Dans une société où le besoin de justice est de plus en plus criant, où les rapports de force sont de plus en plus déséquilibrés, il est de notre devoir de nous assurer que chacun, qu'il soit pauvre ou fortuné, faible ou puissant, puisse faire valoir ses droits. C'est dans ce but que l'action de groupe a été introduite dans notre code civil en 2014. Pour rappel, l'action de groupe est une procédure collective qui permet à des consommateurs victimes d'un même préjudice, de la part d'un même professionnel, de se regrouper et d'agir en justice. Le Parlement a cependant corseté cette action juridique dans des règles procédurales afin d'éviter les dérives du modèle anglo-saxon dont les actions de groupe, connues sous le nom de class actions, sont inspirées.
Le moins que l'on puisse dire est que, de ce point de vue, l'objectif a été atteint : on n'observe nulle dérive – mais malheureusement, nulle efficacité non plus. L'action de groupe à la française n'est pas à l'origine de l'engorgement des juridictions. Peu utilisée, peu efficace, elle n'est pas parvenue à trouver sa place dans notre droit. Certes, l'action de groupe a permis de faire condamner le laboratoire Sanofi en janvier 2022 dans l'affaire de la Dépakine, après que plusieurs patientes ayant pris ce médicament pendant leur grossesse ont constaté des malformations et des retards de développement chez leur enfant. Mais l'affaire est toujours pendante en appel, et il s'agit à ce jour de la seule action de groupe ayant abouti à un résultat favorable en première instance, sur les quelque trente-deux intentées depuis l'entrée en vigueur de la loi.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, dont l'objectif est d'ouvrir plus largement la possibilité d'intenter une action de groupe, nous paraît donc tout à fait bienvenue. Le texte examiné en commission avait d'ailleurs recueilli la majorité des suffrages. L'action de groupe, telle que prévue dans cette version, peut constituer un outil procédural efficace dans de nombreuses affaires. Je pense notamment aux situations d'entente illégale dans la grande distribution, particulièrement dans les outre-mer, confrontés aux monopoles et oligopoles : chez nous, comme vous le savez, ces situations aggravent la cherté systémique de la vie. Je pense également au chlordécone. Dans cette affaire – ou plutôt dans ce scandale –, les causes et les effets sont établis, les victimes sont identifiées mais, malheureusement, les responsabilités peinent à être assumées. Je me permets une digression pour vous dire à ce sujet que si la solution n'est pas judiciaire, elle peut être législative et doit être politique. Mais il faut que justice soit rendue pour toutes les familles victimes et pour tous les morts du chlordécone.
L'action de groupe renforce les possibilités d'accès au juge. Cette procédure opère un rééquilibrage des forces et permet à la justice d'être rendue pour les plus faibles, là où elle profite habituellement aux plus forts. Aussi ne suis-je pas particulièrement surprise de constater que le Gouvernement a déposé une vingtaine d'amendements visant à vider cette proposition de loi de sa substance. Pire encore, ces différents amendements produiraient l'effet inverse de ce qui était initialement recherché. Conditions cumulatives et plus nombreuses, exigences superfétatoires, seuil rehaussé, amende minorée : les amendements du Gouvernement rendraient l'action de groupe encore plus impraticable et moins efficace qu'elle ne l'était auparavant. Auriez-vous souhaité supprimer cette procédure que vous ne vous y seriez pas mieux pris. Quels puissants lobbys ont bien pu œuvrer entre le passage du texte en commission et son arrivée en séance pour qu'il soit menacé d'être à ce point réécrit, dépouillé ? Doit-on comprendre que les entreprises du CAC40 s'inquiètent de voir prospérer l'État de droit en France ?
Vos manœuvres, voyez-vous, démontrent une fois encore que vous êtes le gouvernement des puissants, des riches et du capitalisme. Vous incarnez tout ce que notre groupe GDR combat. C'est pourquoi nous voterons cette proposition de loi à la condition que notre assemblée rejette les amendements du Gouvernement pour adopter la version examinée en commission.