Vous l'aurez compris : une lutte sincère contre la récidive nécessite d'abord que ceux qui prétendent lutter contre elle ne cherchent pas, in fine, à s'en repaître.
La majorité présidentielle, depuis 2017, et le garde des sceaux que je suis, depuis 2020, menons une politique de répression de la délinquance et de lutte contre la récidive qui nous conduit à mettre de côté toutes les idéologies et tous les dogmatismes pour ne nous en tenir, dans les faits, qu'à une unique considération : notre action fonctionne-t-elle ? Notre approche est ici la même : les peines planchers que vous souhaitez partiellement rétablir dans l'article 1er , supprimé par la commission des lois, ont-elles été utiles pour lutter contre la récidive ? La réponse est claire, nette et sans appel : elles n'ont pas permis, ni de près ni de loin, de mieux réprimer la délinquance ou de mieux lutter contre la récidive. Je l'ai dit et je pense l'avoir démontré : je suis un pragmatique, pas un dogmatique ni un idéologue. Si les peines planchers fonctionnaient, je soutiendrais cette proposition sans l'ombre d'une hésitation.
Il se trouve néanmoins qu'en matière de peines planchers, nous disposons déjà des résultats d'une expérimentation grandeur nature menée sous le quinquennat du président Sarkozy. Le périmètre n'est certes pas le même, madame la rapporteure, mais la philosophie est exactement identique. Les peines planchers n'ont pas entraîné un recours plus important aux peines d'emprisonnement en matière délictuelle, lesquelles étaient déjà très majoritaires dans les condamnations pour des délits commis en récidive. Ainsi, en matière délictuelle, le taux de prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme pour un majeur en récidive était de 54,3 % pour la période 2001-2005, de 55,7 % pour la période 2006-2010, de 57,7 % pour la période 2011-2015 et de 69 % pour la période 2016-2020. Pardon de le dire ainsi, mais je pourrais m'arrêter là.
Je veux néanmoins aller encore plus loin, en ajoutant que l'abrogation des peines planchers n'a pas entraîné une moindre sévérité des juridictions pénales dans les quanta de peine infligés. Elle a même été suivie d'un maintien à un niveau élevé du quantum moyen ferme prononcé contre les récidivistes et d'un accroissement sensible de ce quantum pour les non-récidivistes. Ainsi, en matière délictuelle, le quantum moyen de l'emprisonnement ferme pour un majeur en récidive était de huit mois et demi alors que les peines planchers étaient en vigueur. Il est désormais, après leur abrogation, supérieur à neuf mois. La justice est donc plus sévère sans les peines planchers qu'avec !
Venons-en ensuite aux déclarations selon lesquelles la récidive aurait augmenté de huit points en trois ans – depuis mon arrivée, donc. Votre analyse, madame la rapporteure, me semble erronée : si le nombre d'affaires retenant la récidive légale a bel et bien augmenté, c'est parce que j'ai fermement demandé aux procureurs de retenir le critère de récidive à chaque fois que c'était possible. Là encore, c'est précisément parce que la politique pénale que nous menons est ferme que la récidive est de plus en plus souvent retenue par les magistrats. Ce n'est donc pas la réitération des faits délictueux qui augmente – elle est stable –, mais bien la force de la répression pénale. Je rappelle en effet que le code pénal est bien fait : les peines encourues en cas de récidive sont multipliées par deux – par deux ! D'ailleurs, s'agissant des délits visés par la proposition de loi, la sévérité est encore plus accentuée, puisque le taux d'emprisonnement, en récidive, a atteint 93 % en 2021. Ainsi, les délits passibles de cinq ans d'emprisonnement ou moins sont déjà punis d'une peine moyenne d'emprisonnement de 14,2 mois, soit nettement plus que la peine plancher prévue dans la proposition de loi soumise à notre examen.
Ce point étant éclairci, et dès lors que nous nous accordons tous à reconnaître que les magistrats retiennent avec beaucoup plus de force qu'auparavant la récidive légale, sous l'effet de la politique pénale actuellement conduite, je me propose de m'arrêter un instant sur toutes les mesures que nous avons prises pour mieux réprimer les atteintes aux forces de sécurité intérieure et aux agents publics.
Je rappelle qu'en matière de protection des personnes dépositaires de l'autorité publique, nous avons supprimé, par la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire que j'ai défendue en 2021, les remises de peines automatiques pour les agresseurs de personnes chargées d'une mission de service public. Dans la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure que j'ai présentée avec mon collègue Gérald Darmanin, nous avons créé des incriminations spécifiques afin d'aggraver la répression des actes de violence commis à l'encontre de ceux qui assurent notre sécurité dans l'espace public. Il n'était plus tolérable que leur engagement les érige en cible. Enfin, dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République défendue, là encore, par Gérald Darmanin et moi-même, nous avons créé deux nouveaux délits protecteurs des forces de l'ordre et des personnes chargées d'une mission de service public, à savoir le délit de menaces séparatistes et celui de mise en danger par la diffusion d'informations personnelles.
Dans la dépêche du 4 novembre 2020, j'ai clairement demandé aux procureurs d'apporter une réponse pénale ferme à toutes les atteintes aux personnes chargées d'une mission de service public. Pour que personne n'ait de doute, je vous livre ici les termes en lesquels je me suis adressé aux procureurs de la République : « Toutes les autres professions dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public – élus, membres du personnel de l'administration pénitentiaire, sapeurs-pompiers, membres du corps enseignant, agents des transports publics… – sont aujourd'hui durement exposées. Il importe que la réponse apportée par vos parquets soit à la hauteur de la gravité des faits et des atteintes portées à l'autorité de l'État. »
Ces mesures de protection, auxquelles s'ajoutent des mesures financières de revalorisation historiques, témoignent du fait que personne ne doute, ni dans ce gouvernement, ni dans cette majorité – ni, je l'espère, dans cet hémicycle – du rôle indispensable, crucial et essentiel que tiennent dans notre République les agents publics et les forces de sécurité intérieure. S'en prendre à eux, c'est s'en prendre à la République tout entière.
Je me félicite donc que la commission des lois ait rejeté l'article 1er instaurant les peines planchers, qui ne sont ni efficaces pour lutter contre la délinquance, ni utiles pour faire baisser la récidive.
Je ne peux qu'insister, enfin, sur le fait que le principe d'individualisation des peines, consacré depuis 1789 par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, doit rester un principe cardinal de notre procédure pénale. Il permet au juge de prononcer une peine juste et adaptée, porteuse de sens pour la personne à laquelle elle est infligée. Notre État de droit est fondé sur la confiscation du droit à la vengeance et sur l'impérative confiance due au juge pour apprécier cette juste peine, dont je rappelle qu'elle est toujours susceptible de recours. S'inscrire dans une position de défiance générale à l'égard de nos magistrats, comme le font ceux qui défendent le mécanisme des peines planchers, revient, en quelque sorte, à miner l'État de droit et à altérer inévitablement la confiance du citoyen dans l'institution judiciaire, en laissant croire que la justice n'est pas au rendez-vous.
S'agissant de l'article 2, je partage la volonté de mieux informer les élus des décisions de justice concernant leurs communes. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai fait de la lutte contre les atteintes aux élus et du renforcement du dialogue institutionnel entre les parquets et ces derniers des priorités absolues, comme en témoignent notamment les circulaires du 6 novembre 2019 et du 7 septembre 2020. Grâce à l'action de mon ministère, presque tous les tribunaux judiciaires avaient désigné, à la fin de l'année 2021, un ou des magistrats chargés d'être les interlocuteurs des élus locaux. Plus de 100 tribunaux ont désigné un magistrat référent sur les problèmes touchant ces élus et ont créé une boîte mail structurelle, une ligne dédiée, ou tout autre circuit rapide consacré aux relations avec les élus locaux.