela renchérit considérablement les coûts de production.
Le niveau des salaires est une vraie question, que je n'évacue pas d'un revers de la main car c'est probablement l'attente la plus forte de nos compatriotes. Je le répète : toutes les entreprises qui disposent des marges de manœuvre pour augmenter les salaires doivent le faire – c'est d'ailleurs dans leur intérêt, car les problèmes de recrutement rencontrés dans tout le territoire montrent que l'attractivité des entreprises tient avant tout au niveau de salaire qu'elles proposent. Les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration ont consenti des hausses de salaire importantes, sans lesquelles ils n'auraient pas eu la possibilité de recruter. Certaines entreprises, notamment les plus petites d'entre elles – les PME et TPE –, arguent du fait qu'elles ne peuvent se projeter au-delà d'une ou deux années et refusent donc d'accorder des augmentations salariales qui pourraient menacer leur survie dans deux ou trois ans. Je les comprends parfaitement : rien ne garantit à un petit entrepreneur du bâtiment dans l'Eure, qui gagne des marchés aujourd'hui, que la situation sera aussi bonne dans deux ans. Cependant, nous avons mis à la disposition des entreprises tous les instruments nécessaires pour garantir, dans des conditions économiques viables, une meilleure rémunération des salariés. J'invite notamment les employeurs à utiliser la PEPA, défiscalisée, dont le montant peut atteindre 6 000 euros et qui permet d'accroître les salaires sans risquer de fragiliser l'entreprise ou de menacer son avenir à long terme. J'ajoute que les dispositifs d'intéressement et de participation ont été massivement simplifiés et que nous avons supprimé la taxe de 20 % sur l'intéressement pour les PME.
Je vous rejoins, monsieur le président – cela nous arrivera sans doute rarement –, sur la question des minima de branche. Il n'est pas acceptable qu'un si grand nombre de minima de branche soient inférieurs au salaire minimum : de ce fait, les salariés de ces branches embauchés au niveau du SMIC – c'est le minimum légal – poursuivent leur carrière sans augmentation salariale, ce qui les décourage et les maintient dans des conditions de vie déplorables. C'est pourquoi le ministre du travail a formulé plusieurs propositions, que la Première ministre a rappelées et qui doivent permettre de remédier à cette difficulté sociale.
Je le répète : les entreprises, notamment celles qui bénéficient de la situation actuelle, doivent porter leur part du fardeau. Je les incite vivement à redistribuer les profits qu'elles réalisent au bénéfice de nos compatriotes. Nous ferons les comptes d'ici à la fin de l'année.
Je crois évidemment à la politique fiscale que nous avons conduite sous l'égide du Président de la République. La baisse des impôts de production se traduit par une réindustrialisation de fait de notre pays : nous créons enfin des emplois industriels et nous rouvrons des usines. Pour continuer dans cette voie, il ne faut pas que nos impôts de production soient sept fois plus élevés que ceux de nos voisins allemands. Je rappelle que le taux de l'impôt sur les sociétés a été ramené, sous mon autorité et celle du Président de la République, avec l'accord de la majorité précédente, de 38 % à 25 % entre 2017 et 2022. Cela n'empêche pas les recettes de l'IS d'être plus élevées en 2022 qu'en 2017, pour la simple raison que la baisse du taux a permis aux entreprises de dégager des bénéfices plus importants.
S'agissant des fonctionnaires, la revalorisation du point d'indice s'ajoute à des mesures catégorielles et à des mesures techniques de revalorisation des traitements.
Vous connaissez ma position relative au blocage des prix des carburants. Au bout du compte, il y a toujours quelqu'un qui paie. Si nous décidons de plafonner le prix du litre à 1,40 ou 1,50 euro, ou encore de supprimer toute taxe au-delà de ce montant, le coût de la mesure sera supporté soit par l'État, soit par les fournisseurs, lesquels décideront d'arrêter de nous livrer du pétrole puisqu'ils préféreront le vendre ailleurs. Au fond, cela revient à choisir entre l'effondrement de nos finances publiques – la suppression de toute taxe pour ramener le prix du carburant à 1,50 euro par litre coûterait 50 milliards d'euros par an – et la formation de files d'attente à l'entrée des stations-services du fait des pénuries de carburant. Je ne crois ni au plafonnement des prix, ni à la suppression de toute taxe sur les carburants ; je crois bien davantage à la proposition que nous faisons.
Puisque notre objectif est d'accélérer la décarbonation de l'économie, il serait surprenant de subventionner les énergies carbonées : il ne convient donc pas de réduire les recettes fiscales liées aux énergies fossiles. En revanche, et bien que le ministre délégué chargé des comptes publics soit très attaché au principe de non-affectation des taxes, nous pourrions faire une exception pour celles portant sur les énergies fossiles, dont les recettes pourraient être fléchées vers le financement de la transition écologique et énergétique – j'ai déjà formulé à plusieurs reprises cette proposition juste et efficace, et je suis tout à fait prêt à travailler dans ce sens.
Monsieur le rapporteur général, je veux vous rassurer s'agissant de la hausse des taux. Ne cédons pas à une forme de surenchère verbale : nous avons certes atteint une cote d'alerte, mais il n'y a pas d'inquiétude à avoir au sujet du financement de la dette française sur les marchés. Le taux d'emprunt à dix ans, qui était monté à plus de 2 %, est redescendu aux alentours de 1,7 %, et notre spread avec l'Allemagne est maîtrisé. Toutefois, à partir de maintenant, chaque euro compte, et nous devons veiller à la manière dont nous orientons nos finances publiques car tout peut déraper très vite. Les marchés seront extraordinairement attentifs aux décisions que nous prendrons. Je rappelle également que 10 % de la dette française sont indexés sur l'inflation, et que les deux tiers de ces 10 % sont indexés sur le niveau d'inflation moyen de la zone euro, lequel est plus élevé que l'inflation française. Ainsi, lorsque l'inflation est forte, non seulement les taux augmentent, mais la charge de la dette progresse également très fortement : c'est pourquoi 12 milliards d'euros supplémentaires ont été inscrits à ce titre dans le PLFR. Je le répète : toutes ces évolutions dépendent très fortement des décisions que vous prenez, en tant qu'élus du peuple, en matière de finances publiques.
Nous estimons que l'ensemble des mesures prises en 2021 et 2022 permettront de maintenir, en moyenne, le pouvoir d'achat de nos compatriotes. Si je me méfie comme de la peste des statistiques et des moyennes, qui sont généralement à des années-lumière des situations personnelles réellement vécues, je me réjouis tout de même de cette évaluation statistique moyenne, selon laquelle l'ensemble des mesures adoptées préserveront le pouvoir d'achat des Français.
S'agissant enfin des 12,7 milliards d'euros venant abonder le compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État, je n'ai pas le droit de vous préciser le montant exact qui sera consacré à la nationalisation d'EDF, puisqu'il s'agit d'une opération en cours – les choses seront précisées dès que l'opération aura été bouclée. Je redis cependant que ces 12,7 milliards ne serviront pas uniquement au financement de la nationalisation d'EDF, mais également à d'autres opérations qui pourraient s'avérer nécessaires au cours de l'année.