On aime tous les belles histoires, particulièrement celle du faible qui affronte le fort et qui, parce qu'il arrive notamment à fédérer autour de lui d'autres personnes, parvient finalement à l'emporter. C'est un scénario de film qui fait du bien, mais ce que nous nous apprêtons à voter aura un impact sur la vraie vie de nos concitoyens. David contre Goliath : il y a peu de combats plus célèbres dans notre imaginaire.
Nous avons introduit l'action de groupe dans notre droit en 2014. Elle est la procédure autour de laquelle les Français, en tant qu'individus, peuvent se rassembler afin d'obtenir réparation pour les dommages qu'ils ont subis. Le dispositif actuel ne répond cependant pas aux attentes de nos concitoyens : trente-deux actions de groupe ont été lancées en neuf ans, dont seulement six ont pu aboutir de manière positive – un éléphant qui accouche d'une souris. À qui la faute ? Ou plutôt, à quoi cette situation est-elle due ? Un périmètre d'application restreint à cinq champs ? Une qualité à agir réservée aux seules associations agréées, qui ne sont qu'une quinzaine ? Sans doute un peu à tout cela.
Il me tient à cœur de saluer la volonté de longue date des rapporteurs d'avancer sur la question de l'action de groupe. Ils ont notamment mené une mission d'information riche en enseignements et en idées, dans le but de faire évoluer le dispositif et le rendre plus simple, plus concret et plus accessible aux Français. L'Assemblée est souvent perçue comme la chambre de l'invective, du panache, de la joute verbale. C'est oublier que derrière les déclarations à la tribune et dans l'hémicycle, il y a un travail de tous les instants des députés, qu'ils soient en commission, en circonscription ou en mission. Et ce travail n'a jamais autant de valeur que lorsqu'il trouve sa traduction dans un véhicule législatif, comme aujourd'hui.
L'inscription de ce texte à l'ordre du jour du temps transpartisan nous montre que nous pouvons nous réunir autour de cet objectif commun : améliorer la vie des Français. Pour cela, il nous faut revenir au réel. Prenons un cas simple, celui d'une compagnie aérienne ayant vendu plus de places qu'il n'y en a dans son avion. Celui-ci décolle, laissant sur le tarmac des voyageurs qui manqueront un rendez-vous important ou rentreront trop tard le soir pour voir leurs enfants. En 2019, 551 600 passagers ont vu leur vol annulé en France. Entre mai et août 2022, 38 % des 28 millions de voyageurs prenant l'avion ont subi un retard ou une annulation. Plus d'un voyageur sur trois a connu un préjudice que, dans la grande majorité des cas, il a supporté seul – avec un petit geste de ci, de là, de la part de la compagnie aérienne. Au fond, le préjudice est causé par l'appât du gain qui a conduit la compagnie à vendre probablement plus de billets qu'elle ne peut embarquer de passagers. Nous connaissons cette expérience, nous l'avons vécue. Une telle situation n'est pas compréhensible ni normale.
Il faut donc donner aux consommateurs les outils nécessaires pour faire valoir leurs droits. La présente proposition de loi, dont nous devons encore travailler certains aspects, ouvre de nouvelles perspectives. C'est ce qu'il faut saluer : l'ouverture de la qualité à agir et celle du champ d'intervention sont des éléments clefs pour que nos concitoyens puissent faire valoir leurs droits. C'est une vaste réforme dont nous ouvrons la porte, celle d'une justice qui ne soit pas celle des années cinquante, quatre-vingt-dix ou deux mille mais bien celle du XXI
Nous serons vigilants s'agissant des réserves émises par le Conseil d'État dans son avis sur la proposition de loi, rendu début février. Les points qu'il a soulevés – dont certains ont conduit à des modifications du texte lors de l'examen en commission – font toujours l'objet de notre attention. Il s'agit de ne pas engendrer une complexité inutile, tout en faisant preuve de la finesse suffisante pour certains types de contentieux, comme ceux liés aux dommages corporels. Il s'agit aussi d'ouvrir au mieux la possibilité pour nos concitoyens de recourir à l'action de groupe, sans que les entreprises ou l'État ne soient assaillis de procédures – certaines fondées, d'autres abusives – intentées par des victimes ou des concurrents étrangers. Nous devons poursuivre le travail de consolidation du texte entamé en commission et, à ce titre, nous soutiendrons les amendements déposés tant par les rapporteurs que par le Gouvernement, ainsi que ceux d'autres membres de cette assemblée ayant à cœur d'apporter des solutions à nos concitoyens.
Le code Napoléon, qui imprègne aujourd'hui encore notre droit, a eu quatre auteurs. Je veux ici rappeler les mots de l'un d'eux au sujet des contrats et obligations contractuelles : « Il serait difficile d'espérer que l'on pût encore faire des progrès dans cette partie de la science législative. » Plus de deux cents ans plus tard, la représentation nationale prouve encore une fois que, pour que le citoyen puisse faire valoir ses droits, elle peut améliorer le droit. Nous ne serons pas d'accord sur tout – le contraire serait étonnant dans cet hémicycle – mais laissons sa place à un débat constructif. Nous savons tous quels débats ont agité notre assemblée mais sur ce texte, notre groupe sera constructif.