Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du jeudi 7 juillet 2022 à 19h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

Tout d'abord, j'adresse mes félicitations au président Coquerel pour son élection à la tête de la commission des finances. J'adresse également mes félicitations à toutes les députées et à tous les députés qui ont été élus et qui siègent dans cette prestigieuse commission.

Avec le ministre délégué chargé des comptes publics, nous avons présenté le projet de loi de finances rectificative pour 2022 et le projet de loi relatif au pouvoir d'achat il y a quelques instants en Conseil des ministres. Avant d'en venir plus spécifiquement au PLFR, qui nous occupe aujourd'hui, vous me permettrez de rappeler la stratégie globale que le Gouvernement a adoptée depuis plusieurs mois pour lutter contre l'inflation.

Première remarque, cette situation d'inflation est exceptionnelle : c'est la première fois depuis de nombreuses années que l'Europe est confrontée à une augmentation aussi forte et aussi rapide des prix à la consommation.

Nous sommes le premier État en Europe à avoir pris les mesures nécessaires pour contenir ce choc inflationniste. Dès l'automne 2021, nous avons gelé les prix du gaz. Sans cette disposition, ils auraient augmenté de 50 %. Nous avons plafonné la hausse du prix de l'électricité à 4 %, faute de quoi celui-ci aurait augmenté de 35 %. Nous avons complété ces mesures par une remise sur les carburants de 18 centimes par litre, par une revalorisation de 10 % du barème kilométrique de l'impôt sur le revenu et par un chèque énergie exceptionnel d'un montant de 100 euros, versé à près de 6 millions de Français. Pourquoi ces mesures ? Tout simplement parce que 60 % de l'inflation que nous subissons sur le territoire français est importée et liée au prix de l'énergie. Mettre en place un bouclier énergétique, c'est donc combattre l'inflation. La preuve en est que, même si le niveau de l'inflation est toujours trop élevé, nous avons le taux le plus faible de tous les pays de la zone euro : il se situe aux alentours de 5 %, alors qu'il approche voire dépasse les 10 % ailleurs dans la zone et que dans d'autres pays d'Europe, notamment les États baltes, il se situe entre 15 % et 20 %.

Nous sommes désormais au cœur du pic inflationniste – je le dis même s'il convient de garder beaucoup d'humilité face à ce qui peut se passer dans les mois à venir. Par ailleurs, il importe de bien comprendre à la fois le mécanisme qui est en jeu et le point où nous en sommes.

L'inflation a été amorcée par la vigueur de la reprise économique au lendemain du covid-19. Toutes les entreprises, que ce soit aux États-Unis, en Chine ou en Europe, ont demandé des matières premières, de l'énergie, du gaz, du pétrole, des semi-conducteurs – bref, les moyens de fonctionner pour répondre à une forte demande.

La deuxième raison de l'inflation est évidemment la crise en Ukraine, qui a commencé au début de l'année, et dont l'acteur principal est l'un des plus grands producteurs d'énergie au monde : la Russie.

S'ajoutent à cela les difficultés sur le marché chinois et la relocalisation des chaînes de valeur – que je revendique, mais qui coûte plus cher : produire des batteries électriques en France, par exemple, est plus coûteux que de les importer de Chine.

Tous ces éléments nous ont amenés à une inflation de l'ordre de 5 %. J'ai toujours dit que le plus dur était devant nous : désormais, nous y sommes. Le pic inflationniste, c'est maintenant ; c'est donc maintenant qu'il faut régler le problème et apporter des réponses complémentaires à celles que nous avions déjà apportées avec le Président de la République à l'automne dernier.

Ce que nous anticipons – mais je le dis avec beaucoup de prudence –, c'est que le choc inflationniste pourrait décroître à partir de l'année 2023, avec une incertitude majeure que je tiens à souligner et qui tient aux décisions que prendra Vladimir Poutine en matière de gaz.

Quelle est ensuite la philosophie de ce paquet visant à soutenir le pouvoir d'achat ? Trois principes politiques sont au cœur des décisions que nous avons prises.

Le premier est l'efficacité. C'est la raison pour laquelle il vous est proposé de maintenir l'intégralité du bouclier énergétique jusqu'à la fin de l'année 2022. Nous serions ainsi le seul État de la zone euro à geler intégralement le prix du gaz, alors même que nous faisons face à son explosion, et à plafonner à 4 % l'augmentation des tarifs de l'électricité, alors même que nous sommes aussi confrontés à une flambée de ces derniers. Je confirme, pour rassurer ceux qui ont exprimé des craintes à ce propos, qu'il n'y aura aucun rattrapage pour le consommateur début 2023, même si les prix continuaient à augmenter dans les semaines qui viennent.

Le deuxième principe est la justice. Cela consiste à protéger ceux qui n'ont absolument aucune arme pour se défendre contre l'inflation. C'est le cas des retraités, par exemple : si vous ne revalorisez pas les pensions de retraite, chaque point d'inflation supplémentaire est autant de pouvoir d'achat perdu. Nous revalorisons donc les pensions de 4 %, après une revalorisation de 1,1 % au début de l'année 2022. C'est la même chose pour les fonctionnaires, ce qui explique que nous revalorisions le point d'indice. Il en va de même pour les familles : d'où la revalorisation des prestations familiales – car il est évident que lorsque l'on a deux, trois ou quatre enfants, le coût de l'alimentation est d'autant plus pénalisant pour la vie quotidienne.

Le troisième principe est la préservation des finances publiques. Nous ne voulons pas financer ce paquet par la dette. Nous souhaitons donc qu'il le soit par les rentrées fiscales de l'année 2022. Grâce aux mesures de relance que nous avons prises, l'activité a été forte en 2021, notre économie résiste et donc les recettes d'impôt sur les sociétés sont bonnes. Les cotisations sociales sont elles aussi plus élevées, parce que nous avons créé des emplois. Ces recettes permettent de financer le paquet en faveur du pouvoir d'achat sans alourdir le déficit ni la dette publique. C'est le cœur de notre politique : pour redistribuer des richesses, il faut d'abord en créer.

Quelles sont ensuite les grandes lignes de ce paquet ? Je rappelle que nous avons déjà engagé 23 milliards d'euros en 2021 et 2022 pour protéger nos compatriotes, notamment à travers le bouclier énergétique. Nous ajoutons, avec ce paquet, 20 milliards d'euros de mesures nouvelles, dont 10 milliards figurent dans le projet de loi de finances rectificative qui vous est présenté.

Ce sont d'abord les mesures d'indexation dont j'ai parlé : indexation des retraites et revalorisation du point d'indice pour 3,7 milliards d'euros, revalorisation des allocations et des prestations sociales pour 2 milliards d'euros.

Ce sont ensuite des aides ciblées spécifiques qui visent les postes de dépenses quotidiennes les plus lourds pour nos compatriotes.

Le premier de ces postes est le loyer. Après une longue consultation de l'ensemble des acteurs concernés, nous avons décidé de plafonner à 3,5 % l'indice de revalorisation des loyers, faute de quoi la revalorisation aurait été de l'ordre de 6 %. Entre le 1er octobre 2022 et le 1er octobre 2023, les loyers ne pourront donc pas augmenter de plus de 3,5 % ; chez nos voisins européens, la hausse sera de près de 10 %. Cette mesure procure donc une protection massive et efficace.

Le deuxième poste de dépenses, dont vous avez évidemment tous entendu parler dans vos circonscriptions, ce sont les carburants. La hausse des prix des carburants pénalise principalement tous ceux qui n'ont pas d'autre choix que d'utiliser leur voiture pour aller travailler, qu'il s'agisse de salariés, d'agents publics ou de travailleurs indépendants, sans oublier les aides-soignants et les infirmiers à domicile. Tous ces gens nous disent qu'ils ne peuvent plus aller travailler, que cela leur coûte trop cher. C'est inacceptable.

Nous avions engagé une remise de 18 centimes d'euros par litre, qui avait le mérite d'être massive mais qui couvrait tout le monde indifféremment. Nous vous proposons de la supprimer progressivement : elle pourrait passer à 12 centimes en octobre, 6 centimes en novembre avant de s'éteindre définitivement en décembre. À la place, dès le 1er octobre, nous ouvririons un guichet à la direction générale des finances publiques où pourrait venir s'inscrire, sur une base déclarative – par souci de simplification – toute personne utilisant sa voiture pour aller travailler, y compris les alternants.

Nous proposons d'aller jusqu'au cinquième décile – mais je suppose que des discussions auront lieu à ce propos –, ce qui permettrait de couvrir 11 millions de foyers, soit la moitié des travailleurs salariés utilisant leur véhicule. Cette mesure toucherait donc les catégories populaires et les classes moyennes. L'indemnisation serait de 200 euros pour les premier, deuxième et troisième déciles et de 100 euros pour les quatrième et cinquième déciles, là aussi dans un souci de justice. Nous prévoyons une majoration de 50 % pour tous ceux dont le lieu de travail est situé à plus de 30 kilomètres du lieu d'habitation et qui ont donc des dépenses encore plus importantes.

Le troisième poste de dépenses majeur est l'alimentation. Nous proposons un chèque alimentaire de 100 euros par foyer et de 50 euros par enfant, qui concernera les 9 millions de foyers les plus modestes.

La troisième grande ligne du paquet consiste à protéger tous ceux qui travaillent : revalorisation de 4 % de la prime d'activité ; baisse des cotisations sociales pour les indépendants, qui touchera 2 millions de personnes ; triplement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA), défiscalisée, qui sera portée à 6 000 euros ; simplification de l'intéressement et de la participation, de façon à inciter les entreprises à utiliser davantage ces mécanismes de répartition de la valeur et de rémunération des salariés.

Je souhaite insister sur deux principes qui me paraissent importants. Le premier est la préservation des finances publiques. Nous avons atteint la cote d'alerte car les conditions de financement ne sont plus les mêmes. Par conséquent, chaque euro compte. Nous voulons tenir la trajectoire qui nous permettra de revenir en dessous des 3 % de déficit en 2027, contre 6,5 % en 2021 et 5 % en 2022.

Le second principe est que le fardeau doit être partagé équitablement. Les entreprises doivent en prendre leur part. Certaines le font par des augmentations de salaire. Toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. Par ailleurs, toutes celles qui bénéficient de la situation actuelle parce qu'elles sont dans des secteurs porteurs, tels que celui des hydrocarbures et celui du transport, doivent redistribuer une partie de leurs profits à nos compatriotes. Nous ferons les comptes d'ici à la fin de l'année pour nous assurer que les entreprises ont bien fait le nécessaire.

Pour finir, je dirai quelques mots du PLFR lui-même, pour que chacun mesure bien la répartition des crédits. Ce projet de loi de finances rectificative autorise l'ouverture de 44 milliards d'euros de nouveaux crédits. Il se décompose en quatre volets.

Le premier concerne la lutte contre l'inflation – je ne reviens pas sur les mesures que je viens de présenter : la moitié d'entre elles environ figurent dans ce texte, pour un montant total de 9,3 milliards d'euros.

Deuxième volet majeur : le PLFR prévoit des crédits pour la nationalisation d'EDF et pour toute autre opération qui pourrait s'avérer nécessaire dans le contexte économique très particulier où nous sommes. Nous avons donc décidé d'inscrire 12,7 milliards d'euros au compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État.

Troisième volet : le texte prévoit des ouvertures de crédits pour diverses mesures de soutien à l'économie – concernant notamment l'alternance et l'emploi –, pour près de 10 milliards d'euros.

Enfin, le PLFR matérialise de manière très claire que nous avons atteint la cote d'alerte pour les finances publiques, puisque nous sommes obligés d'ouvrir 12 milliards d'euros de crédits pour faire face à l'augmentation de la charge de la dette liée à l'inflation en France et dans la zone euro. On ne saurait mieux dire la nécessité de compter chaque euro.

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