Mes questions et mes observations ne surprendront pas Bruno Le Maire : je les faisais précédemment au fond de la salle.
Tout d'abord, selon votre analyse macroéconomique, nous sommes au sommet du pic inflationniste et il y a toutes les raisons de penser que la courbe va décroître à partir de 2023. Sur quoi fondez-vous cette analyse ? Si vous considérez que l'inflation provient principalement de la guerre en Ukraine – même si ce n'est pas ce que vous avez dit –, j'infirme pour ma part cette idée : des logiques spéculatives sont à l'œuvre, qui profitent de la guerre mais sont indépendantes de celle-ci.
Si je vous interroge sur ce point, c'est parce que l'augmentation des prix est forte et qu'elle continue : elle a atteint 5,9 % en juin et devrait approcher les 7 % en septembre. En moyenne annuelle, elle serait ainsi de 5,5 % en 2022, alors que les salaires n'augmenteront que de 3,6 % en moyenne – et cette moyenne cache de fortes disparités. Pour remédier à cette situation, vous demandez aux chefs d'entreprise d'augmenter les salaires et vous dites que le bilan sera fait à la fin de l'année. Nous ne sommes pas sûrs que les salaires vont augmenter, mais entre-temps les aides auront été attribuées aux entreprises, sans contrepartie. Vous savez que cette méthode a constitué, à mes yeux, l'un des problèmes majeurs des cinq dernières années. C'est la raison pour laquelle je préconise plutôt, avec les groupes qui ont proposé mon élection à la tête de cette commission, de porter le SMIC à 1 500 euros net et d'organiser une conférence annuelle du travail cadrée, rassemblant les partenaires sociaux et permettant d'augmenter les salaires.
Comment pensez-vous, concrètement, faire en sorte que les salaires augmentent, qu'il s'agisse aussi bien de leur part nette que de leur part socialisée ?
Le pouvoir d'achat des Français a diminué de 1,5 % au premier trimestre. Or, comme à chaque fois, les mesures que vous proposez ne sont que des coups de pouce ponctuels au pouvoir d'achat, à l'image du chèque énergie et de l'indemnité inflation. Ce ne sont pas des dispositions permettant d'améliorer structurellement le partage des richesses.
Avec ce plan d'urgence sociale, 55 milliards d'euros environ sont mis sur la table. Je regrette que, plutôt que de continuer à appauvrir l'État en diminuant de 10 milliards les impôts de production, on n'en ait pas profité pour récupérer de l'argent, notamment auprès de tous ceux qui ont largement profité de la crise. Vous le savez aussi bien que moi : alors que tous les groupes du CAC40 ont reçu des aides publiques en 2021, les deux tiers d'entre eux ont battu des records en matière de profits et leurs actionnaires vont recevoir sous forme de dividendes et de rachats d'actions plus de 80 milliards d'euros au titre de l'année 2021. Il y aurait donc eu matière à créer une taxe pérenne – c'est ce que nous souhaitions – ou, à tout le moins, exceptionnelle.
Par ailleurs, la plupart des mesures que vous proposez ne permettent pas de compenser l'inflation. J'en veux pour preuve les aides sociales et l'aide personnalisée au logement (APL). C'est vrai également pour les fonctionnaires : certes le point d'indice va augmenter, mais comme il avait été gelé pendant des années, cette hausse sera de toute façon inférieure à l'inflation, et les fonctionnaires continueront à perdre du pouvoir d'achat.
Vous nous dites que l'augmentation des loyers va être bloquée à 3,5 %. La lecture que je fais de cette mesure est tout autre : votre proposition signifie concrètement que les loyers pourront connaître jusqu'à 3,5 % d'augmentation, tandis que la hausse de l'APL – que tout le monde ne touche pas, d'ailleurs – sera bien inférieure, ce qui se traduira par une perte de quasiment 200 euros. Le logement est pourtant considéré, dans la plupart des foyers modestes, comme le problème numéro un.
Pour ces raisons, il y a donc une disparité entre, d'un côté, ce que vous laissez augmenter ou ne freinez pas suffisamment et, de l'autre, les aides sociales que vous mettez sur la table.
Il en va de même en ce qui concerne le carburant et l'énergie – je m'en tiendrai au premier pour ne pas aborder l'ensemble des questions. Pourquoi, monsieur le ministre, ne bloquez-vous pas le prix du carburant, dès lors que la remise de quelques centimes au litre consentie par l'État – dont vous avez dit, d'ailleurs, que vous alliez progressivement la flécher d'une autre manière – est avalée par la hausse ? Qui plus est, les raffineurs, comme TotalEnergies, continuent à s'enrichir sans qu'il leur soit demandé de contribuer à l'effort national.